Pouce levé ou vers le bas : la vie sauve ou la noyade Par Philippe Hensmans, directeur d’Amnesty International Belgique francophone

Que feriez-vous si vous viviez avec votre famille à Alep, Mogadiscio ou à Mossoul ? Des groupes armés ou des militaires ivres de violence rôdent dans votre quartier, et votre maison menace de s’effondrer suite aux bombardements et aux attaques.

Oui, vous essayeriez de fuir et de trouver ailleurs la sécurité et la protection. Un avenir meilleur - provisoirement ou pour le long terme.

Eh bien, aujourd’hui, vous auriez grosso modo trois options.

Première possibilité : vous cherchez refuge dans un camp de réfugiés, dans votre propre pays ou dans un pays voisin. Vous pourrez ainsi revenir rapidement dans votre ville si la violence se termine rapidement. Les conditions dans le camp, cependant, sont tout sauf roses : l’entretien est réduit au minimum et les risques sont élevés que vos enfants ne reçoivent aucune éducation pendant des années. Vous n’avez vous-même aucune perspective de travail ou d’auto-développement. Votre vie est mise entre parenthèses.

Deuxième “solution” : vous prenez un vol pour une destination dans la région et vous tentez de vous débrouiller. Ainsi, vous pouvez suivre l’exemple de nombreux Syriens en Turquie. Mais même si vous trouvez un abri et un revenu, il est difficile de survivre ; vous êtes souvent victimes de propriétaires de taudis et des circuits illégaux de travail. Après tout, vous ne disposez pas des mêmes droits que les citoyens là-bas et souvent pas de permis de travail. Vos enfants risquent de finir comme main d’oeuvre à bon marché dans d’obscurs ateliers de fabrication de vêtements.

Troisième piste : vous grattez vos fonds de tiroirs et rassemblez tout votre argent. Vous partez à la recherche d’un passeur qui pourrait vous permettre d’accéder à une partie plus prospère du monde, comme l’Europe. Mais les routes les plus évidentes sont bloquées ; vous entreprenez alors avec votre famille un voyage difficile et dangereux. En montant sur un bateau pour traverser la mer. Mais vous finirez peut-être au fond de celle-ci, comme 4.271 personnes comme vous en 2016.

SI vous arrivez quand même en Grèce ou en Italie, vous allez vous retrouver bloqué dans un camp sordide, tandis que votre demande d’asile se perd dans des procédures inextricables et le refus des autres pays de l’UE à prendre des réfugiés.

Reconnaissons-le, si c’est ainsi que nous concevons la protection des personnes qui fuient la mort aujourd’hui, c’est triste et consternant. De plus, nous renonçons à nos obligations légales et morales. Il y a un besoin urgent de plus d’efforts pour renforcer la protection juridique et humanitaire des réfugiés.

Un visa humanitaire permet aux réfugiés d’atteindre notre pays en toute sécurité, sans que cela soit ingérable pour nous. Arrivés ici, ils peuvent ensuite faire une demande d’asile et bénéficier de la protection nécessaire.
Actuellement, ces visas ne sont délivrés que sur une échelle très limitée et, d’ailleurs, sans une ligne politique claire.

Nous devons prendre plus de responsabilités. Cela peut se faire bien sûr en soutenant l’accueil de ces personnes dans la région, en fournissant des budgets plus importants, qui leur permettent une existence digne. Cela peut se faire en mettant la pression sur les pays voisins, afin qu’ils accordent aux réfugiés la possibilité de travailler et de garantir l’éducation de leurs enfants.

Mais nous devons aussi permettre à plus de gens de nous rejoindre légalement et en toute sécurité. Les visas dits humanitaires sont un moyen approprié de réaliser cela.

Un tel visa permet aux réfugiés d’atteindre notre pays en toute sécurité, sans que cela soit ingérable pour nous. Arrivés ici, ils peuvent ensuite faire une demande d’asile et bénéficier de la protection nécessaire.
Actuellement, ces visas ne sont délivrés que sur une échelle très limitée et, d’ailleurs, sans une ligne politique claire.

Un plus grand nombre de visas étaient en tous cas délivrés il y a encore quelques mois.

Une telle politique de visas humanitaires ne signifie pas une politique de frontières ouvertes. C’est tout simplement une façon pratique et sécuritaire de résoudre la crise de l’accueil des réfugiés. Rien de moins, mais rien de plus non plus.

Les accords sur la délivrance de visas humanitaires devraient être coordonnés au niveau européen et international. La Belgique peut jouer un rôle de premier plan, de telle sorte que beaucoup plus de gens bénéficieraient de la possibilité d’obtenir ce visa et donc de demander l’asile de façon sûre et organisée. Le nombre de visas accordés dépendra du nombre de réfugiés dans le besoin et de la façon dont les pays accepteront d’assurer leur responsabilité.

Cela nécessite donc une politique claire et transparente autour des visas humanitaires. Aujourd’hui, chaque demande est examinée au cas par cas, de façon imprévisible et sans critères clairs. C’est le secrétaire d’Etat à l’asile et la migration, ou son administration qui décide si une personne pourra ou non obtenir un tel visa. Le pouce est levé, ou vers le bas : vous obtenez un visa ou vous risquez la noyade en Méditerranée.

On peut faire beaucoup mieux. Ayons une discussion sérieuse sur des critères ou des lignes directrices, pour la délivrance de visas, clairs et transparents. Pourquoi, par exemple, ne définit-on pas les groupes vulnérables qui ont un lien avec la Belgique, afin qu’ils puissent compter normalement sur un tel visa ? Une telle politique de visas humanitaires ne signifie pas une politique de frontières ouvertes. C’est tout simplement une façon pratique et sécuritaire de résoudre la crise de l’accueil des réfugiés. Rien de moins, mais rien de plus non plus.

Cet article a été publié par Le Soir.

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