Le resserrement des liens UE-Égypte ne doit pas se faire aux dépens des droits humains Par Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International

Le 3 juillet 2013, quelques heures après que les chars sont entrés dans les rues du Caire et que l’éviction du président Mohamed Morsi a été annoncée officiellement, l’Union européenne (UE) a déclaré avec fermeté qu’elle amènerait le nouveau gouvernement à rendre des comptes en cas de non-respect des droits et libertés fondamentaux et de l’état de droit.

Quatre ans plus tard, l’Égypte est confrontée à l’une des pires crises des droits humains qu’elle ait connue au cours des dernières décennies. Le 25 juillet 2017, pour la première fois depuis des années, l’UE entamera pourtant des discussions de haut niveau avec ce pays à Bruxelles.

Les réunions annuelles du Conseil d’association dont le mandat concerne la coopération entre l’UE et l’Égypte avaient été suspendues après le soulèvement de 2011. Leur reprise est le signe inquiétant que l’UE et ses États membres sont de plus en plus disposés à fermer les yeux sur la situation catastrophique des droits humains dans laquelle se trouve le pays pour améliorer la coopération dans le domaine de la sécurité et du contrôle des migrations et pour stimuler les échanges commerciaux.

La démarche de l’UE visant à renforcer son partenariat avec l’Égypte marque une rupture claire dans sa position à l’égard de ce pays, que de nombreux États membres voient comme un allié stratégique clé dans une région en proie aux conflits et aux crises.

Bien que le rapport UE-Égypte publié avant la réunion indique qu’il existe des difficultés considérables en ce qui concerne l’état de droit, les droits humains, les libertés fondamentales et l’espace accordé à la société civile, il ne fait aucune mention de violations des droits humains, comme des disparitions forcées ou des exécutions extrajudiciaires, ni de l’impunité générale dont jouissent les forces de sécurité.

La réunion se déroulera pourtant sur fond de violations à grande échelle. Elle aura lieu en dépit du fait qu’aucun représentant de l’État égyptien n’a été amené à répondre des homicides de non moins de 900 personnes, commis lors de la dispersion d’un sit-in sur la place Rabia al Adawiyya, au Caire, en août 2013. Elle aura lieu en dépit du fait que les autorités égyptiennes arrêtent, poursuivent et emprisonnent des journalistes, des militants, des travailleurs, des syndicalistes et d’autres personnes pour des charges excessivement floues liées à la sécurité nationale. Elle aura lieu en dépit du fait que les forces de sécurité égyptiennes continuent de perpétrer des homicides illégaux et de faire subir à des mineurs, dont certains n’ont pas plus de 14 ans, des disparitions forcées et des actes de torture.

Paradoxalement, l’UE soutient dans son rapport que l’appui à la société civile demeure une priorité, sans pour autant expliquer comment elle entend protéger les militants pacifiques qui sont actuellement victimes d’une répression sans précédent – des dizaines de défenseurs des droits humains ont été arrêtés, interrogés ou frappés d’une interdiction de quitter le territoire et d’un gel de leurs avoirs – et d’une loi draconienne relative aux organisations non gouvernementales (ONG), qui menace de faire disparaître les groupes indépendants de défense des droits humains.

La complicité de l’Europe ne s’arrête pas à son silence. En août 2013, à la suite du massacre de la place Rabia al Adawiyya, le Conseil des affaires étrangères de l’UE a condamné l’usage disproportionné de la force par les services de sécurité égyptiens et a annoncé que les États membres étaient convenus de suspendre les licences d’exportation afférentes à toutes les armes susceptibles d’être utilisées à des fins de répression en Égypte. Près de la moitié des États membres de l’UE bafouent cet accord en continuant de fournir des armes aux forces de sécurité égyptiennes.

Ne vous y trompez pas, l’Égypte vit actuellement des heures sombres et l’assouplissement de l’UE à son égard est une victoire de taille pour les auteurs d’atteintes aux droits humains, qui ouvrira la voie à de nouvelles violences. Or, l’UE ne peut se permettre de faire passer les droits humains au second plan.

Aujourd’hui plus que jamais, il est crucial que les responsables politiques défendent les droits humains et l’état de droit.

Nous en appelons aux dirigeants de l’UE, qui ont proclamé à maintes reprises leur attachement aux principes qui sous-tendent les droits humains et ont discouru longuement sur l’importance de l’état de droit. Nous en appelons à l’Italie, dont un ressortissant, Giulio Regeni, a été enlevé et torturé à mort en Égypte, sans que justice semble pouvoir être rendue prochainement dans cette affaire. Nous en appelons à l’Irlande, dont un ressortissant, Ibrahim Halawa, croupit dans une prison égyptienne depuis quatre ans, tout en subissant un procès dont l’iniquité est manifeste. Nous en appelons à tous les autres pays de l’UE qui promeuvent les droits humains en Europe et ailleurs.

Il faut que les dirigeants des États membres de l’UE commencent par condamner publiquement les violations flagrantes des droits humains commises par l’État égyptien. Ils doivent indiquer sans équivoque aux autorités égyptiennes que la protection des droits et libertés fondamentaux demeure la valeur essentielle sur laquelle repose leur partenariat. Il faut aussi qu’ils prennent des mesures concrètes pour suspendre les transferts d’armes susceptibles de faciliter la commission de violations des droits humains en Égypte et pour signifier clairement que les forces de sécurité doivent être contenues, que les auteurs présumés d’atteintes doivent être traduits en justice et que la lutte contre le terrorisme ne doit pas servir à justifier la répression de la société civile ni l’incarcération de défenseurs des droits humains.

La volonté apparente de l’UE de modérer sa position à l’égard de la situation des droits humains en Égypte afin de renforcer les liens dans les domaines de la sécurité, du contrôle des migrations et du commerce pourrait compromettre profondément sa crédibilité et avoir des conséquences importantes sur ses relations avec les autres pays de la région. Plus encore, elle aurait un effet dévastateur sur ce qu’il reste de la société civile indépendante en Égypte.

La réunion de Bruxelles est un moment déterminant pour l’UE, celui où elle choisira de défendre les droits humains ou, au contraire, de renier ses principes au nom de l’opportunisme politique.

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