Journée mondiale contre la censure sur internet Par Salil Shetty, Secrétaire général d’Amnesty

Au point culminant des soulèvements qui ont par la suite été appelés le « Printemps arabe », des commentateurs ont loué le pouvoir croissant d’Internet. À l’époque, Wael Ghonim, cadre chez Google et militant, a déclaré : « Si vous voulez libérer une société, donnez-lui Internet. » Au Caire, sur la place Tahrir, on vendait des t-shirts proclamant « La révolution Facebook ».

Cinq années se sont depuis écoulées et nous assistons maintenant à une contre-révolution rapide et brutale sur le web, alors que des gouvernements du monde entier cherchent à contrôler Internet avec des lois et des outils technologiques, souvent au nom de la lutte contre le terrorisme et de la protection de la sécurité nationale.

Depuis 2011, l’Égypte a acheté des systèmes de surveillance et traque systématiquement les conversations sur Facebook, Twitter et YouTube ainsi que les communications par courriel ou téléphone. Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord – en Algérie, en Arabie saoudite, à Bahreïn, dans les Émirats arabes unis, au Koweït et au Maroc – les autorités gouvernementales recourent à des lois réprimant pénalement les insultes et la diffamation pour poursuivre en justice et emprisonner des personnes qui les critiquent sur Internet. En janvier, le Koweït a adopté une nouvelle loi sur la cybercriminalité qui rend passibles d’une peine de 10 ans d’emprisonnement des personnes qui expriment leurs opinions en ligne, notamment quand elles critiquent le gouvernement.

Il s’agit malheureusement d’un phénomène qui s’étend bien au-delà du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

En 2015, Amnesty International a rassemblé des informations sur des cas de personnes ayant été arrêtées à cause de ce qu’elles avaient dit ou fait en ligne dans au moins 16 pays. Au cours des derniers mois, des personnes à Singapour, à Bahreïn, au Myanmar et au Kazakhstan ont été condamnées en raison de messages postés sur des réseaux sociaux. En Malaisie, le caricaturiste Zulkiflee Anwar (dit « Zunar ») Ulhaque est jugé pour « sédition » à cause de ses tweets critiquant le gouvernement.

En Chine, par exemple, une nouvelle loi sur la cybersécurité oblige les fournisseurs d’accès à Internet à livrer aux autorités les informations dont ils disposent au sujet de leurs utilisateurs. Les médias étrangers ne seront bientôt plus en mesure de publier des nouvelles en ligne. Les sites web d’ONG telles qu’Amnesty International ne sont déjà plus accessibles.

C’est la raison pour laquelle Amnesty International et l’extension de navigateur AdBlock ont décidé, à l’occasion de la Journée mondiale contre la censure sur Internet, d’offrir aux 40 millions d’utilisateurs d’AdBlock la possibilité de voir sur leur écran des messages venant de personnes que des gouvernements ont tenté de réduire au silence.

Il s’agit entre autres du lanceur d’alerte américain Edward Snowden, du groupe de rock russe Pussy Riot et de l’artiste chinois Ai Weiwei. Nous diffusons également des messages poignants venant de Nord-Coréens qui ont fui leur pays mais qui ne peuvent pas communiquer avec ceux qui leur sont chers et qui sont toujours en Corée du Nord car ces derniers risquent d’être envoyés dans des camps de prisonniers politiques si leurs messages sont interceptés.

Il nous appartient de résister à cette vision dystopique qui fait d’Internet non pas une force de changement social positif mais un outil de censure et de surveillance de masse. Les entreprises technologiques ont un rôle essentiel à jouer en ce qui concerne le fait de décider si les gouvernements ou des individus peuvent contrôler Internet.

Les révélations d’Edward Snowden concernant la NSA ont montré que les plus grands services de renseignement du monde espionnaient au niveau mondial et de façon massive les communications sur Internet et par téléphone portable.

Parallèlement à cela, des entreprises basées dans des pays tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis exportent des technologies qui permettent à des gouvernements d’accroître leurs capacités en matière d’espionnage et de perturbation des activités en ligne des militants des droits humains, des blogueurs et des journalistes.

De plus en plus de pays adoptent des lois leur permettant d’exercer une censure et une surveillance sur le web, mais les grandes entreprises du secteur de l’Internet et des communications ne devraient pas se soumettre à des règles qui violent les droits humains et mettent en péril la liberté d’expression. Elles doivent refuser de se rendre complices de la censure sur Internet, et investir au contraire dans de nouvelles technologies plus efficaces de cryptage et de protection de la vie privée.

Les gouvernements qui cherchent à contrôler Internet disent parfois, ainsi que le fait la Chine, qu’ils veulent protéger leur « souveraineté dans le cyberespace ».
Mais les entreprises à qui s’adresse ce discours doivent se rendre compte de la responsabilité qui pèse sur elles vis-à-vis des millions de personnes qu’elles risquent de mettre en danger si elles acceptent de se rendre complices d’une répression.

Comme nous l’a expliqué la blogueuse Su Yutong, après avoir été contrainte de fuir son pays : « On entend parfois dire qu’Internet est un don de Dieu pour la Chine. Mais en fait, utiliser Internet en Chine revient à danser avec des chaînes aux pieds ».

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