Cambodge : « Nous sommes prêts à tout risquer pour défendre nos maisons et nos terres »

Tep Vanny est une défenseure cambodgienne des droits humains qui a passé plus de 700 jours en prison en raison de ses activités militantes pacifiques. Son seul « crime » est de s’être opposée à un projet immobilier pour le tourisme de luxe ayant entraîné l’expulsion forcée de plusieurs milliers de personnes autour du lac Boeung Kak à Phnom Penh.

Tep Vanny, qui est maintenant rentrée chez elle, a expliqué à Amnesty International ce qui lui a redonné espoir pendant son incarcération, et qu’elle continue de se battre pour que sa communauté obtienne justice.

Imaginez ce que c’est que d’avoir à mener campagne pour avoir le droit de vivre dans sa propre maison. Imaginez ce que ça représente d’être emprisonnée pour cela.

J’ai passé deux ans et cinq jours en prison. Mes enfants et ma mère, qui est âgée et malade, m’ont manqué. Ils avaient besoin de moi et c’était affreux de savoir que je ne pouvais pas les réconforter. Je ne savais pas comment tenir le coup d’un jour sur l’autre. La seule façon de tenir pour moi cela a été de rester tout le temps occupée en travaillant, et j’ai fait beaucoup de tricot ! Cela m’a aidée à réduire mon stress et à cesser de trop cogiter.

Il y avait beaucoup de choses qui me tournaient dans la tête. Avant le début du réaménagement du secteur du lac Boeung Kak, 4 252 familles vivaient là. Trois mille familles ont été chassées de cette zone pour permettre la construction d’un projet immobilier luxueux ; les maisons ont été rasées au bulldozer et il ne reste rien du lac. Les familles qui vivent encore là ont besoin d’obtenir des titres fonciers pour pouvoir y rester, mais le gouvernement n’en a donné qu’à 676 d’entre elles jusqu’à présent.

Trois mille familles ont été chassées de cette zone pour permettre la construction d’un projet immobilier luxueux ; les maisons ont été rasées au bulldozer et il ne reste rien du lac.

Les habitants du secteur du lac Boeung Kak ont commencé à protester en 2007, et moi je n’ai commencé à participer à ce mouvement qu’en 2010. Nous sommes progressivement devenus de plus en plus nombreux, au fur et à mesure que les gens comprenaient que nous nous battions pour l’avenir de nos enfants. Nous protestions tous les jours. Beaucoup de gens ont été arrêtés et emprisonnés. J’ai été incarcérée quatre fois, et arrêtée au moins 10 fois, et d’autres personnes de ma communauté ont elles aussi subi cela. Nous n’avons pas encore renoncé à protester, car nous sommes prêts à tout risquer pour défendre nos maisons et nos terres.

Depuis que je suis sortie de prison, ma priorité c’est de m’occuper de ma famille. Mais je continue aussi de me battre pour mettre fin aux conflits fonciers à Boeung Kak. En ce moment, je m’occupe plus particulièrement de deux familles, et j’ai demandé au gouvernement d’intervenir en leur donnant des titres fonciers. Ces familles de Boeung Kak vivent depuis longtemps dans de grandes difficultés : 10 ans de souffrances et d’incertitude quant à l’avenir.

Je continue d’être inquiète au sujet de ma sécurité et de celle de ma famille. Je me sens en danger alors que je suis en liberté. Des espions du gouvernement continuent de me suivre, et certains soirs des agents de sécurité violents du district de Daun Penh [un district de Phnom Penh] passent et repassent à moto et me prennent en photo.

Je veux que le monde soit au courant de ces problèmes. La campagne qui a été menée pour obtenir ma libération et celles d’autres militants ont été extrêmement importantes, non seulement parce qu’elles nous ont donné de la force, mais aussi parce qu’elles ont attiré l’attention sur les injustices que nous combattons. Les autorités cambodgiennes préfèrent que ces injustices restent dans l’ombre.

Je veux que cessent ces expulsions et je veux pouvoir vivre ici en sécurité et en liberté. Je veux que le gouvernement se préoccupe autant de nos droits humains que de l’argent qu’il peut gagner avec ces projets d’aménagement.

Je suis vraiment fière de ce que j’ai pu faire pour la communauté de Boeung Kak. J’étais une mère de famille ordinaire, une personne ordinaire peu instruite et ne sachant pas grand-chose des problèmes sociaux et du monde. Nous avons trouvé une solution pour presque tout le monde. J’en suis fière, même si j’ai été emprisonnée.

Quand on doit affronter des problèmes et qu’on perd espoir, on devient faible et on peut abandonner la cause pour laquelle on se bat. Je ne veux donc pas que les gens perdent espoir. Nous sommes des personnes innocentes qui n’avons jamais rien fait d’illégal. Je pense que cela signifie que nous réussirons dans le futur, à condition d’être prêts à nous battre pour atteindre notre objectif.

Je n’aurais jamais imaginé pouvoir être ici, en train de parler avec Amnesty International, entourée de ma famille et des gens de ma communauté. Le simple fait de pouvoir entrer et sortir de chez nous librement et marcher librement dehors est totalement nouveau.

Je remercie tous les gens qui ont fait campagne pour obtenir ma libération et pour que je puisse retrouver mes enfants et mes parents. Vous m’avez réconfortée et empêchée de me sentir seule. Je vous remercie pour votre gentillesse et pour ce que vous faites afin d’améliorer la situation des droits humains partout dans le monde.

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