Ce que nous apprennent réellement les chiffres sur la peine de mort aux Caraïbes Par Chiara Sangiorgio, conseillère sur la peine de mort à Amnesty International

L’année 2018 a été celle de nombreuses premières en ce qui concerne la peine de mort aux Caraïbes.

Pour la première fois depuis qu’Amnesty International a commencé à surveiller la situation, en 1979, aucune nouvelle peine de mort n’a été prononcée par les tribunaux à Trinité-et-Tobago ; le Guyana et les États-Unis sont les seuls pays à avoir infligé ce châtiment dans la région Amériques.

 
Si l’exécution par pendaison est toujours prévue par la législation de tous les pays anglophones des Caraïbes, pour la première fois, on ne dénombre aucun condamné à mort dans neuf pays des Caraïbes, depuis que Saint-Kitts-et-Nevis a commué la dernière peine capitale dont nous avions connaissance.
 

Pour la première fois également, en décembre, la région Amériques a connu une décennie sans aucune exécution, à l’exception des États-Unis. Le même mois, pour la première fois, un pays anglophone des Caraïbes – la Dominique – a soutenu une résolution des Nations unies appelant à un moratoire mondial sur les exécutions ; un nombre record d’États membres de l’ONU – 121 sur 193 – ont voté en faveur de cette résolution, et 32 se sont abstenus.

 
Ces avancées confortent d’autres bonnes nouvelles enregistrées ailleurs dans le monde. Si l’on exclut les milliers d’exécutions qui ont vraisemblablement eu lieu en Chine, ou les statistiques sur la peine de mort sont tenues secrètes, le nombre total d’exécutions enregistré par Amnesty International n’a jamais été aussi bas depuis dix ans, l’Iran, l’Irak, le Pakistan et la Somalie – qui sont historiquement responsables d’un grand nombre des exécutions recensées à travers le monde – ayant signalé une importante baisse de leurs totaux annuels. Si certains pays comme les États-Unis, le Japon, le Soudan du Sud et le Viêt-Nam sont allés à contre-courant de cette tendance, dans l’ensemble, le nombre d’homicides commis par l’État a diminué de 30 %.
 
Les statistiques mondiales de l’an dernier sur le recours à la peine de mort montrent clairement que ce n’est qu’une question de temps avant que la peine de mort ne soit reléguée aux livres d’histoire. Aux Caraïbes, le nombre de condamnés à mort a diminué de 70 % au cours des 25 dernières années, en raison de la mise en place par les organes régionaux et internationaux de normes judiciaires, et du déclin progressif de l’utilisation de la peine de mort. Dans la mesure où l’on dénombre 80 condamnés à mort dans cinq pays seulement au total, il apparaît évident que la peine capitale est en voie de disparition dans cette région du monde également.
 
Le recul de la peine de mort, dans cette région marquée par un taux d’homicides toujours élevé, intervient alors qu’il est parfaitement clair que ce châtiment n’a pas d’effet dissuasif. Les différentes études qui ont été menées ont toujours montré que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif particulier et qu’elle a de bien des façons constitué une mauvaise « solution » pour la lutte contre la criminalité aux Caraïbes. À Saint-Kitts-et-Nevis, le nombre de meurtres a augmenté, passant de 23 à 27, au cours de l’année qui a suivi l’exécution de Charles Elroy Laplace, en décembre 2008. Une étude menée à Trinité-et-Tobago a également montré que sur une période de 50 ans, ni l’emprisonnement, ni les peines de mort, ni les exécutions n’ont eu un effet notable sur le taux d’homicides.
 
Les experts ont souligné que la certitude du châtiment a un effet dissuasif plus important que la sévérité de ce châtiment, et le fait que 83 seulement des 517 cas de meurtres aient été classés comme étant élucidés par la police de Trinité-et-Tobago en 2018 apporte un éclairage accablant sur un système pénal qui ne réussit pas à combattre la criminalité. Les statistiques en disent long au sujet des crimes non résolus ; des armes facilement disponibles, de l’abandon de certaines communautés et de la perte de confiance dans les institutions de l’État ; de l’engorgement des tribunaux et des fonctionnaires surchargés de travail, pour ne citer que quelques-uns seulement des motifs de préoccupation les plus souvent évoqués. À présent que ce châtiment cruel et inhumain est progressivement abandonné, il nous faut rechercher des solutions à long terme qui permettront aux victimes de crimes d’obtenir justice comme il se doit.
 
Des gouvernements de plus en plus nombreux à travers le monde réalisent que la peine de mort et ses partisans ont trahi leurs promesses de sécurité. L’an dernier, le Burkina Faso a supprimé la peine de mort dans son Code pénal ; la peine capitale a été déclarée inconstitutionnelle dans l’État de Washington, aux États-Unis ; et la Gambie et la Malaisie ont déclaré un moratoire sur les exécutions. Il y a quelques semaines seulement, le gouverneur de l’État de Californie, Gavin Newsom, a fait de même.
 
Il a expliqué sa décision dans les termes suivants : « Notre système de peine de mort a — à tous points de vue — échoué. Il ne nous a apporté aucun bénéfice en termes de sécurité publique et n’a aucun effet dissuasif. Il a gaspillé des milliards de dollars payés par les contribuables. Mais avant tout, la peine de mort est absolue, irréversible et irréparable en cas d’erreur humaine. »
 
Il est à présent temps pour les Caraïbes d’abandonner totalement la peine de mort et de superviser les modifications des systèmes pénaux, qui n’ont que trop tardé, dans toute la région afin d’y améliorer la sécurité et de rendre justice pour l’ensemble de la population.

Cet article a été publié à l’origine par le Trinidad Express

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