Le prix fort : Le rôle de l’UE dans les douloureuses réductions du budget de santé en Espagne Par Sanhita Ambast, chercheuse et conseillère sur les droits économiques, sociaux et culturels à Amnesty International

« Je prends [moins de médicaments] que ce que le médecin m’a prescrit [...] J’essaie d’en utiliser moins [...] pour qu’ils durent plus longtemps. C’est choquant ce qui se passe. » Maria*, 44 ans, se relève d’un cancer du sein, et souffre par ailleurs d’arthrite, de spondylodiscite et de la maladie de Crohn. Comme beaucoup de gens en Espagne, en particulier les personnes disposant de faibles revenus et souffrant de problèmes de santé de longue durée, Maria a été frappée de plein fouet par les mesures d’austérité du gouvernement. Elle a expliqué à Amnesty International qu’en dépit de la gravité de ses problèmes de santé, elle est souvent obligée de rationner ses médicaments pour réduire ses dépenses.

Dans un nouveau rapport rendu public cette semaine, Amnesty International a montré que les mesures d’austérité appliquées au système espagnol de santé, dans le sillage de la crise financière mondiale, ont eu un impact très sévère sur le droit à la santé dans le pays. Lors d’entretiens recueillis auprès de plus de 100 usagers du système de santé publique et de plus de 70 professionnels de santé, nous avons entendu que ces mesures ont rendu les soins moins accessibles et moins abordables. La qualité des soins de santé s’est par ailleurs dégradée de manière notable ; de nombreuses personnes évoquent des temps d’attente plus longs, des rendez-vous plus courts et des équipements de moins bonne qualité.

Le gouvernement espagnol a commencé à réduire le budget de la santé en 2009. Les mesures d’austérité - spécialement introduites par le biais du décret-loi royal 16/2012 - prévoient notamment de faire endosser aux particuliers une partie du coût des médicaments, de limiter l’accès aux soins pour les sans papiers, et de réduire les dépenses en termes de personnels, d’équipements et d’infrastructures de santé.

Les mesures d’austérité sont susceptibles de mettre à mal divers droits économiques, culturels et sociaux inscrits dans le droit international, notamment le droit à la santé. Afin de prévenir ou réduire les effets négatifs, les Nations unies ont élaboré des lignes directrices internationales sur la manière dont les États peuvent concevoir et mettre en œuvre des mesures d’austérité respectueuses de leurs obligations en matière de droits humains. L’Espagne n’a cependant pas suivi ces orientations, et les effets sur les droits humains sont graves et de grande ampleur.

Amnesty International a constaté que l’Espagne manque à ses obligations de diverses manières, et que cela a des conséquences sérieuses sur le droit à la santé dans le pays. Par exemple, le gouvernement a introduit des mesures d’austérité avant que l’ensemble des autres solutions envisageables aient été épuisées, et il n’a mené aucune évaluation de l’impact sur les droits humains ni organisé de consultations dignes de ce nom ou veillé à la participation préalable des personnes concernées. Un grand nombre des changements introduits dans le cadre du système de santé sont en outre toujours en vigueur des années plus tard, en dépit de consignes selon lesquelles les mesures d’austérité doivent être temporaires.

L’impact sur certaines des personnes les plus vulnérables de la société est disproportionné. Nous avons observé que les difficultés financières ont mis des personnes telles que Maria face à des choix impossibles. Une autre femme qui avait récemment terminé son traitement contre un cancer du sein a déclaré qu’elle avait fait l’impasse sur certaines pilules afin de pouvoir s’acheter un soutien-gorge spécifiquement conçu pour les prothèses mammaires. Nous avons entendu des professionnels de la santé expliquer être à bout, ployant sous une charge de travail intenable. Nous avons parlé avec des personnes se trouvant sur des listes d’attente extrêmement longues pour des services essentiels, et qui languissent pendant des mois dans la souffrance ; et avec des personnes cherchant à obtenir des soins de santé mentale qui doivent se satisfaire de rendez-vous durant à peine cinq minutes.

Un grand nombre de nos constats sont confirmés par d’autres recherches, notamment effectuées par l’Union européenne (UE). Par exemple, le Profil de santé 2017 publié par l’UE pour l’Espagne indique que les temps d’attente moyens pour les interventions chirurgicales non urgentes étaient « bien au-dessus du niveau observé dans d’autres pays de l’UE comme l’Italie et le Portugal ». Un rapport récemment rendu public par l’UE a par ailleurs qualifié de considérable l’augmentation, entre 2008 et 2014, des disparités en matière de besoins de santé non satisfaits, entre les personnes aux revenus les plus faibles et celles aux revenus les plus élevés en Espagne.

Le rôle joué par l’UE elle-même dans la mise en œuvre de l’austérité par les États membres doit toutefois être souligné. Dans le cas de l’Espagne, l’UE a amené le gouvernement à mettre en place des mesures d’austérité sans en évaluer les conséquences potentielles sur les droits des citoyens. Les institutions de l’UE ont pourtant des responsabilités en matière de droits humains. L’UE doit montrer l’exemple en prenant ces responsabilités au sérieux, et veiller à ce que toutes les mesures qui s’imposent soient prises afin d’éviter des impacts négatifs sur les droits fondamentaux, y compris le droit à la santé, à l’avenir. À titre de première étape, les institutions de l’UE doivent reconnaître leur rôle dans les effets des mesures d’austérité sur la population en Europe, notamment en Espagne, et s’engager à mener des évaluations de l’impact sur les droits humains de l’ensemble des programmes de réforme économique entrepris par les États membres. L’UE doit également évaluer, ou demander aux États d’évaluer, les recommandations spécifiquement adressées à chaque pays, afin de s’assurer que la mise en œuvre de mesures d’austérité ne se traduise pas par un affaiblissement de la protection des droits humains. Enfin, les futurs objectifs et recommandations de l’UE en matière d’assainissement budgétaire ne doivent pas entamer la capacité des États à soutenir des systèmes de santé publique forts et à respecter le droit à la santé.

*Le nom a été changé.

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