Frontière États-Unis/Mexique : « Nous avons vu le calme inquiétant avant la tempête » Par l’équipe de recherche USA d’Amnesty International

Une équipe d’Amnesty International est récemment rentrée d’une mission à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, où elle a enquêté sur les conséquences que pourraient avoir les décrets du président Trump relatifs à l’immigration et à la sécurité aux frontières pour des milliers de personnes.

Voici le compte-rendu de sa visite.

Qu’avez-vous trouvé à la frontière ?

Nous avons passé près de deux semaines dans plusieurs villes situées des deux côtés de la frontière américano-mexicaine, où nous nous sommes entretenus avec des migrants, des demandeurs d’asile, des défenseurs des droits humains et des représentants des autorités. Nous avons parcouru la frontière sur toute sa longueur, ce qu’aucune autre organisation internationale de défense des droits humains n’avait encore fait depuis l’investiture de Donald Trump. Nous savions qu’il était essentiel d’avoir une vision claire de ce qui se passait à un endroit devenu l’objet d’une grande attention internationale.

Nous avons été surpris par ce que nous avons trouvé.

La plupart des localités étaient calmes – mais du genre de calme sinistre qu’on peut voir avant qu’une grosse tempête éclate. Car les décrets du président Trump préparent le terrain pour ce qui pourrait devenir une véritable crise des réfugiés.

Nous avons rencontré des personnes qui ont fui des violences extrêmes et vivent maintenant dans la peur de ce qui pourrait leur arriver, et des militants travaillant dans des refuges qui se préparent à la suite des événements – notamment, sont-ils nombreux à présager, l’arrivée potentielle d’encore plus de personnes expulsées par les États-Unis.

Donc tout va bien ?

Pas du tout.

Aussi calme que la situation paraisse en surface, à plusieurs reprises, des migrants, des demandeurs d’asile, des défenseurs des droits humains et des avocats nous ont dit que les décrets du président Trump rendaient tout le monde tendu, car on sentait qu’une situation déjà difficile pourrait se transformer en véritable crise des réfugiés.

Les hommes, les femmes et les enfants cherchant désespérément à se mettre en sécurité aux États-Unis sont souvent refoulés arbitrairement par les fonctionnaires des douanes et du contrôle des frontières de ce pays – une pratique existant depuis plus d’un an, avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. On leur dit, à tort, en ne leur donnant guère d’explications, qu’ils ne remplissent pas les critères pour demander le statut de réfugié aux États-Unis, ce qui les prive du droit de faire examiner leur cas par les autorités compétentes. Rien dans les décrets à l’heure actuelle n’autorise les fonctionnaires aux frontières à refouler des demandeurs d’asile aux portes d’entrée des États-Unis, mais ils le font quand même.

Les personnes qui ont la chance d’arriver à passer la frontière, parmi lesquelles se trouvent beaucoup d’enfants, sont systématiquement détenues pendant des périodes indéterminées.

Par peur d’être renvoyées vers les dangers qu’elles fuyaient, de nombreuses personnes décident de ne pas franchir la frontière et de faire face à l’incertitude et l’insécurité dans la région frontalière du Mexique. Les décrets du président Trump comprenant des mesures visant à augmenter la capacité des centres de détention et à embaucher des milliers de nouveaux agents pour contrôler les frontières risquent fort d’aggraver encore la situation.

Qui sont les personnes essayant de franchir la frontière pour entrer aux États-Unis ?

La plupart des personnes qui tentent de franchir la frontière entre le Mexique et les États-Unis viennent du Guatemala, du Salvador et du Honduras. Collectivement désignés sous le nom de « triangle Nord » de l’Amérique centrale, ces trois pays présentent des taux d’homicides parmi les plus élevés au monde. Un grand nombre de personnes qui en sont originaires fuient leur pays pour chercher asile et peuvent être considérées comme des réfugiés.

En 2015, les tribunaux de l’immigration américains n’ont accordé l’asile qu’à 4 % des demandeurs originaires du Guatemala, du Honduras et du Salvador.

Plus récemment, certains citoyens mexicains se sont mis à demander l’asile aux États-Unis, terrifiés par la menace des puissants cartels de la drogue qui contrôlent leurs villes d’origine. Chaque année depuis 2011, 7 000 à 10 000 Mexicains déposent une demande d’asile aux États-Unis.

Cependant, contrairement à ce qu’affirme le président Trump, le nombre de Mexicains traversant la frontière est à un niveau historiquement bas et l’immigration mexicaine en général est en nette baisse depuis 2008, en grande partie à cause du ralentissement de l’activité aux États-Unis.

Il y a également un certain nombre, plus petit, de personnes qui arrivent à cette frontière terrestre en provenance de pays des Caraïbes et d’Afrique, où ils ont fui des violences, des catastrophes naturelles ou des difficultés économiques.

Ces phénomènes sont-ils nouveaux ou existent-ils depuis longtemps ?

Les refoulements, la séparation des familles et les détentions prolongées ont rendu la frontière américano-mexicaine extrêmement dangereuse pour les migrants et les réfugiés depuis plusieurs années.

Sans trop attirer l’attention, le gouvernement Obama a créé une mécanique bien huilée favorisant les détentions et les expulsions. Des États frontaliers tels que l’Arizona rendent volontairement insupportable la vie des migrants qui parviennent à passer la frontière. Par exemple, la controversée loi Arizona SB 1070 a permis ces dernières années aux policiers d’endosser le rôle d’agents de l’immigration. Les décrets de Donald Trump étendraient de fait ce modèle à l’ensemble du pays, en pourchassant les migrants et les demandeurs d’asile comme s’ils étaient des délinquants.

Alors, oui, le traitement des migrants et des réfugiés à la frontière est épouvantable depuis bien longtemps, mais il ne fait aucun doute que la récente offensive du président Trump rendra la vie de plus en plus dangereuse pour les personnes qui fuient la violence.

En quoi cette situation peut-elle être comparée aux autres crises des réfugiés dans le monde ?

Ce qui rend unique la crise des réfugiés dans les Amériques est qu’elle est pratiquement invisible.

Alors qu’une grande attention a été portée ces dernières années aux tragédies que vivent des millions de personnes au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie, on sait peu que la violence dans des pays comme le Honduras et le Salvador est tellement extrême que des milliers de personnes sont contraintes de fuir pour survivre. D’après certaines mesures, les taux d’homicides au Salvador et au Honduras dépassent largement ceux de zones de guerre bien connues telles que l’Irak et l’Afghanistan, même en prenant en compte les morts liées aux conflits.

Dans le triangle Nord de l’Amérique centrale, de violentes organisations criminelles transnationales contrôlent des zones entières ainsi que les vies de toutes les personnes vivant sur leur « territoire ». Être vu de l’autre côté de la ville par rapport à votre quartier ou ne pas payer les « impôts » demandés par le gang qui contrôle celui-ci peut vous valoir une condamnation à mort.

Bruno (pseudonyme) fait partie des nombreuses personnes qui ont fui cette tyrannie au Salvador. Lors d’un entretien organisé dans un petit appartement à la frontière entre les États-Unis et le Mexique, il nous a raconté avoir vu un gang assassiner un jeune bénévole d’une organisation locale de secours d’urgence en 2016. Il nous a expliqué qu’il avait signalé les faits aux autorités du Salvador mais que, peu après, le gang l’avait menacé de mort. Il se cache aujourd’hui au Mexique mais ne se sent pas en sécurité à la frontière avec les États-Unis et ne veut pas demander l’asile dans ce pays car il craint d’être détenu et renvoyé au Salvador. Il a déclaré à Amnesty International : « Je ne peux pas rentrer. Si je le fais, ils me tueront. »

Bruno est face à un choix impossible : vivre dans une peur constante ou tenter d’obtenir l’asile aux États-Unis, au risque d’être détenu indéfiniment ou renvoyé de force vers une mort violente dans son pays.

Au lieu de construire un mur de haine, qui ne fera qu’enfoncer les gens dans un réseau obscur de violences et de passeurs, le président Trump doit veiller à ce que les États-Unis prennent la responsabilité d’aider une partie des dizaines de milliers de personnes cherchant désespérément la sécurité. De nombreuses vies en dépendent.

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