La protection des vies doit être la priorité lorsqu’il est question de maintien de l’ordre

Par Anja Bienert, du programme Police et droits humains d’Amnesty International Pays-Bas

Toute personne a droit à la vie. Ce principe est inscrit dans l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et figure dans de nombreux traités internationaux et textes de loi nationaux.

Pourtant, ce principe a fait cruellement défaut le jour où Tamir Rice, un garçon de 12 ans, a été abattu par la police en plein jour dans un parc public.

Le 22 novembre 2014, la police de Cleveland, dans l’État de l’Ohio, aux États-Unis, a répondu à un appel d’urgence signalant la présence d’un homme non identifié dans un parc local, qui pointait un pistolet vers les passants. On ignore si les policiers qui sont intervenus étaient au courant que la personne qui avait appelé avait précisé que l’arme était « probablement fausse » ou s’ils savaient que l’homme censé être armé n’était qu’un enfant.

Deux secondes à peine après être sorti de sa voiture de police, l’un des policiers a ouvert le feu sur Tamir Rice à une distance de quelques mètres seulement. Une vidéo de surveillance diffusée par la suite par la police montre que le jeune garçon a été mortellement blessé en une fraction de seconde. Il est décédé après son transfert à l’hôpital.

Un juge qui a examiné le comportement des deux policiers impliqués a écrit qu’après avoir visionné plusieurs fois la vidéo de surveillance, il était « toujours abasourdi par la vitesse à laquelle cet événement était devenu meurtrier ». Il a estimé qu’il existait des raisons suffisantes pour engager des poursuites pour homicide contre le policier qui a tiré.

Personne ne conteste le fait que les policiers sont confrontés à des situations difficiles et souvent dangereuses. Le pouvoir de recourir à la force est indispensable pour que les policiers puissent effectuer leur travail, ce qui ne signifie pas que ce recours est inévitable. Au contraire, les normes internationales de maintien de l’ordre reposent justement sur le principe selon lequel ces derniers ne doivent pas user de la force, sauf en cas de nécessité absolue.

Ces normes à destination de la police, les Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu, détaillent les cas dans lesquels la force peut légitimement être utilisée.

L’affaire Tamir Rice nous montre qu’aux États-Unis, comme dans de nombreux autres pays, la police est loin de respecter ces critères. Cette réalité tragique a été mise en lumière à maintes reprises, notamment lors de la mort de Michael Brown sous les balles de la police à Ferguson, dans le Missouri, et pendant la série de manifestations qui ont suivi.

Que les faits se déroulent dans les rues de Ferguson, aux États-Unis, ou dans les favelas brésiliennes, lorsque des personnes meurent parce que la police a fait usage de la force et d’armes à feu, ces événements font souvent la une des médias du monde entier.

Il existe un nombre incalculable d’autres cas, notamment lors d’opérations de maintien de l’ordre durant des manifestations, dans lesquels les policiers sont trop prompts à recourir à la force au lieu de chercher une solution pacifique à une situation conflictuelle. Les forces de l’ordre utilisent la force de façon arbitraire ou abusive et emploient des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et d’autres armes, blessant gravement, voire mutilant ou tuant des personnes. Et bien souvent, elles n’ont qu’une obligation très limitée, ou même inexistante, de rendre des comptes.

Au Brésil, les homicides commis par la police touchent de façon disproportionnée les jeunes hommes noirs. Aux États-Unis, de multiples cas de tirs de policiers ont entraîné la mort de personnes non armées, dont, là encore, un nombre disproportionné d’hommes afro-américains. Au Bangladesh, les forces spéciales ont mené des opérations policières musclées en employant la force létale, qui ont fait de nombreux morts.

Et dans des pays comme Bahreïn, le Burundi, le Cambodge, la Grèce, l’Espagne, la Turquie, le Venezuela et l’Ukraine, l’utilisation par la police, lors de rassemblements publics, de gaz lacrymogène, de balles en caoutchouc et d’autres moyens de maintien de l’ordre, parfois même des armes à feu, a fait de nombreuses victimes.

Souvent, dans de tels cas, aucun cadre n’est mis en place par les gouvernements et les autorités responsables de l’application des lois pour garantir que les agents des forces de l’ordre ne recourent à la force qu’en toute légalité, dans le respect des droits humains et uniquement en dernier recours. Ces manquements donnent souvent lieu à des homicides et à des blessures graves.

Diverses causes sont à l’origine de ces faits, telles que des législations nationales allant à l’encontre des obligations internationales des pays en matière de droits humains ; des réglementations internes insuffisantes ; des équipements et des formations inadaptés ; un manque de contrôle hiérarchique et l’absence de toute obligation de rendre des comptes pour les policiers agissant en dehors du cadre de la loi.

Pour s’attaquer de front à ce problème, Amnesty International a publié des lignes directrices sur le recours à la force par la police, qui coïncident avec le 25e anniversaire de l’adoption des Principes de base des Nations unies. En s’appuyant sur des exemples tirés de 58 pays de toutes les régions du monde, les conclusions et recommandations détaillées de l’organisation ont pour objectif d’aider les autorités gouvernementales à mettre en œuvre les Principes de base et à veiller à ce que le maintien de l’ordre dans leur pays soit de bonne qualité, efficace et respectueux des droits humains.

Dans certaines circonstances limitées, il est possible et nécessaire pour les membres des forces de l’ordre de recourir à la force afin de maintenir l’ordre. Mais cela doit se faire dans le cadre de règles strictes et ne doit jamais être considéré comme un permis de tuer, ni comme une immunité accordée aux agents de police.

Nul n’est au-dessus des lois, et encore moins ceux qui ont le devoir de les faire respecter.

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