La soif de justice des victimes de la crise en République centrafricaine Par Olivia Tchamba, Chargée de Campagnes pour l’Afrique centrale à Amnesty International

Alors que la République centrafricaine (RCA) célèbre ce 11 mai la journée nationale des victimes de conflits, Amnesty International lance une campagne pour que les milliers d’hommes et femmes victimes des crimes commis durant la crise que traverse la RCA depuis 2013, parviennent à apaiser leur soif de justice.

Les yeux hagards, Lydie revit les évènements ayant tragiquement changé le cours de sa vie un matin d’août 2014. Sa cousine vient de sortir pour se rendre à l’église, la laissant seule dans leur maison au quartier Boy Rabe de Bangui, la capitale centrafricaine. Alors qu’elle vaque à ses occupations, des bruits d’armes se font entendre dans le quartier. Redoutant le pire, Lydie se réfugie alors dans les toilettes de la maison dont la porte sera, quelques minutes plus tard, défoncée par quatre membres du groupe armé anti-Balaka.

Lydie ferme ses yeux emplis de larmes. Elle les rouvre après quelques secondes et, avec un regard lointain, poursuit courageusement son récit : « Deux d’entre eux m’ont déshabillée en m’assénant des coups lorsque j’essayais de résister. Les minutes semblaient interminables. Ils m’ont violée à tour de rôle. J’ai appelé à l’aide mais sans succès ».

Lydie n’avait que 16 ans à l’époque. Et bien qu’elle me dise que « rien ne pourra jamais effacer cet horrible évènement de sa tête », elle s’empresse d’ajouter : « Cela va me soulager si on les arrête, les juge et les condamne ».

Ce cri du cœur de Lydie fait écho aux souhaits de nombreuses victimes des groupes armés ex-Séléka et anti-Balaka avec lesquelles j’ai échangé aux mois de juin et octobre 2016 au cours d’une mission en RCA. Elles martèlent toutes ces mots, symbole de la soif de justice qui les anime : « Je veux que les responsables soient pourchassés et punis » ; « je garde espoir que j’aurai gain de cause » ; « Le dernier mot appartient à la justice » ; « personne n’est au-dessus de la loi. » Un souhait certes, mais que d’obstacles à sa réalisation !

Avant que le conflit n’éclate en 2013, le système judiciaire et pénitentiaire en RCA était déjà fragile. Quatre ans plus tard, il a besoin d’être reconstruit presque entièrement. Et les défis auxquels il fait face suscitent, chez les victimes, des réserves quant à sa capacité, en l’état actuel, de rendre justice. Ces réticences exprimées sont de plusieurs ordres.

Méfiance de la population envers le système judiciaire

Jeanne, une femme de 29 ans du quartier de Boy Rabe ayant perdu son bébé de deux mois en août 2013, suite à une roquette lancée sur sa maison par des ex-Séléka, m’explique d’un air dépité pourquoi elle n’a pas porté plainte : « la justice dans notre pays ne fait rien pour nous aider ». Elle n’est par ailleurs pas convaincue que cela aboutirait à traduire en justice les responsables présumés.

Contrairement à Jeanne, Alain ignorait qu’il pouvait et devait déposer une plainte auprès d’un tribunal. Ses maisons ont été pillées, détruites et incendiées dans le quartier Kokolo III du 3e arrondissement de Bangui en octobre 2015 par des groupes d’autodéfense du quartier PK5. Il me dit d’un air étonné : « Je ne savais pas que je devais déposer plainte au tribunal de grande instance. Je pensais que le fait d’avoir contacté le chef de quartier et constitué un dossier que j’avais soumis à la Commission épiscopale qui reçoit les témoignages des victimes du conflit était suffisant ». Au-delà des réticences des uns et des autres, de nombreuses victimes ne disposent pas des informations et de l’aide nécessaires pour engager des poursuites.

La justice en action

Dans le cadre du forum de Bangui en mai 2015, la population avait défini les impératifs de justice. Le principe de « zéro impunité » a été retenu, en particulier le refus d’accorder des immunités ou amnisties aux responsables présumés de crimes de droit international. Il y a eu de nettes avancées pour s’assurer que les victimes obtiennent justice. Des sessions criminelles se sont tenues en juin 2015 et août-septembre 2016 en dépit des importantes défaillances relevées.

La Cour pénale spéciale (CPS) a été créée en juin 2015. Son opérationnalisation a connu des progrès avec la nomination en février 2017 de son Procureur spécial Toussaint Muntazini Mukimapa de la RDC. Deux juges internationaux et cinq magistrats nationaux ont été nommés. Un comité de sélection des officiers de police judiciaire a aussi été créé. Auparavant, en 2014, la Cour pénale internationale (CPI) avait ouvert des enquêtes pour les crimes relevant du droit international commis dans le pays depuis le début du conflit.

Un système judiciaire national performant et efficace est au cœur de toute ambition de justice pour les victimes en RCA. Mais ses lacunes sont nombreuses. On note, entre autres, le manque d’institutions judiciaires fonctionnelles sur l’ensemble du territoire, la pénurie de personnel judiciaire qualifié, et l’insuffisance de ressources financières et matérielles. A cela s’ajoutent l’absence de mesures de protection des victimes et des témoins et la faiblesse du système carcéral. Ce sont autant de facteurs qui justifient la reconstruction de ce système. D’où l’urgence pour les partenaires de la RCA d’honorer les promesses faites au cours de la conférence internationale des donateurs en novembre 2016 à Bruxelles et, en particulier, de fournir l’intégralité du budget de 105 millions d’euros alloué au renforcement de l’appareil judiciaire du pays aux termes du Plan national de relèvement et de consolidation de la paix.

Par ailleurs, il convient d’appuyer les autres mécanismes qui existent pour veiller à ce que les responsables de crimes de droit international en RCA répondent de leurs actes. La Cour pénale spéciale (CPS) en fait partie.

La création de la CPS a suscité un regain d’espoir chez la population. Compte tenu de son mandat, de sa composition, son indépendance et l’impartialité attendue, cette Cour offre à la population l’opportunité d’obtenir justice.

Gilbert, dont le petit-fils âgé de 10 ans a été tué, un dimanche d’avril 2013, par un obus, et avec qui je me suis entretenue, quelques jours après la nomination du Procureur Spécial m’exprimait son optimisme en ces termes : « ça me réjouit, c’est (le Procureur) un fils du pays, même s’il est d’une autre nationalité. Il va nous aider à juguler le problème d’impunité en RCA ».

Parallèlement à cette initiative, de nombreuses autres sont menées en vue de rétablir l’état de droit en RCA. Il s’agit, entre autre, du processus de désarmement, démobilisation et réinsertion des groupes armés. La population est favorable au dialogue et à la réconciliation et l’a d’ailleurs martelé lors du Forum de Bangui. Mais tout comme l’a indiqué le Président Faustin Archange Touadéra en novembre 2016 lors de la Conférence des donateurs de la RCA à Bruxelles, « la réconciliation ne peut s’accomplir au prix de l’impunité ».

Les attentes des victimes du conflit en RCA sont grandes. Pour beaucoup, la condition première pour lutter contre l’impunité est l’administration de la justice et la réparation des dommages subis. Des femmes et des hommes, à l’instar de Lydie, Jeanne, Alain et Gilbert veulent tourner cette page sombre de leur vie. Cela ne peut se faire que s’ils obtiennent justice.

Amnesty International qui vient de lancer la campagne La justice maintenant : pour une paix durable en République centrafricaine, en vue d’assurer la justice et la réparation pour les victimes, préconise, entre autres actions, le renforcement du système judiciaire national, et le soutien à la Cour pénale spéciale et à la Cour pénale internationale pour permettre aux victimes d’obtenir justice.

L’Original a été publié en exclusivité par Le Monde Afrique http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/11/les-victimes-de-la-crise-en-republique-centrafricaine-ont-soif-de-justice_5126320_3212.html

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