Le bâillon mondial de Trump : une catastrophe pour les droits des femmes Erika Guevara, directrice du programme Amériques d’Amnesty International

La photo d’un groupe d’hommes en costume prenant des décisions sur les droits des femmes est en train de devenir un symbole de la réaction brutale actuellement à l’œuvre contre nos droits fondamentaux, notamment ceux liés à l’intégrité physique des femmes et à leurs libertés en matière de procréation et de sexualité.

Deux jours à peine après les manifestations massives pour l’égalité et contre la discrimination qui ont eu lieu un peu partout dans des villes aux États-Unis et ailleurs dans le monde, le président Donald Trump a décidé de mettre en péril les droits des femmes en rétablissant la « règle du bâillon mondial ». Cette règle interdit l’attribution de fonds fédéraux américains aux organisations non gouvernementales travaillant à l’étranger qui proposent des conseils ou un aiguillage en matière d’avortement, militent en faveur de la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse ou développent les services d’avortement disponibles - même lorsque les États-Unis ne financent pas eux-mêmes ces services.

La règle du bâillon mondial - également connue sous le nom de « politique de Mexico » - a été instaurée pour la première fois sous l’administration de Ronald Reagan, en 1984. Depuis lors, elle a été systématiquement abrogée par les administrations démocrates, puis rétablie par les présidents républicains.
Le président Trump s’inscrit aujourd’hui dans une tradition inquiétante, qui a des conséquences dangereuses pour les droits des femmes et des filles en matière de sexualité et de procréation, leur santé et leur vie, partout dans le monde, en particulier pour celles qui sont le plus exposées à des atteintes à leurs droits fondamentaux. La règle du bâillon, tant sous l’administration Reagan que sous l’administration Bush, a barré l’accès à l’ensemble des services de santé en matière de sexualité et de procréation dans beaucoup de régions de l’hémisphère sud.

La version Trump de la règle du bâillon étend cette politique à toutes les ressources affectées par les États-Unis au financement de la santé à l’étranger, au lieu de la limiter au financement par les États-Unis de la planification familiale par le biais de l’aide extérieure américaine. En d’autres termes, les organisations qui travaillent sur d’autres problèmes de santé, comme le paludisme, le VIH/sida ou la santé maternelle, doivent s’assurer que leurs programmes ne comportent aucun service d’orientation ou d’information en matière d’avortement.

les organisations qui travaillent sur d’autres problèmes de santé, comme le paludisme, le VIH/sida ou la santé maternelle, doivent s’assurer que leurs programmes ne comportent aucun service d’orientation ou d’information en matière d’avortement

De nombreuses organisations de défense des droits des femmes ont mené des recherches approfondies sur les conséquences de la règle du bâillon mondial. Elles ont constaté que cette règle entraînait des coupes importantes dans le financement des programmes de planification familiale, de traitement du VIH/sida, de contraception d’urgence et d’autres services de santé en matière de procréation, outre celles concernant les services permettant d’accéder à l’avortement et à des informations sur l’interruption volontaire de grossesse, en particulier en Afrique et en Amérique latine.

Une étude de 2006 de l’Association pour les droits des femmes dans le développement (AWID) sur l’état du financement de la défense des droits des femmes, intitulée « Où est l’argent pour protéger les droits des femmes ? », a de plus constaté que les groupes de défense des droits des femmes estimaient que la règle du bâillon affectait les femmes de différentes façons, y compris en portant atteinte à leurs droits à la liberté d’expression et d’association, ainsi qu’à leur capacité de participer au renforcement de leurs sociétés civiles et de leurs institutions démocratiques.

La vie des femmes en péril

Cette politique désastreuse des États-Unis a également empêché des prestataires de santé de respecter les principes de base de l’éthique médicale. Dans des pays où l’avortement était légal, par exemple, ces prestataires ne pouvaient pas proposer la totalité de la gamme des soins de santé légaux en matière de procréation, ni orienter ou conseiller les parties de façon conforme à la déontologie médicale. La règle du bâillon mondial aura donc comme conséquence directe de mettre en péril la santé et la vie des femmes non seulement dans les pays où l’avortement est illégal, mais aussi dans ceux où il est légal.

Cette politique désastreuse des États-Unis a également empêché des prestataires de santé de respecter les principes de base de l’éthique médicale

En 2011, une étude de l’université de Stanford a révélé que les organisations d’Afrique subsaharienne qui avaient refusé de souscrire à la règle du bâillon mondial avaient perdu le financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et que, en conséquence, les taux d’avortement dans ces pays avaient plus que doublé par rapport à ceux relevés avant l’administration Bush.

Les données provenant des pays où les services d’avortement sont sûrs, légaux et accessibles montrent que les complications et les décès liés à l’avortement sont fortement réduits. Cependant, par le passé, la règle du bâillon mondial a contrecarré les efforts déployés par les partisans de réformes permettant de changer les lois restrictives en matière d’avortement.

Les conséquences des avortements non médicalisés ont été particulièrement graves en Amérique latine et dans les Caraïbes, région où les taux d’avortements pratiqués dans de mauvaises conditions sont les plus élevés au monde, selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

D’après les estimations de l’Institut Guttmacher, entre 2010 et 2014, environ 6,5 millions d’avortements provoqués ont eu lieu chaque année en Amérique latine et dans les Caraïbes. De plus, selon le Centre pour les droits reproductifs, plus de 2 000 femmes latino-américaines meurent chaque année d’avortements pratiqués dans de mauvaises conditions.

plus de 2 000 femmes latino-américaines meurent chaque année d’avortements pratiqués dans de mauvaises conditions

L’avortement est complètement interdit dans sept pays de la région - le Chili, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, la République dominicaine, le Salvador et le Suriname - même lorsque la santé ou la vie d’une femme ou d’une fille sont en jeu. L’avortement légal sur demande au cours du premier trimestre de la grossesse est disponible à Cuba, à Mexico et en Uruguay.

Dans la plupart des autres pays de la région, même lorsque l’interruption volontaire de grossesse est légale, il est extrêmement difficile de bénéficier d’avortements pourtant susceptibles de sauver des vies, certains professionnels de santé refusant de les pratiquer pour des motifs idéologiques.

Les femmes devenues délinquantes

Lorsqu’on fait des femmes qui recourent à l’avortement des délinquantes, les conséquences sont bien connues : des taux élevés de mortalité et de morbidité maternelles, dus à des avortements non médicalisés qui touchent de façon disproportionnée les femmes et les filles vivant dans la pauvreté. De nombreuses femmes doivent passer des années derrière les barreaux après avoir été accusées d’avoir avorté.

La persistance de la discrimination sexiste et de l’inégalité entre les sexes dans la plupart des pays d’Amérique latine et des Caraïbes est à l’origine de l’incapacité des femmes et des filles d’exercer leurs droits fondamentaux.
Les stéréotypes discriminatoires restent profondément enracinés dans une culture patriarcale qui relègue encore les femmes à la sphère de la reproduction sociale - une culture largement promue, en grande partie, par des organisations religieuses, y compris l’Église catholique et les églises évangéliques.

Par le passé, un deuxième soutien à l’opposition à la progression des droits des femmes dans la région est venu des États-Unis.

L’influence croissante des groupes anti-avortement au sein du Parti républicain a créé une dérive vers des politiques anti-avortement dans certains États. Cela a eu des répercussions sur les organisations de défense du droit à l’avortement et des droits des femmes, tant directement, par l’imposition de la règle du bâillon, qu’indirectement, en raison de la légitimité et de la force données aux discours et aux propositions anti-avortement.

L’influence croissante des groupes anti-avortement au sein du Parti républicain a créé une dérive vers des politiques anti-avortement dans certains États

Les politiciens latino-américains n’ont pas été indifférents à ces tendances et ont donc cherché à obtenir le soutien des forces conservatrices et des groupes anti-avortement américains, afin de renforcer leurs chances de parvenir au pouvoir, en transigeant sur les droits des femmes et en proposant des politiques et des lois permettant d’ériger l’avortement en infraction et de restreindre davantage encore les droits des femmes en matière de sexualité et de procréation.

Si la discrimination à l’égard des femmes est manifeste dans presque tous les domaines de la vie, c’est dans le domaine de la santé en matière de sexualité et de procréation qu’elle atteint les niveaux les plus révoltants. C’est la régulation de la sexualité et de la procréation des femmes qui met le plus clairement en évidence les stéréotypes et préjugés nuisibles fondés sur le sexe.

Malheureusement, dans ce contexte régional défavorable et avec le rétablissement de la règle du bâillon mondial, de sombres incertitudes pèsent sur l’avenir des femmes et des filles et sur leurs chances réelles d’exercer leurs droits fondamentaux.

Aujourd’hui plus que jamais, une prise de position ferme contre ces violations flagrantes des droits fondamentaux des femmes doit prévaloir. Il est temps de s’unir pour lutter contre la discrimination et la violence.

La version originale de cet article a été publiée par IPS.

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