Le harcèlement en ligne au Pakistan et la riposte des femmes Par Nighat Dad, cybermilitante

Nighat Dad est avocate, militante et fondatrice de la Digital Rights Foundation au Pakistan. En 2015, elle a été désignée par le magazine TIME parmi les leaders de la nouvelle génération, pour l’aide qu’elle apporte aux Pakistanaises dans la lutte contre le harcèlement en ligne.

Dans certaines zones rurales du Pakistan, l’idée selon laquelle les femmes n’ont pas leur place sur Internet est répandue. Le Web est vu comme un lieu où l’on regarde de mauvaises choses ou entretient des relations illégitimes. Dans une société musulmane conservatrice, les femmes ne sont pas supposées y être. Beaucoup de femmes choisissent d’utiliser Internet en secret, pour éviter que leurs proches – en particulier les hommes – le sachent.

C’est l’une des raisons pour lesquelles les femmes ne se sentent pas en sécurité sur Internet dans certaines zones. Elles se sentent menacées de la même façon que dans leur vie de tous les jours. J’ai vu du chantage, des photos retouchées, des comptes personnels piratés et des menaces de viol. Les femmes militantes et les féministes sont harcelées et qualifiées d’« agents immoraux de l’Occident ». Près de la moitié des infractions commises sur Internet sont liées au harcèlement des femmes sur les réseaux sociaux.

Honte et chantage

Le cas le plus choquant que j’ai vu est celui dans lequel des hommes ont filmé le viol d’une enseignante dans un village reculé puis diffusé cette vidéo par MMS. Son entourage a réagi de façon terrible envers elle. Les auteurs des faits sont derrière les barreaux, mais la vie de cette femme est totalement ruinée. Elle ne peut pas retourner enseigner car son village la voit comme la coupable.

Le chantage en ligne est également un vrai problème. Un récent scandale a eu lieu à Peshawar, où deux étudiants ont piraté les profils Facebook de jeunes femmes. Ils leur ont dit qu’ils publieraient leurs données personnelles – numéro de téléphone, adresse de leur domicile, détails concernant des relations intimes, tout ce qu’ils avaient pu trouver – à moins de recevoir de l’argent.

Les victimes se sont plaintes auprès de Facebook, mais on leur a répondu que les pages en question n’enfreignaient pas les règles du réseau social. En fait, les équipes de Facebook ne connaissaient pas la langue locale, le pachto. Finalement, elles ont supprimé les pages et les jeunes femmes ont porté plainte auprès de la police judiciaire fédérale, qui a arrêté les deux pirates informatiques.

Et puis il y a le harcèlement en ligne, dont les pires formes visent les femmes journalistes. Notre société évolue, mais les femmes sont toujours destinées à faire des bébés, cuisiner et s’occuper du foyer. Elles ne sont pas censées être intellectuelles ni participer à des débats politiques. Alors, lorsqu’une femme s’exprime sur les réseaux sociaux, certains hommes la voient comme une menace.

Information et opportunités

Les femmes doivent être prudentes sur Internet. Cependant, la sûreté tient moins à l’utilisation d’outils de sécurité spécifiques qu’à un changement de comportement. Voilà pourquoi j’apprends aux jeunes femmes dans les universités à utiliser Internet en toute sécurité. Il s’agit de choses vraiment basiques, comme créer un mot de passe fiable pour éviter que votre profil ne soit piraté, ou s’assurer d’utiliser un navigateur sécurisé. Elles apprennent également quelle est la législation et comment constituer une plainte pour que celle-ci soit examinée correctement par les autorités.

Quoi qu’il en soit, Internet est un outil formidable pour les femmes au Pakistan. C’est un moyen pour elles de rester en contact avec leurs proches. Il leur permet de parler librement et d’obtenir les informations dont elles ont besoin. Et il leur donne la possibilité de gagner leur vie sans sortir de chez elles, par exemple en faisant de la saisie de données ou en rédigeant des articles en ligne. Les femmes ont besoin de savoir gérer les inconvénients d’Internet afin de pouvoir tirer le meilleur parti des superbes opportunités qu’il offre.

Je me suis rendue à maintes reprises dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, d’où Malala est originaire, pour animer des ateliers « espaces sans danger sur Internet » auprès de jeunes femmes et filles. La lueur qui apparaît sur leur visage quand elles utilisent les réseaux sociaux pour la première fois est incroyable. Elles semblent se dire : « Waouh ! Qu’est-ce que c’est ? » Elles créent leur propre compte Twitter, s’envoient des tweets entre elles et adorent ça. Je vois un sentiment de liberté dans leurs yeux. Je dois les mettre à la porte du laboratoire à la fin de la journée !

Remarque : les opinions exprimées sont celles de l’auteure et ne reflètent pas la politique d’Amnesty International.

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