Les dirigeants du monde doivent faire des droit humains une priorité en Afghanistan Champa Patel, directrice pour l’Asie du Sud à Amnesty International

Le 4 octobre, 70 pays se rassemblent à Bruxelles pour participer à une mascarade à l’occasion de la conférence des donateurs sur l’Afghanistan. En tant qu’invités de l’Union européenne et du gouvernement afghan, ils vont faire étalage de leurs engagements en termes de soutien financier, même si les sommes proposées sont bien loin de couvrir les besoins de l’Afghanistan. Ils feront part de leurs inquiétudes pour la sécurité du peuple afghan, lors même que l’UE cherche à renvoyer des dizaines de milliers de personnes, les abandonnant à un sort qui n’a rien à envier à celui qu’elles avaient fui. Et les questions les plus urgentes auxquelles est confronté le pays, comme les droits fondamentaux, ne figureront nullement à l’ordre du jour.

Comme l’ont noté les Nations unies en juillet, le premier semestre 2016 fut le plus meurtrier en Afghanistan depuis le début des statistiques en 2009. Les attaques contre les civils ne font qu’augmenter. Les talibans et autres groupes armés contrôlent désormais un territoire d’une superficie inégalée depuis 2001, ponctuant leur progression de terribles attaques contre les civils – notamment les minorités vulnérables, les organismes humanitaires et les étudiants universitaires. Le 3 octobre, les talibans ont assiégé la ville de Kunduz, menaçant d’en prendre le contrôle.

La communauté internationale ignore largement ces faits. Dans une note qui a récemment fuité, l’UE écrivait que l’Afghanistan connaît « un nombre record d’attentats terroristes et de victimes civiles ». Cependant, cette réalité alarmante n’a pas fait naître la volonté de faire davantage pour protéger la vie des Afghans. Au contraire. « Malgré cela », peut-on lire dans cette note rédigée avec une indifférence criante, « plus de 80 000 personnes pourraient avoir besoin d’être renvoyées dans un futur proche ».

L’utilisation du terme « besoin » résume l’attitude insensible de l’UE. Quel besoin s’agit-il de satisfaire ici ? Les demandeurs d’asile afghans, qui ont bravé moult périls pour échapper à des dangers bien pires dans leur pays, n’expriment pas le désir de rentrer. Le gouvernement afghan, qui ne répond pas aux besoins élémentaires des personnes déplacées en Afghanistan (plus d’un million) en raison de l’extension du conflit, n’est guère en mesure de les accueillir.

Alors d’où vient ce « besoin » ? Force est de constater que les États membres de l’UE se sont déshonorés à plusieurs reprises en ne se montrant pas à la hauteur de leurs responsabilités. Des pays beaucoup plus pauvres continuent d’accueillir la grande majorité des réfugiés du monde, tandis que l’UE se tourne vers des pays comme la Turquie pour en faire les garde-frontières du continent, chargés de maintenir les réfugiés à distance en échange de fonds et de visas facilités.

Ce type de comportement témoigne de ce que Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, a récemment qualifié de calcul politique « cynique et dangereux ». Lorsqu’il s’agit du peuple afghan, l’UE ressent le « besoin » de capituler face à des entités politiques toxiques, des personnes qui, selon Ban Ki Moon, perpétuent « les mensonges et les entorses à la vérité » et cherchent à diviser la population « en distillant la peur ».

Si les donateurs étaient déterminés à remplir leur mission, ils offriraient des solutions durables, pas des actes fugaces. Richard Olson, représentant spécial des États-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, a déclaré escompter des engagements à hauteur de trois milliards de dollars – un quart de moins que prévu, et bien moins que la somme nécessaire. L’Afghanistan demeure l’un des pays les plus pauvres de la planète, un tiers de la population vivant sous le seuil de pauvreté.

Richard Olson a souligné qu’il ne peut y avoir de « chèque en blanc ». La communauté internationale s’inquiète à juste titre de la corruption en Afghanistan. Le gouvernement actuel ne fait pas grand-chose pour combattre le fléau que sont les fonctionnaires cupides. Toutefois, la réponse consiste à exiger plus de transparence, et non à punir le peuple afghan pour la cupidité de ses ministres. Ce qu’il faut, c’est un mécanisme solide et efficace, garantissant que les fonds parviennent bien à ceux qui en ont le plus besoin.

La corruption en Afghanistan est le produit de l’effondrement de l’état de droit. En septembre, le gouvernement d’union nationale, affaibli, a signé un accord avec le seigneur de guerre Gulbuddin Hekmatyar, accusé de crimes de guerre et surnommé « le boucher de Kaboul », lui accordant l’immunité en échange de son soutien public. Cet accord ne sera pas condamné lors de la conférence, il a déjà été salué comme un triomphe politique.

Les autorités afghanes sont tout aussi inefficaces lorsqu’il s’agit de lutter contre les violations des droits humains que contre la corruption. Lorsque le gouvernement d’union nationale est arrivé au pouvoir, il a fait des déclarations encourageantes sur les droits humains. Cependant, au fur et à mesure que le temps s’est écoulé, les seules mesures qu’il a prises furent symboliques ou chaotiques. Les femmes qui défendent les droits humains continuent de craindre pour leur vie, constamment menacées et ne bénéficiant d’aucune protection. La situation de celles qui sont moins connues et n’ont pas de ressources comparables est pire encore.

Dans le calcul cruel des donateurs, les droits humains arrivent en second. Si les dirigeants réunis à Bruxelles cette semaine veulent façonner un avenir durable pour l’Afghanistan, ils doivent mettre en œuvre les droits humains dans leur globalité. En signant des accords sordides et en cautionnant ceux que le gouvernement afghan scelle de son propre chef, la communauté internationale ne renonce pas seulement à son devoir envers le peuple afghan, elle se fait complice des injustices dont il est victime.

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