Les réseaux privés virtuels, défense vitale contre la censure, font l’objet d’attaques

Vous avez sans doute entendu parler des VPN (réseaux privés virtuels). Ce sont ces outils qui vous permettent de regarder des films en streaming depuis d’autres pays lorsqu’ils sont bloqués dans le vôtre. Si les VPN étaient interdits, comment pourriez-vous regarder en ligne le dernier blockbuster sur une apocalypse robotique sans avoir à patienter pendant un an ?

Maintenant, imaginez que le contenu en ligne interdit dans votre pays ne porte pas sur des films, mais sur des plateformes de réseaux sociaux, ou sur les principales sources d’information relatives à votre religion ou à votre orientation sexuelle. Imaginez que vous utilisiez un VPN pour accéder à ces informations et que cet outil soit supprimé.

C’est ce qui est sur le point d’arriver en Russie. Et c’est déjà le cas en Chine.

Le 30 août, le président russe Vladimir Poutine a ratifié une loi interdisant les anonymiseurs et les VPN, tandis qu’au cours du week-end, Apple a retiré la plupart des grandes applications de VPN de son App Store en Chine, en vue de se conformer à la législation nationale exigeant que les VPN obtiennent une licence du gouvernement.

Les anonymiseurs, comme les VPN ou TOR, sont des outils essentiels pour les droits humains en ligne. Comme l’a noté le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, David Kaye : « Le chiffrement et l’anonymat garantissent aux personnes et aux groupes un espace de confidentialité en ligne qui leur permet d’exercer leur liberté d’opinion et d’expression et les protège contre toute immixtion arbitraire ou illégale et contre toute attaque... L’utilisation d’une connexion VPN, du réseau Tor ou d’un serveur proxy, associée au chiffrement, peut être le seul moyen, dans un [contexte de censure marquée], d’avoir accès à l’information et de la partager. »

La Russie présente ce type de contexte. Des lois contre l’extrémisme rédigées en termes vagues permettent de poursuivre des personnes pour tous types d’expression protégés par le droit relatif aux droits humains. Un jeune blogueur a récemment été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans et six mois avec sursis pour « incitation à la haine » et « atteinte aux sentiments des croyants », après avoir diffusé une vidéo où on le voit jouer à Pokémon Go à l’intérieur d’une cathédrale d’Iekaterinbourg.

Parallèlement, la loi sur la « propagande de l’homosexualité » en Russie est utilisée pour censurer et sanctionner les contenus pertinents pour les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) et les droits des LGBTI. Cette loi discriminatoire a été récemment – et à juste titre – condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, mais demeure néanmoins en vigueur. Nous sommes désormais face à une situation absurde : les autorités considèrent comme « extrémiste » une caricature du président Poutine représenté en « clown gay », mais s’abstiennent d’ouvrir une enquête sur la campagne d’enlèvements, de torture et dans certains cas d’homicides visant les homosexuels en Tchétchénie.

Dans cet environnement marqué par la censure et l’homophobie cautionnée par l’État, l’anonymat en ligne peut s’avérer vital. Les anonymiseurs tels que les VPN pourraient permettre d’accéder à des informations impartiales et précises, notamment pour les enfants et adolescents LGBTI, qui ne pourraient sans doute pas y avoir accès par un autre biais. Internet est également essentiel pour trouver une communauté et du soutien. Une fois les VPN retirés, de plus en plus de citoyens seront cernés dans un monde virtuel rétréci, où le simple fait de déclarer que l’« homosexualité est naturelle » sera illégal.

Les anonymiseurs contribuent aussi à protéger les droits politiques. Les gouvernements recourent trop souvent à la tactique consistant à fermer et bloquer des pans entiers du web à l’approche d’élections, de manifestations ou d’autres événements sensibles. Amnesty International et l’OONI (Open Observatory of Network Interference) ont constaté que le gouvernement éthiopien a illégalement bloqué l’accès à des sites pour censurer les informations sur les manifestations au cours desquelles jusqu’à 800 personnes ont été tuées par les forces de sécurité, et a bloqué des applications de messagerie.

Fait notable, l’anonymiseur TOR a connu un pic de connexion à ce moment-là, illustrant l’utilité des anonymiseurs pour contourner la censure illégale et exercer le droit à l’accès à l’information.

C’est pourquoi la décision d’Apple est des plus décevantes. La censure d’Internet en Chine, déjà étendue, gagne du terrain : le pays vise l’interdiction de tous les services de VPN qui ne sont pas gérés par l’État d’ici janvier 2018. Si d’autres entreprises emboîtent le pas à Apple, les citoyens en Chine pourraient bientôt avoir bien du mal à accéder librement aux informations en ligne.

Apple affirme qu’elle se contente de se conformer à la législation chinoise, mais ce n’est pas une réponse suffisante. Il incombe aux entreprises de respecter le droit international relatif aux droits humains, indépendamment du fait qu’un État respecte ses propres obligations en la matière. En retirant l’accès aux VPN à ses clients chinois, Apple trahit ses responsabilités. Nous nous attendions à une position plus ferme de la part d’une entreprise qui se targue haut et fort de défendre la vie privée.

Internet semblait jadis offrir la promesse d’un accès quasi sans entraves à la communication, au-delà des frontières, libéré de la censure autoritaire qui trop souvent pesait sur les médias audiovisuels ou la presse. Cette libre circulation de l’information promettait de nous rassembler et de faire du monde un village.

Si les gouvernements peuvent restreindre notre accès aux informations qu’ils désapprouvent, via la censure et en bloquant l’accès aux outils permettant de la contourner, alors cette promesse deviendra caduque. Nous aurons à la place des îlots d’information de plus en plus fermés – et le web deviendra un espace moins ouvert.

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