Maladie, manque de soins, douleur : comment les autorités iraniennes laissent souffrir des prisonniers Par Raha Bahreini, chercheuse d’Amnesty International sur l’Iran

Il y a peu, une photographie est devenue virale sur les réseaux sociaux en langue perse, suscitant une immense vague de sympathie et d’indignation parmi la population iranienne. On y voyait le visage couvert de pansements du célèbre journaliste et ancien prisonnier d’opinion iranien Alireza Rejaee,auquel des soins médicaux ont été refusés pendant quatre ans alors qu’il se trouvait en prison.
Il y a un peu plus d’une semaine, il a subi une ablation de l’œil droit, d’une partie de la mâchoire supérieure et de la joue, afin d’empêcher la propagation d’un cancer des sinus.

Selon sa famille, Alireza Rejaee s’est plaint de douleurs et de pression de manière répétée durant les années qu’il a passées à la prison d’Evin, à Téhéran. Pourtant, les autorités carcérales ont refusé qu’il suive hors de la prison un traitement médical spécialisé qui aurait pu arrêter la propagation du cancer. Il a été libéré en 2015, après avoir purgé sa peine d’emprisonnement.

Cette photo effrayante, qui montre Alireza Rejaee alité dans un hôpital, l’air fragile sous les pansements qui recouvrent la moitié de son visage, résume la cruauté du système pénal iranien et met une fois de plus en lumière la brutalité des traitements réservés aux prisonniers d’opinion dans les centres de détention du pays.
L’histoire d’Alireza Rejaee n’est malheureusement pas un cas isolé en Iran, où les autorités jouent avec la santé et la vie des prisonniers en faisant fi de leurs besoins médicaux. Les personnes détenues en raison de leurs activités militantes pacifiques sont particulièrement visées.

Dans un cas similaire en avril 2016, Omid Kokabee, un physicien de 33 ans condamné à dix ans de prison, a dû subir une ablation du rein droit, gravement abîmé des suites d’un cancer.
Il s’était plaint de troubles rénaux pendant près de cinq ans, mais les autorités ont systématiquement refusé qu’il suive un traitement en dehors de la prison et ont rejeté ses demandes de libération pour raisons médicales.

Dans un rapport publié en juin 2016,Amnesty International a révélé que les autorités carcérales iraniennes, non contentes de reporter délibérément ou de refuser des soins médicaux spécialisés urgents à des prisonniers d’opinion, avaient régulièrement minimisé ou ignoré la gravité de leurs troubles médicaux, qu’elles avaient traité de graves affections avec de simples analgésiques et empêché des traitements essentiels.

Les prisons iraniennes sont célèbres pour leurs conditions particulièrement dures. Les détenus sont généralement enfermés dans des cellules surpeuplées, insalubres et mal ventilées. Ces conditions, associées au refus de soins médicaux adéquats, aggravent souvent les affections dont souffraient déjà les personnes emprisonnées ou contribuent à l’apparition de nouveaux problèmes médicaux. Cela provoque des dommages irréversibles à leur santé.

Plus récemment, des informations inquiétantes sont parvenues de la prison de Rajai Shahr, à Karaj, près de Téhéran, où les autorités refusent l’accès à des soins médicaux à plus d’une douzaine de personnes qui ont entamé une grève de la faim le 30 juillet pour protester contre des conditions de détention inhumaines. Ces prisonniers affirment qu’ils se trouvent dans un secteur de la prison où les fenêtres sont couvertes de plaques de métal et où il n’y a pas de système de ventilation. Ils doivent dormir à même le sol, ne bénéficient pas d’un accès suffisant à de l’eau potable ni à de la nourriture et ne sont pas autorisés à appeler leurs familles.
La santé de plusieurs d’entre eux s’est détériorée et, au cours des derniers jours, certains se sont évanouis ou ont brièvement perdu connaissance.

Selon les familles des détenus en grève de la faim, le directeur de la prison a ordonné aux médecins de l’établissement de ne pas fournir de soins médicaux supplémentaires à ces détenus et de ne pas surveiller leur état de santé.

En représailles à leur protestation pacifique, certains de ces prisonniers ont été placés à l’isolement pendant plusieurs jours. Onze d’entre eux ont depuis été inculpés pour différents types d’« insulte au guide suprême » et risquent des peines de prison supplémentaires.

Dans de nombreux cas, les autorités ont délibérément refusé des soins médicaux pour punir des prisonniers, leur causer des douleurs et des souffrances ou leur arracher des « aveux ». Selon le droit international, ce traitement s’apparente à de la torture, dont les auteurs doivent être poursuivis pénalement.

Zeynab Jalalian, prisonnière d’opinion Kurde iranienne âgée de 35 ans, purge une peine de réclusion à perpétuité dans la prison de Khoy, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental. Depuis 2014, elle a besoin d’une intervention chirurgicale en raison d’une grave affection oculaire qui, selon les médecins, pourrait mettre sa vue en péril. Pourtant, les autorités persistent à refuser de suivre l’avis des médecins et de la transférer dans un hôpital pour que cette intervention soit menée. Au cours des deux dernières années, Zeynab Jalalian s’est également vue refuser des examens médicaux et un traitement adéquat concernant les problèmes cardiaques, intestinaux et rénaux dont elle souffre, ainsi que pour un muguet buccal qui entrave sa capacité à manger et à avaler.

Arash Sadeghi, un homme âgé de 30 ans qui purge une peine de 19 ans de prison pour son travail entièrement pacifique en faveur des droits humains, est un autre exemple de prisonnier gravement malade torturé par le biais du refus de soins médicaux appropriés. Selon les médecins, il doit bénéficier d’une hospitalisation de longue durée afin de recevoir un traitement spécialisé pour les problèmes intestinaux et respiratoires dont il souffre et qui ne font que s’aggraver. Ces troubles ont été causés par une grève de la faim prolongée et exacerbés par le manque actuel de soins médicaux.

Ces cas poignants de cruauté derrière les portes des prisons iraniennes ne suscitent que peu d’attention dans le monde. Les autorités iraniennes ont d’ailleurs tout fait pour contrer publiquement les rapports accablants concernant les conditions de détention dans le pays.

En mai 2016, elles ont ainsi diffusé une vidéo de propagande dans le but de discréditer les informations concernant les soins médicaux refusés à Zeynab Jalalian. On y voyait cette dernière affirmer qu’elle n’était pas malade, ni en train de perdre la vue, et que ses problèmes médicaux étaient minimes. Sa sœur a par la suite confié à Amnesty International que Zeynab Jalalian avait été forcée à faire ces déclarations.

En juin 2017, dans une autre grossière action de communication, les autorités iraniennes ont organisé la visite de l’un des centres de détention les plus tristement célèbres du pays, la prison d’Evin, à Téhéran. Des diplomates représentant plus de 40 pays étaient invités.

Les grandes puissances mondiales, dont l’Union européenne, qui ont pris des mesures pour se rapprocher de l’Iran depuis l’accord concernant le nucléaire signé en 2016, peuvent jouer un rôle crucial en veillant à ce que ces traitements inhumains cessent dès maintenant. Elles doivent enjoindre aux autorités iraniennes de garantir que tous les prisonniers aient accès à des soins médicaux appropriés.

Il est également indispensable qu’elles exigent que les autorités iraniennes permettent l’entrée d’observateurs internationaux, notamment le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Iran, afin qu’ils puissent inspecter toutes les prisons du pays.

Si les autorités iraniennes ne montrent pas leur intention de mettre un terme à ces agissements, il nous appartient de veiller à ce que la souffrance quotidienne des personnes aux mains du cruel système carcéral iranien ne soit pas oubliée.

Cet article a été initialement publié par Middle East Eye ici

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