Mesures anti-terroristes : agir vite...mais pas n’importe comment Par Montserrat Carreras, responsable du plaidoyer pour Amnesty International Belgique francophone

Mardi dernier, à la veille de Fête nationale, la Chambre a adopté tambour battant une vingtaine de textes. Il a été question de régularisation fiscale, de taxes bancaires, de représentation des syndicats au sein des sociétés de chemin de fer ou encore… de mesures de lutte contre le terrorisme. Il faut se rendre à l’évidence : les appels d’Amnesty International et de la Ligue des droits de l’Homme à la prudence, à la nécessité de soumettre des projets de loi qui peuvent avoir un impact majeur (à court, moyen et long termes) sur nos libertés à un examen approfondi et à un réel débat parlementaire n’ont pas été entendus par la majorité des députés.

Alors que la société attendait d’elle sagesse, analyse, réflexion et débat, la Chambre a agi dans la précipitation et de façon inconsidérée et a de ce fait abandonné son rôle d’institution régulatrice. Oui, il faut agir, et vite. Mais pas de cette façon et sans savoir où l’on va. La démocratie est une mécanique fine et complexe. On ne touche à ses rouages qu’avec délicatesse, prudence et intelligence. Surtout lorsqu’il s’agit des libertés garanties par la Constitution, et plus encore lorsqu’il est question de les limiter.

S’il est bien entendu fondamental de chercher à protéger la population de crimes de nature terroriste, il est tout aussi essentiel d’évaluer les impacts à long terme de lois comme celles qui ont été adoptées la semaine dernière et d’envisager toutes les dérives, tous les abus, toutes les conséquences néfastes qu’elles peuvent occasionner. Prenons par exemple l’élargissement de l’incrimination d’incitation publique à commettre un attentat terroriste. Avec cette nouvelle disposition, il ne sera plus nécessaire de prouver que l’incitation crée le risque qu’une infraction puisse être commise. Outre le fait que cela transgresse des règles européennes, il faut se rendre compte qu’un pas supplémentaire vers le le subtil, l’interprétable, le flou a été franchi. En élargissant le champ de ce qui peut être considéré comme relevant du terrorisme, le législateur vise des actes de plus en plus éloignés de l’infraction principale, risquant ainsi d’occasionner de graves dommages collatéraux. Quel intérêt y a-t-il pour la société de voir l’un de ses membres arrêté de façon abusive, détenu de façon préventive, pour être relâché quelques jours plus tard pour des motifs finalement sans réel lien avec un acte terroriste ? Quand on sait quel terreau fertile peut être la prison pour la radicalisation ou le basculement dans la grande criminalité et quels impacts négatifs peut avoir sur la vie sociale et professionnelle d’une personne un passage par la “case prison” (ne serait-ce que quelques jours), on peut sérieusement se poser la question.

Rappelons également que ces lois, qui s’empilent les unes sur les autres telles les couches d’une gigantesque lasagne, n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation quant à leur efficacité. Aussi, le risque est grand de se retrouver dans un futur proche face à un monstre législatif aussi inefficace que dangereux...pour ceux qu’il est censé protéger.

Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut lutter avec force et détermination contre le terrorisme, il est du devoir des organisations comme la nôtre de rappeler avec insistance que des garde-fous doivent être maintenus, que nos valeurs et principes démocratiques doivent être respectés. Au risque de mettre gravement en danger - quelle ironie ! - ce que les terroristes souhaitent justement détruire : notre État de droit et nos libertés.

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