N’abandonnez pas le Brésil Jurema Werneck, directrice exécutive d’Amnesty International Brésil

Il n’a jamais été facile d’être une femme noire, militante et lesbienne née dans un bidonville au Brésil, mais cela sera désormais encore plus dur. Si les modifications législatives débattues au Congrès sont adoptées, nous assisterons à un recul au niveau de nombre de nos conquêtes sociales.

Il y a un an, la communauté internationale regardait encore mon pays avec admiration. Rio de Janeiro s’apprêtait à accueillir les Jeux olympiques, le plus grand événement sportif du monde. Toutefois, les Jeux se sont terminés et tout ce qu’avait espéré le Brésil depuis des années s’est évaporé dans leur sillage. Aujourd’hui, une grande partie des infrastructures construites pour les Jeux, qui ont coûté des milliards de reals, ne sont pas utilisées. C’est aussi le cas d’autres travaux réalisés pour la Coupe du monde de football de la FIFA en 2014. Là où palpitaient des espoirs de splendeur, ne reste plus qu’un sentiment d’abandon.

Le monde ne tourne plus son regard vers le Brésil, ou alors seulement avec désespoir. Ce n’est plus un pays fiable pour y investir, et il n’apparaît sur l’agenda international que pour des affaires de corruption impliquant son gouvernement et ses responsables politiques. Pire encore, la crise politique, économique et institutionnelle est utilisée comme écran de fumée pour masquer une attaque frontale contre les droits humains.

La violence contre les femmes et les jeunes filles demeure généralisée et néanmoins, les droits des femmes comptent parmi les premiers à subir des pertes, comme c’est généralement le cas en temps de crise. L’avortement est légal au Brésil lorsque la grossesse résulte d’un viol, lorsque la vie de la mère est en danger ou lorsque le fœtus présente de graves malformations. Des amendements sont proposés pour éliminer ces exceptions et imposer l’interdiction totale de l’avortement, ce qui mettrait en péril le droit des femmes à la vie et à la santé. Fait notoire, dans quasiment 100 % des familles brésiliennes, il y a eu au moins un avortement. On ne peut nier cette réalité choquante avec une loi aussi restrictive et cruelle.

Les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) risquent également de subir des revers majeurs. En 2016, le Brésil a recensé le plus grand nombre d’homicides de personnes transgenres au monde et les autorités doivent se mobiliser pour mettre en œuvre des politiques afin d’enrayer ces crimes. Au lieu de cela, le Congrès envisage de supprimer du programme des écoles publiques toutes les informations relatives à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle, minant les droits d’une grande partie de sa population.

Ce ne sont pas les seules attaques. Dans un pays qui criminalise les jeunes hommes noirs vivant dans des bidonvilles en raison de ce qu’ils sont, il est proposé d’abaisser l’âge auquel les mineurs peuvent être jugés comme des adultes à 12, 14 ou 16 ans. Loin d’apporter une solution éducative, les propositions prévoient de traiter les mineurs comme des adultes et d’enfermer tous les délinquants dans les geôles dangereuses et surpeuplées du Brésil. Aucun Congrès ne devrait traiter sa jeunesse de cette manière.

En outre, malgré le niveau de violence extrêmement élevé au Brésil, le Congrès menace d’assouplir encore les lois régissant la détention d’armes à feu. Selon les derniers chiffres officiels, près de 60 000 homicides ont été recensés en 2015, dont plus de 70 % commis en utilisant des armes à feu. Sachant cela, aucune personne saine d’esprit ne modifierait la Loi sur le désarmement ; pourtant, c’est précisément ce qui est proposé.

Les populations autochtones et les communautés d’ascendance africaine, traditionnellement marginalisées au Brésil, continuent de revendiquer le droit de vivre dans la dignité. Cette perspective semble de plus en plus lointaine. Des centaines de milliers d’entre eux voient leurs droits à la terre restreints, alors que le Congrès préfère privilégier les intérêts économiques.

Depuis des décennies, les défenseurs des droits humains travaillant sur des questions liées à la terre, au territoire et à l’environnement au Brésil sont menacés, persécutés et tués. En 2016, au moins 58 défenseurs des droits humains et dirigeants de communautés rurales ont été tués en raison de conflits liés à la terre – ce qui représente une forte augmentation par rapport à 2015, ce chiffre s’élevant alors à 47.

À ce stade, la question se pose : que pouvons-nous faire d’autre ?

Manifester, pour le moins. Si nous en avons encore la possibilité, puisque 45 des modifications législatives proposées menacent ce droit. Les projets de loi antiterroriste actuellement débattus englobent des définitions vagues et générales qui rappellent la tendance des lois « orwelliennes » en Europe et pourraient être utilisées pour engager des poursuites arbitraires contre toute personne qui exprime ses opinions publiquement ou manifeste pacifiquement dans les rues.

Pour ma part, je n’abandonnerai pas. En tant que femme noire, militante et lesbienne née dans un bidonville, je me bats depuis l’enfance. Et je ne suis pas la seule ; autour de moi, bien des gens œuvrent à empêcher l’adoption de ces modifications destructrices. Nous opposerons au Congrès une résistance ferme et pacifique, afin de préserver nos droits. Nous dénoncerons tous les renoncements proposés. Nous ne le ferons pas tout seuls. Nous avons besoin de l’aide et du soutien de la société brésilienne et du reste du monde. Le rôle de la communauté internationale est essentiel pour contrer cette attaque et faire prévaloir les droits fondamentaux dans un pays qui mérite de susciter de nouveau l’admiration.

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