Ouvrir le dialogue pour protéger les droits des femmes handicapées Par Camille Roch, Tale Longva

Des séances de dialogue sur les droits humains avec les populations locales permettent de trouver des solutions pour mettre fin à la double discrimination dont sont victimes les femmes souffrant d’un handicap au Sénégal.

Une dizaine de femmes sont assises devant l’Association nationale des handicapés moteurs (ANHM) à Thiès, au Sénégal, après une séance de dialogue sur la discrimination.

« Chaque jour, nous sommes confrontées à des difficultés », explique Absa Seye, une jeune femme qui a participé à la séance. « Les femmes enceintes handicapées sont stigmatisées et beaucoup hésitent à sortir pendant leur grossesse. »

Au Sénégal, les femmes souffrant d’un handicap sont souvent victimes d’une double discrimination : non seulement du fait que ce sont des femmes, mais également en raison de leur handicap. À cause des préjugés, elles risquent fortement d’être stigmatisées et elles se trouvent dans une situation extrêmement défavorable par rapport au reste de la population.

Les difficultés liées à leur état de santé les exposent à toutes les formes de violences sexuelles et de violences liées au genre. Une étude menée par HELITE et Handicap International en 2014 a révélé que 9,3 % des femmes sénégalaises handicapées ont déclaré que leur premier rapport sexuel avait été forcé.

Les droits sexuels et reproductifs de ces femmes, tels que leurs besoins spécifiques pendant leur grossesse, sont rarement évoqués. L’accès aux services de santé est souvent compliqué et en raison du manque de personnel médical qualifié, elles ne reçoivent pas les soins dont elles ont besoin.

Pour faire face à ces difficultés, l’ANHM et Amnesty International Sénégal rassemblent des femmes souffrant de handicaps physiques dans le cadre de séances de dialogue, afin d’identifier les discriminations et trouver des solutions pour y remédier.

À travers des débats participatifs avec les membres des collectivités locales, cette approche fondée sur les droits contribue à renforcer leurs connaissances en matière de droits sexuels et reproductifs et à favoriser la participation des autorités et des centres de santé aux efforts de prévention des traitements discriminatoires.

« Ces sessions de dialogue ont aidé à cibler les questions liées à l’accessibilité pour les femmes enceintes, les difficultés qu’elles rencontrent dans leur rôle de mère, mais également les questions liées à la sexualité qui sont, pour la plupart, une chose dont elles ne parlent jamais », explique Aminata Dieye, coordinatrice pour l’éducation aux droits humains à Amnesty International Sénégal.

« J’ai beaucoup appris sur les droits sexuels et reproductifs. Grâce à la formation, nous avons compris l’importance des examens médicaux, car les femmes souffrant d’un handicap ont besoin d’un suivi pendant leur grossesse. La formation a également été une prise de conscience, dans le sens où je peux maintenant envisager une vie de femme mariée, comme n’importe quelle autre femme  », explique Absa.

Deux cents femmes ont participé aux séances de dialogue et militent pour informer d’autres femmes autour d’elles.

Informer les populations locales dans tout le pays

Le projet s’appuie sur cette approche pour amorcer un changement d’attitude et est associé à plusieurs programmes de radio interactifs, dans le but de s’adresser à un public plus vaste, au-delà de la région de Thiès.
Des émissions de radio d’une heure sur Sud FM et Best FM ont accueilli des experts et des spécialistes médicaux d’organisations internationales, afin d’attirer l’attention sur les droits des femmes handicapées.

La ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées par le Sénégal en 2010 a également été abordée dans des entretiens avec des juristes, qui ont examiné le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les droits de ces personnes, afin de dénoncer le climat de discrimination qui prévaut encore aujourd’hui.

« Ce projet a permis de diffuser des informations sur la situation des personnes souffrant d’un handicap, grâce à la sensibilisation tant de nos familles que de la société plus largement grâce aux émissions de radio. Des gens m’ont même interpellée dans la rue pour me dire qu’ils avaient écouté l’émission de radio et qu’ils n’avaient pas conscience des difficultés auxquelles les personnes handicapées sont confrontées », explique Diobe Ndiaye, une jeune femme qui a participé à la séance de dialogue.

Les mêmes droits pour toutes les femmes

Les efforts continus pour protéger les droits des femmes souffrant d’un handicap ont permis d’améliorer la situation. Les rencontres avec les membres des collectivités locales et la formation du personnel médical ont permis de diffuser des informations, d’améliorer l’accès aux centres de soins médicaux et de lever des obstacles spécifiques liés au handicap.

Au centre médical de Thiès par exemple, de petits changements font la différence, remarque Aby Cisse, qui travaille à l’ANHM. Une nouvelle rampe a été installée pour faciliter l’accès et les salles de soins obstétriques ont été déplacées au rez-de-chaussée pour que les femmes puissent consulter le personnel plus facilement.

Grâce à la meilleure visibilité apportée par les émissions de radio, des béquilles fournies par les membres de l’ANHM ont également pu être distribuées par le principal partenaire de l’association.

Le projet mené par l’ANHM et Amnesty Sénégal s’inscrit dans la dynamique des nouvelles mesures sociales mises en place dans le pays dans le but d’aider les personnes souffrant d’un handicap. Une « carte d’égalité des chances », qui donne des avantages financiers à ses titulaires, a notamment été délivrée et accorde, entre autres, une couverture totale ou partielle des coûts des soins médicaux dont ils ont besoin.

Il reste cependant un long chemin à parcourir avant que les femmes handicapées bénéficient des mêmes droits que les autres femmes.

« Les nouvelles mesures comme la carte d’égalité des chances sont nécessaires pour les personnes qui vivent dans une situation de pauvreté extrême, car cela leur permet d’accéder aux soins et aux structures de santé. Mais il y a encore du travail à faire, à la fois en amont et en aval, pour que ces mesures soient pleinement effectives. Il faut par exemple sensibiliser les centres de santé pour s’assurer que les titulaires de cartes bénéficient réellement des services auxquels ils ont droit. »

«  Le projet est également en train de s’élargir et il est important d’inclure les jeunes et d’organiser des sessions de dialogue avec les associations de jeunesse afin de prévenir les discriminations et changer les mentalités  », explique Aminata Dieye.

Au Sénégal, la formation des femmes souffrant d’un handicap fait partie du projet Éducation – Attribution de moyens – Justice, qui vise à renforcer les droits humains et à favoriser une plus grande justice, à travers l’éducation aux droits humains et des projets d’autonomisation, avec un accent particulier sur l’égalité des genres et les droits sexuels et reproductifs des femmes et des jeunes filles

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