Pakistan : Mon frère a été tué pour avoir lutté en faveur de nos droits Par Wrranga Luni, une militante des droits humains membre de l’ethnie pachtoune du Pakistan

Ce billet de blog a été rédigé par Wrranga Luni, une militante des droits humains membre de l’ethnie pachtoune du Pakistan, qui rend hommage à son frère Arman, défenseur des droits humains tué après une manifestation en février 2019. Dans un premier temps, la police n’a même pas autorisé les proches d’Arman à déposer une plainte. Aujourd’hui, ils sont toujours en attente de justice.

Mon frère Arman Luni n’a jamais été un enfant calme. Ma mère dit qu’il déplaçait ses affaires dans toute la maison et se cachait dans les arbres quand elle lui demandait où elles étaient passées. Il adorait le foot, presque autant que sa famille. Il était taquin et toujours plein de joie.

Il m’appelait son « frère » car il pensait que je pouvais en faire tout autant qu’un homme. Il m’a défendu face à ma famille. Arman m’a acheté mon premier ordinateur et m’a appris à taper au clavier. Il m’a inscrite dans une école pour garçons lorsque ma famille a été découragée de me scolariser, l’établissement pour filles le plus proche étant à au moins deux heures de la maison.

Il était aussi mon meilleur ami.

Le 2 février 2019, Arman est mort après avoir été roué de coups par la police. Il menait un sit-in à Loralai, dans la province du Baloutchistan, pour protester contre une attaque terroriste commise à l’encontre de la police du district ce jour-là. Des témoins m’ont raconté qu’Arman et ses amis étaient sur la route quand un véhicule de police les a arrêtés. Selon eux, un officier de police a alors appelé Arman par son nom et ordonné à ses subordonnés de le frapper.

Arman est tombé à terre sous leurs coups de crosse. Gravement blessé, il a été conduit à l’hôpital, où il est décédé.

Nous avions évoqué ce jour. Arman m’avait dit que dans la lutte pour les droits du peuple pachtoune – qui nous ont été donnés par Dieu et par la Constitution – nous pourrions tous deux être blessés.

Nous faisions partie du Pashtun Tahaffuz Movement (PTM, Mouvement pour la protection des Pachtounes), après tout. Notre mouvement, auparavant baptisé Mehsud Tahaffuz Movement, a pris de l’ampleur au Pakistan quand un habitant pachtoune de Karachi, Naqeebullah Mehsud, a été victime d’une exécution extrajudiciaire aux mains de la police municipale le 13 janvier 2018.

Nous demandons la fin des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires et du profilage discriminatoire aux points de contrôle, ainsi que le déminage de notre territoire. Nous voulons que cessent les attaques de groupes armés. Nous voulons plus d’écoles, d’universités et de soins de santé. Nous voulons la paix. Mais au lieu d’entendre nos préoccupations, les autorités nous dénigrent en nous qualifiant de « traîtres » et d’« ennemis de l’État ». Elles cherchent à nous faire taire en raison de notre défiance.

Par conséquent, elles peuvent nous arrêter, si nous avons de la chance. Nous faire subir une disparition forcée, si nous avons moins de chance. Et même nous tuer, si nous n’avons pas de chance du tout.

C’est précisément ce qu’elles ont fait, et plus encore, ces derniers mois. Gulalai Ismail, une autre cheffe de file du mouvement, a « disparu » pendant plus de 30 heures. Sa famille cherchait désespérément à retrouver sa trace, allant d’un bureau de l’administration à l’autre en quête de renseignements.

Le 5 février, plusieurs dizaines de militants ont été emprisonnés. Un autre défenseur des droits humains, Ammar Ali Jan, universitaire et historien habitant à Lahore, a été arrêté le 9 février à 4 h 00 du matin lors d’une descente de police à son domicile, pour avoir participé à une manifestation contre la mort d’Arman. Mon amie Sanna Ejaz, membre du comité principal du PTM, s’est vu infliger une interdiction de quitter le pays.

L’an dernier, Arman et moi avons été nommés dans de fausses plaintes consignées par la police en raison de notre participation à des rassemblements pacifiques du PTM. Je suis toujours en liberté sous caution dans l’une des affaires. Notre camarade Alamzaib Khan, qui a recueilli des éléments sur des violations des droits humains subies par des Pachtounes, est emprisonné à Karachi depuis le 23 janvier. Son seul tort est d’avoir enquêté sur des années de crimes commis contre des membres de sa communauté.

Après plusieurs mois de manifestations, maintenant que la plainte pour la mort d’Arman a été enregistrée par la police, nous faisons campagne pour qu’une enquête indépendante et sérieuse soit menée et que les auteurs présumés soient amenés à rendre des comptes. On ne peut pas faire confiance à la police pour enquêter sur elle-même. Rao Anwar, l’officier de police accusé de l’exécution extrajudiciaire de Naqeebullah Mehsud, continue d’échapper à la justice.

Arman œuvrait pour la paix dans les provinces de Khyber-Pakhtunkhwa et du Baloutchistan. Il pensait que la conscience politique, le militantisme et l’organisation des masses en faveur de la démocratie, de l’équité et de la justice sociale permettraient d’y parvenir.

Il envisageait le Pakistan comme une fédération transparente et démocratique rassemblant les Pachtounes, les Baloutches, les Sindhis, les Seraikis, les Pendjabis et d’autres groupes ethniques, où toutes les personnes auraient leur liberté de religion et d’expression et ne subiraient aucune oppression. Sa manière de parler avec passion et patriotisme du Pakistan explique pourquoi tant de personnes l’écoutaient. Pourquoi tant de personnes continuaient de le suivre, malgré le danger croissant. Et pourquoi ses revendications étaient si simples à comprendre – à savoir, que nous soyons traités comme des êtres humains.

Quand nous étions plus jeunes, mon autre frère, Muhammad Qasim, a commencé à travailler comme serveur dans un restaurant. Arman n’avait pas plus de 14 ans et il était un élève assidu de 4e. Néanmoins, il ne voulait pas laisser Qasim porter son fardeau seul, alors il insistait pour prendre son relais pendant la deuxième partie de son service.

Ce besoin d’aider les gens définit comment Arman a vécu sa courte vie. Les femmes qui l’ont connu ont vraiment vu leur existence s’améliorer grâce à lui. Les autres habitants de notre village n’arrêtaient pas de dire à son épouse combien elle avait de la chance de l’avoir. Son affection pour elle était immense, et il le montrait. Ce n’était pas le type de comportement que les hommes affichent généralement envers leurs épouses chez nous.

Lorsque les anciens de notre village lui ont conseillé de faire cesser mon engagement politique – apparemment parce que l’honneur de toute ma tribu reposait sur mes épaules féminines – il m’a défendue. « Je ne vais pas l’enfoncer », a-t-il rétorqué, montrant son progressisme, son féminisme et son engagement sans faille pour l’amélioration des vies dans sa communauté ravagée par la guerre. Nous changions de ville quand les menaces contre nous devenaient plus sérieuses, mais Arman ne m’a jamais demandé d’arrêter. Il accordait une grande attention aux avis différents du sien, mais rejetait la colère et la haine injustifiées.

Il venait de commencer à enseigner la littérature pachto dans une université du Baloutchistan. Je suis désolée pour ses étudiants qui ne reçoivent plus sa sagesse.

Mon frère Arman est mort comme il a vécu. Sa dernière action a été de protéger ceux qui s’élevaient avec lui contre la montée de l’injustice au Pakistan. Énormément de personnes sont venues à ses funérailles, bien que les services de sécurité leur aient interdit d’entrer dans notre ville.

Ce jour-là, je ne souhaitais rien de plus que de le voir réapparaître.

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