Patrice Talon au Bénin. Pas de « nouveau départ » sans protection des droits humains Par Kiné-Fatim Diop, Chargée de Campagnes pour l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International

Mercredi 6 avril, Patrice Talon, le nouveau président béninois, a prêté serment devant le peuple et ses invités.

Dans son projet de société intitulé « le nouveau départ  », le candidat avait annoncé que le mandat présidentiel 2016-2021 devrait «  être un mandat de rupture, de transition, de relance économique et de réformes notamment politiques afin d’impulser une nouvelle dynamique dans le pays ». Malheureusement, la promotion des droits humains semble ne pas avoir été incluse dans ce « nouveau départ ».

En 2015, plusieurs villes du pays, dont Cotonou, la capitale, ont été le théâtre de tensions croissantes à l’approche des élections législatives. La tentative d’arrestation d’un opposant avait entraîné plusieurs jours de manifestations et de heurts entre forces de sécurité et population à Cotonou.

Les autorités ont adopté une réponse liberticide mettant à mal les droits à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique ; les manifestations réclamant les élections à bonne date ont été interdites pendant plusieurs jours avant et après les élections législatives et plusieurs journalistes ont signalé avoir reçu des menaces. Des étudiants de l’université d’Abomey-Calavi qui protestaient contre la suppression des sessions de rattrapage ont été battus et arrêtés par les forces de sécurité, avant d’être remis en liberté quelques jours plus tard.

À l’approche de l’élection présidentielle de mars 2016, les organisations de défense des droits humains ont soulevé à plusieurs occasions d’importantes préoccupations que les candidats étaient appelés à prendre en compte. Malgré nos demandes répétées, le candidat Patrice Talon n’a pas signé le Manifeste pour les droits humains que 21 candidats avaient signé.

Alors que ce mercredi 6 avril, il a prêté serment en tant que président, la solennité de l’atmosphère ne devrait pas faire oublier que de nombreuses violations des droits humains persistent dans le pays et qu’une faible volonté politique en faveur du respect d’engagements internationaux en la matière a été témoignée. La signature du Manifeste pour les droits humains devait constituer la démonstration d’une réelle volonté politique à promouvoir et protéger les droits humains.

Au Bénin, la commission nationale des droits de l’homme n’est pas opérationnelle depuis 2012. Les actes de tortures sont banalisés et les conditions de détention violent de manière flagrante la dignité humaine telle que protégée par l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

La surpopulation carcérale est alarmante. La prison de Cotonou prévue pour 500 détenus en comptait 1 130 en 2015, entraînant ainsi des conditions d’hygiène, de santé, et d’alimentation déplorables. En mai 2015, une pénurie de nourriture a frappé tous les centres de détention du pays pendant trois jours en raison du non-paiement des fournisseurs par l’État. Ces derniers jours la menace d’une nouvelle pénurie semble encore se préciser au regard des nouvelles revendications des prestataires.

Malgré la ratification par le pays, en 2012, du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDC, visant à abolir la peine de mort, le gouvernement n’a toujours pas adopté les dispositions qui permettraient de supprimer ce châtiment de la législation nationale. Les peines prononcées par le passé n’ont pas encore été commuées, et au moins 14 détenus sont encore sous le coup d’une condamnation à mort.

Dans un contexte régional où le Bénin fait figure de modèle de stabilité, il est crucial que le président Patrice Talon affirme publiquement son engagement à rendre opérationnelle la commission nationale des droits de l’homme et à abolir la peine de mort. Cela ferait entrer le Bénin dans le cercle des pays respectueux des droits humains.

Il doit également criminaliser la torture et mettre en place un mécanisme de prévention, comme prévu dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et son protocole facultatif.

Le nouveau président élu devra faire savoir qu’il ne tolérera aucune menace ni attaque contre les journalistes et défenseurs des droits humains, d’où qu’elles viennent. Il doit agir immédiatement et sans hésiter pour abroger les dispositions légales liberticides qui constituent des restrictions arbitraires à la liberté expression.

Le peuple béninois a de fortes attentes en termes de respect des droits humains et de protection des défenseurs des droits humains. Le président Patrice Talon a la responsabilité de garantir, lorsque les forces de sécurité commettent des violations de droits humains, que des enquêtes soient ouvertes et que les personnes présumées responsables soient présentées devant la justice dans le cadre d’un procès équitable.

Il est grand temps que le président qui s’est engagé auprès du peuple béninois à un « nouveau départ » réponde à l’appel des organisations de défense des droits humains. Ce « nouveau départ » ne sera en effet possible que si les droits humains sont mieux protégés

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