Peine de mort. Malgré une forte hausse des exécutions, la tendance mondiale est en faveur de l’abolition Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International

Aftab Bahadur avait 15 ans quand un tribunal pakistanais l’a reconnu coupable du meurtre de trois personnes et l’a condamné à mort.

Sa peine a été prononcée à l’issue d’un simulacre de procès. Aftab a toujours clamé son innocence et affirmé avoir été contraint d’« avouer » sous la torture. Son coaccusé, Ghulam Mustafa, qui l’a chargé à tort pendant le procès, est ensuite revenu sur ses déclarations, reconnaissant que la police l’avait frappé.

Le 10 juin 2015, après pas loin de 24 années d’angoisse dans le quartier des condamnés à mort, Aftab a rendu son dernier soupir, pendu dans une prison de Lahore. À plusieurs reprises, il avait été conduit à la potence et sauvé à la dernière minute – mais pas cette fois-ci.

« On entame le compte à rebours [avant l’exécution], ce qui en soi est déjà extrêmement douloureux et éprouvant. En fait, on meurt plusieurs fois avant de mourir. Personnellement, je ne connais rien de plus terrifiant que d’attendre la mort », a déclaré Aftab aux médias quelques mois avant son exécution.

Aftab est l’une des 326 personnes qui ont été exécutées au Pakistan en 2015. Ce pays a levé, en décembre 2014, son moratoire sur les exécutions de civils à la suite du terrible massacre perpétré par les talibans contre une école de Peshawar. Il s’agissait officiellement de « lutter contre le terrorisme  », même s’il n’a jamais été prouvé que la peine capitale ait un effet plus dissuasif sur les criminels que les autres sanctions.

Le nombre de personnes exécutées au Pakistan est tout simplement colossal : il est le plus élevé jamais enregistré par Amnesty International en une seule année dans ce pays depuis que l’organisation a commencé à tenir des statistiques sur les exécutions, en 1980. Malheureusement, à l’heure où nous publions notre rapport annuel sur la peine de mort dans le monde, le Pakistan n’est pas le seul pays où l’on constate une évolution inquiétante.

Le nombre de mises à mort par l’État a aussi explosé en Iran et en Arabie saoudite. En Iran, au moins 977 personnes ont été exécutées – soit plus de 200 de plus que l’année précédente. La grande majorité avaient été reconnues coupables d’infractions à la législation sur les stupéfiants. De son côté, l’Arabie saoudite a procédé à au moins 158 mises à mort, ce qui représente une hausse incroyable de 76 % par rapport à l’année précédente et le chiffre le plus élevé jamais recensé par l’organisation pour ce pays depuis le début des années 1990.

Ces trois pays – l’Iran, le Pakistan et l’Arabie saoudite – sont les principaux responsables de la hausse vertigineuse et très préoccupante des exécutions dans le monde en 2015. Au total, au moins 1 634 personnes ont été mises à mort dans différents pays, soit le chiffre le plus élevé recensé par Amnesty International depuis plus d’un quart de siècle.

Et ce total mondial n’inclut même pas la Chine, où Amnesty International pense que des milliers de personnes sont exécutées chaque année. Toutefois, il est impossible d’obtenir des statistiques exactes sur l’application de la peine capitale dans ce pays car ces données sont classées secret d’État par les autorités chinoises.

Pour une organisation comme Amnesty International, qui fait campagne pour l’abolition de la peine de mort depuis des dizaines d’années, les revers de 2015 sont tout aussi préoccupants que consternants. Outre le nombre de vies prématurément interrompues, le recours à la peine de mort s’accompagne dans de nombreux pays d’une multitude de problèmes graves : procès inéquitables, utilisation de la torture pour arracher des « aveux », condamnations à mort de mineurs délinquants, et manque de transparence, pour n’en citer que quelques-uns.

Heureusement, 2015 n’a pas été seulement l’année des mauvaises nouvelles. Elle a été en réalité, d’une certaine façon, l’année des extrêmes, avec de fortes évolutions des deux côtés de la balance. Les 25 pays du globe qui ont procédé à des exécutions représentent une minorité isolée. De fait, l’Arabie saoudite, l’Iran et le Pakistan ont été à eux seuls à l’origine de près de 90 % des exécutions recensées dans le monde (hors Chine).

L’année 2015 a aussi vu un nombre record de pays supprimer totalement la peine de mort de leur législation. Au total, quatre États – le Congo, Fidji, Madagascar et le Suriname – ont aboli la peine capitale pour toutes les infractions, et la Mongolie a adopté un nouveau Code pénal qui la fera rejoindre les rangs des pays abolitionnistes en 2016.

Pour la première fois, une majorité de pays du monde disposent de cadres juridiques qui ne font aucunement mention de la peine de mort. Au total, 140 pays ont entièrement aboli ce châtiment en droit ou en pratique.

Une analyse de l’évolution sur le long terme montre une tendance mondiale plus nette que jamais à l’abolition de la peine de mort. Certes, 25 pays ont procédé à des exécutions en 2015, mais en 1996, il y a seulement 20 ans, ils étaient 39. Lorsque les Nations unies ont été créées en 1945, seuls huit pays avaient aboli la peine de mort pour tous les crimes. Ils sont aujourd’hui 102, et d’autres s’apprêtent à faire de même.

Les pays qui continuent d’exécuter des condamnés doivent prendre conscience qu’ils se trouvent du mauvais côté de l’histoire, et instaurer immédiatement des moratoires sur la peine capitale en vue de son abolition.

Il est impossible de ramener à la vie les centaines de personnes mises à mort durant l’année 2015 en Iran, au Pakistan, en Arabie saoudite et ailleurs, mais les autorités de ces pays peuvent au moins faire en sorte qu’aucune vie ne soit plus interrompue prématurément au nom de la «  justice  ».

Cet article a été publié en exclusivité sur le site web de la CNN : http://edition.cnn.com/2016/04/06/opinions/death-penalty-numbers-shetty/index.html

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