« Personne ne devrait être emprisonné uniquement pour avoir défendu les droits humains » Omar al-Qahtani

Le jour de son 17e anniversaire, Omar écrit à propos de son père Mohammad al Qahtani, un défenseur des droits humains et membre fondateur de l’Association saoudienne des droits civils et politiques (ACPRA), une des rares organisations indépendantes de défense des droits humains en Arabie saoudite. Mohammad al Qahtani purge actuellement une peine de 10 ans d’emprisonnement pour avoir pacifiquement réclamé des réformes dans le pays.

Je m’appelle Omar Al Qahtani, et aujourd’hui, j’ai 17 ans.

J’ai deux frères et deux sœurs : Abdullah, le plus âgé (20 ans), puis Norah (18 ans), puis moi, puis Othman (15 ans) et enfin Layla (4 ans). Et puis il y a Harley Davidson (24 mois), notre chat.

Nous sommes ce que l’on appellerait une famille normale, sauf que nous sommes loin de notre père, qui est emprisonné en Arabie saoudite depuis 5 ans. Mais heureusement, nous lui parlons tous les jours. Mon père est très courageux et il ne renoncera jamais à ses convictions. Nous sommes tous très fiers de lui.

Mon père adore s’amuser avec nous et profiter de la vie, mais il est très sérieux en ce qui concerne l’école et le travail. Avant son arrestation, la vie en Arabie saoudite était différente : elle était plus simple.

Nous vivions à Riyadh, la capitale, et tous les jours, Papa nous conduisait à l’école avant que Maman et lui aillent au travail. Les week-ends, nous allions faire des pique-niques, surtout l’été quand il faisait beau et chaud, et nous nous asseyions ensemble à l’ombre d’un arbre. Le soir, nous faisions des feux de camp et des barbecues et nous nous racontions des histoires en buvant un thé ou un chocolat chaud. Parfois, avant la naissance de ma plus jeune sœur Layla, nous campions sur les terres de mon père, blottis dans nos duvets pour la nuit. Les jours où nous n’allions pas à l’école, Papa nous emmenait dans les dunes de sable pour faire de la motodune.

Il me manque tellement.

J’aimerais qu’il me réveille le matin et nous emmène à l’école comme avant, j’aimerais passer des soirées entre garçons avec mes frères et lui comme avant, j’aimerais que nous allions nous amuser dans le désert et que nous fassions des pique-niques au soleil comme avant.

Mon père est très intelligent et il se bat pour notre avenir et celui de tout le monde. En réclamant des réformes, il a fait ce qui était juste, il ne devrait pas être en prison. Chacun a le droit à la liberté d’expression.

Un jour, quand nous vivions encore en Arabie saoudite, mon père m’a dit d’aller au tribunal pour assister à son procès. Il voulait que je comprenne ce qui lui arrivait. Je ne me souviens pas très bien, je n’avais que 12 ou 13 ans à l’époque. Mais je me souviens qu’il était poursuivi pour 11 chefs d’inculpation, notamment pour création d’une organisation non autorisée et désobéissance à l’égard du souverain. Aucune de ces accusations n’avait de sens.

La dernière fois que je l’ai vu avant de déménager aux États-Unis, nous étions à l’aéroport et il était très bien habillé. Le sourire qu’il nous faisait est toujours gravé dans ma mémoire.

Mais peu après notre départ, il a été arrêté. J’étais aux États-Unis et je ne l’ai appris qu’un mois plus tard. J’étais avec ma famille et je n’y croyais pas. J’étais vraiment choqué et je refusais de croire ce que l’on me disait.

Nous avons quitté l’Arabie saoudite au début de l’année 2013. L’école se passait assez bien. Je parlais déjà plutôt bien anglais et, même si c’était difficile, les choses se sont progressivement améliorées. Mon premier jour à l’école, j’ai rencontré toutes ces personnes de différents pays du monde, comme Konstantin de Macédoine et Juan de Porto Rico. Après un mois, j’ai commencé à me faire des amis.

Mais être loin de mon père, que je ne voyais plus tous les matins, me donnait l’impression qu’il manquait toujours quelque chose.

Cette année, mes deux frères et moi sommes retournés en Arabie saoudite pour rendre visite à notre père en prison pour la première fois en quatre ans.

Le premier jour de visite, après environ cinq heures d’attente à la prison parce que mon père ne voulait pas que nous le voyions menotté, les gardes ont refusé de le laisser nous voir en privé. Nous avons donc dû partir. C’était vraiment dur. J’étais si content et pressé de voir mon père, mais nous avons dû attendre, sans savoir quand nous pourrions enfin le prendre dans nos bras.

La deuxième fois, nous avons enfin pu le voir. Il avait l’air aussi content que choqué lorsque nous sommes entrés dans la petite pièce où il était assis. J’ai vu une caméra braquée sur nous à l’angle de la pièce.

Le sentiment que j’ai eu en prenant mon père dans mes bras pour la première fois depuis quatre ans était indescriptible. J’étais heureux et triste en même temps, mais surtout, je me trouvais chanceux : chanceux d’avoir un père si exceptionnel et chanceux de pouvoir le revoir.

Il avait l’air d’aller assez bien, mais avait perdu beaucoup de poids. Il était choqué de voir comme j’avais grandi, et il m’a dit : « Tu es vraiment devenu un homme, Omar »

Nous sommes restés avec lui une heure environ, je ne voulais pas que cela se termine. Il souriait tout le temps et écoutait ce que nous lui racontions. Il nous a conseillé de nous concentrer et d’avoir de bons résultats à l’école. « Si vous échouez, c’est moi aussi qui échoue », m’a-t-il dit.

Aux personnes qui lisent ce texte dans le monde : je ne sais pas comment vous pouvez nous aider, mais voir que des gens veulent connaître la vérité me donne espoir. Je vous demande seulement de soutenir mon père, de faire vivre son histoire et ses convictions et de dire au gouvernement saoudien que personne ne devrait être traité de cette façon. Personne ne devrait être emprisonné uniquement pour avoir défendu les droits humains.

À mes frères et sœurs d’Arabie saoudite : souvenez-vous que la vérité, grande ou petite, sera révélée tôt ou tard. Dans notre pays, il y a une vraie différence entre la justice et la loi : la première est toujours véridique alors que la deuxième est manipulée par l’Homme.

Mohammad al Qahtani est un prisonnier d’opinion et n’aurait jamais dû être emprisonné. Amnesty International demande au Roi Salman de le libérer immédiatement et sans condition.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit