Quatre choses à savoir sur le Nicaragua et Ortega Par Erika Guevara-Rosas, directrice du programme Amériques d’Amnesty International

En début de semaine, des millions de personnes autour du monde seront scotchées devant leurs écrans de télévision et les réseaux sociaux, les yeux rivés sur l’élection aux États-Unis, pour connaître enfin le nom de celui ou celle qui dirigera le pays le plus puissant de la planète.

À 3 000 kilomètres, dans une nation bien plus petite au cœur de l’Amérique centrale, une autre élection est prévue, quelques jours plus tôt. Bien que l’élection présidentielle au Nicaragua ne bénéficie pas de la même résonance que la course qui oppose Clinton à Trump, elle est tout aussi polémique.

Le président Daniel Ortega, dirigeant du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), parti au pouvoir, briguera un quatrième mandat consécutif. Son épouse, Rosario Murillo, brigue la vice-présidence.

Tous deux sont accusés d’avoir mené une campagne visant à éliminer toute forme d’opposition.

Pour les six millions d’habitants du Nicaragua, pays riche en ressources, les scandales politiques ne sont pas nouveau. Ils sont symptomatiques de la dégradation de la situation des droits humains à laquelle est confronté ce petit pays invisible des Amériques – où les ressources naturelles élémentaires telles que la terre et l’eau marquent les lignes de front d’une lutte entre une poignée de puissants et les majorités marginalisées.

Voici quatre éléments que vous devez connaître sur le contexte des élections au Nicaragua :

1 - Le développement, réservé à certains

En 2013, l’Assemblée nationale du Nicaragua a adopté une loi pour légitimer la construction d’un canal interocéanique censé concurrencer celui de Panama. Une fois achevé, il reliera l’Océan pacifique à la mer des Caraïbes et, selon certains, injectera des millions de dollars dans l’économie du pays, notamment en générant des dizaines de milliers d’emplois.

Mais ce canal contraindra aussi des dizaines de milliers de personnes, notamment des membres de communautés autochtones, à quitter leurs terres. Il affectera leurs moyens de subsistance et leurs ressources naturelles vitales, comme l’eau, et aura un impact sur les générations à venir – impact qui pourrait prendre le pas sur les éventuels bénéfices économiques.

En outre, ce projet a servi d’excuse pour adopter une loi qui donne carte blanche au gouvernement nicaraguayen s’agissant d’autoriser la poursuite de projets de développement (notamment l’exploitation de ressources naturelles vitales), sans se soucier de l’avis des nombreuses communautés touchées.

2 - Les femmes, des citoyens de seconde zone

Les femmes qui vivent dans la pauvreté au Nicaragua demeurent les principales victimes de la mortalité maternelle et le pays affiche l’un des taux de grossesse chez les adolescentes les plus élevés du continent : 28 % des femmes donnent la vie avant l’âge de 18 ans. Les femmes sont également en butte à des lois sur l’avortement parmi les plus strictes du globe. L’avortement est interdit en toutes circonstances, même lorsque la vie de la femme ou de la jeune fille enceinte est en jeu.

Dans un climat marqué par l’impunité pour les crimes fondés sur le genre, les organisations locales qui défendent les droits des femmes sont constamment menacées. En juin, un centre d’accueil géré par la Fondation civile pour soutenir les femmes victimes de violences a été vandalisé. Les autorités n’ont pas ouvert d’enquête sur cet incident. Hélas, c’est loin d’être un cas isolé.

3 - Les droits des peuples autochtones piétinés

Les populations indigènes au Nicaragua sont également traitées comme des citoyens de seconde zone, leurs droits sont constamment piétinés et leurs voix ne sont pas écoutées, car leurs revendications entrent bien souvent en conflit avec de puissants intérêts économiques.

En 2015, dans la région autonome de l’Atlantique nord (RAAN) – où vivent les mythiques « Mosquitia » – une violente lutte s’est engagée au sujet de leur territoire. Les communautés autochtones des Miskitos ont été la cible de menaces, d’attaques, d’assassinats, d’agressions sexuelles et de déplacements forcés imputables à des colons non-autochtones. L’État manque totalement à son devoir de leur offrir une protection efficace. Dans ce contexte, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a décrété des mesures de protection en faveur de certaines communautés Miskitos, et a demandé au Nicaragua de les protéger.

En mai 2016, les dirigeants de communautés indigènes et afro-américaines Rama-Kriol ont déclaré que l’accord pour la construction du Grand Canal du Nicaragua avait été signé sans véritable processus de consultation, en violation de leur droit à un consentement préalable et éclairé.

4 - Le « crime » consistant à défendre les droits humains

Les militants qui défendent les droits fondamentaux et l’accès aux ressources naturelles sont soumis à des actes de harcèlement et à des attaques systématiques visant à étouffer leurs revendications. Ces attaques font rarement l’objet d’enquêtes.

La Commission interaméricaine des droits de l’homme ayant accordé des mesures de protection, les autorités doivent mettre en place des mesures visant à protéger les défenseurs des droits humains du Centre pour la justice et les droits de l’homme de la côte atlantique du Nicaragua, qui ont reçu des menaces de mort en raison de leur travail sur les droits des autochtones.

En outre, la coordinatrice du Conseil national pour la défense de la terre, du lac et de la souveraineté, a récemment signalé des actes d’intimidation et de harcèlement dirigés contre elle-même et sa famille. Elle dénonce activement les possibles répercussions du Grand canal interocéanique sur les communautés paysannes du Nicaragua.

Fait inquiétant, le Nicaragua renoue promptement avec certaines des périodes les plus sombres qu’il a connues ces dernières décennies : le gouvernement ferme les yeux sur les violations des droits qu’il a promis de respecter et sanctionne quiconque « sort du rang ».

Cette stratégie est à la fois malavisée et illégale.

En s’abstenant de protéger les droits fondamentaux, de garantir l’accès aux ressources naturelles essentielles à la vie et de respecter ceux qui les défendent, les autorités nicaraguayennes condamnent des millions de personnes à un avenir fait d’inégalité et de souffrance.

Pourtant, une autre voie est possible. Quelle que soit la personne élue aux commandes de cette nation d’Amérique centrale durant les cinq prochaines années, elle devra examiner sérieusement les discours sur les droits humains et la réalité que vivent des millions de personnes, particulièrement les plus marginalisées, et veiller à ce que les priorités du futur gouvernement en soient le reflet.

Dans le cas contraire, le pays pourrait bien être entraîné en chute libre – et remonter la pente serait alors un défi de taille.

Ce billet d’opinion a initialement été publié par IPS.

Pour en savoir plus :

« Nous avons de l’espoir, nous avons des droits, nous gagnerons ce combat. » (Blog, 16 octobre 2016)

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