Union africaine. Il faut que la paix et la sécurité en Afrique soient la priorité absolue du prochain président Japhet Biegon, coordonnateur des activités de plaidoyer pour l’Afrique

Toute personne s’intéressant de près aux sommets de l’Union africaine (UA) est susceptible d’observer un fait inquiétant et récurrent. Depuis quelques années, ces réunions de janvier sont précédées d’une montée en tension et de la survenue d’un conflit violent ou d’une crise politique à un endroit ou un autre du continent.

En décembre 2014, soit quelques semaines seulement avant le sommet qui devait se tenir en janvier 2015 au siège de l’UA à Addis-Abeba (Éthiopie), des violences ont éclaté au Soudan du Sud voisin. Des atrocités ont été commises en l’espace de quelques jours, ce qui a incité le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA – organe chargé du maintien de la paix et de la sécurité sur le continent – à créer une commission d’enquête sur les droits humains.

L’année suivante, alors que le sommet de janvier 2016 se préparait, on a vu poindre un nouveau conflit violent. Le 11 décembre 2015, les forces de sécurité burundaises ont tué illégalement des dizaines de personnes à la suite d’une attaque rebelle contre des installations militaires qui avait eu lieu avant l’aube à Bujumbura, la capitale. Le CPS a annoncé qu’il enverrait des militaires au Burundi pour faire cesser ce bain de sang mais a finalement annulé sa décision.

Les circonstances dans lesquelles le sommet se déroule cette année ne sont pas différentes.

En Gambie, le refus de Yahya Jammeh de quitter le pouvoir après avoir perdu l’élection du 1er décembre a déclenché une crise politique ; le pays se trouve sur le fil du rasoir et la région tout entière est en proie à des tensions. Des milliers de personnes se sont réfugiées au Sénégal voisin.

Une fois de plus, tous les regards sont braqués sur l’UA – ainsi que sur les communautés économiques régionales comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) –, qui est tenue de prévenir les conflits et les crises, d’intervenir dans ces circonstances et, plus particulièrement, de s’occuper des atteintes aux droits humains auxquelles elles donnent lieu. Dans ce contexte, il est important de rappeler que le rôle que l’AU joue dans un conflit ou une crise en particulier est défini et orienté en grande partie par le président de la Commission de l’Union africaine (CUA). En effet, selon le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, le président de la CUA, de concert avec le CPS, « déploie tous les efforts et prend toutes les initiatives jugées appropriées en vue de la prévention, de la gestion et du règlement des conflits ».

Cette fonction cruciale a été remplie pendant les quatre dernières années par Nkosazana Dlamini-Zuma (Afrique du Sud). Le mandat de celle-ci touchant à sa fin, un nouveau président sera élu lors du sommet en cours à Addis-Abeba. Cinq diplomates africains sont en lice : Abdoulaye Bathily, ancien ministre sénégalais de l’Environnement et ancien envoyé spécial de l’Organisation des Nations unies (ONU) pour l’Afrique centrale ; Moussa Faki Mahamat, ministre tchadien des Affaires étrangères ; Amina Mohamed, ministre kenyane des Affaires étrangères ; Agapito Mba Mokuy, ministre équato-guinéen des Affaires étrangères, et Pelonomi Venson-Moitoi, ministre botswanaise des Affaires étrangères. Les spéculations sur l’issue du vote vont bon train, mais quiconque remportera l’élection devra s’attaquer aux problèmes qui se posent actuellement sur le continent en matière de paix et de sécurité.

L’une des missions principales du nouveau président consistera à amener l’UA à concrétiser progressivement son objectif de faire taire les armes sur le continent d’ici à 2020. Compte tenu de ce court délai, il faudra qu’il mette en place rapidement des structures qui donneront un nouvel élan au cadre de l’UA concernant les atteintes aux droits humains perpétrées dans un contexte de conflit ou de crise.

De quoi s’agit-il précisément ?

Premièrement, il faudra que le nouveau président, avec détermination et constance, accorde la priorité à la lutte contre les violations des droits humains qui ont mené aux conflits et/ou sont commises dans ce contexte. La réaction de l’UA face aux violations des droits humains commises pendant les conflits a été généralement lente, inconstante et ponctuelle. L’UA devra désormais adopter une stratégie globale et cohérente, et faire preuve de la volonté politique nécessaire pour la mettre en œuvre.

Deuxièmement, il faudra que le nouveau président veille à la coordination et à la synergie des interventions institutionnelles de l’UA. Tous les organes et institutions de l’UA chargés des droits humains, de la paix et de la sécurité devront suivre une même ligne. Il faudra que le président s’efforce de résoudre les difficultés d’harmonisation entre les instances garantes de la paix et la sécurité et la structure de gouvernance en Afrique. Par ailleurs, il devra faire en sorte de renforcer les relations et la collaboration entre l’UA et les communautés économiques régionales sur les questions relatives à la paix et la sécurité.

Troisièmement, il faudra que le nouveau président parvienne à raviver l’attention de la région et de la communauté internationale à l’égard de conflits anciens et pratiquement oubliés, comme ceux qui déchirent toujours les États soudanais du Nil Bleu, du Kordofan du Sud et du Darfour. Bien que l’UA et le reste de la communauté internationale tendent à « normaliser » leurs relations avec le Soudan, ce pays continue d’être le théâtre de graves violations des droits humains. En septembre 2016, des recherches menées par Amnesty International ont révélé que les forces de sécurité soudanaises s’en prenaient encore aux civils en se rendant coupables de crimes de droit international. Elles auraient ainsi utilisé des armes chimiques dans la région du Djebel Marra.

Quatrièmement, il faudra que le nouveau président réaffirme publiquement que l’UA entend fermement amener les responsables présumés de crimes de droit international à rendre des comptes, comme elle s’y est engagée. Aussi bien au Soudan qu’au Burundi, il aura la possibilité de prendre des mesures spécifiques et urgentes en faveur de la redevabilité et la justice. L’accord de paix d’août 2015 concernant le Soudan du Sud prévoit la création d’un tribunal mixte – disposition qu’il convient d’appliquer sans plus tarder. Par ailleurs, le nouveau président devra se pencher sur la recommandation de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples relative à la création d’un tribunal spécial pour le Burundi.

L’impunité demeure le dénominateur commun de tous les grands conflits africains, les auteurs présumés de violations manifestes des droits humains étant rarement amenés à rendre des comptes. Tant qu’elle perdurera, elle alimentera sans cesse la violence.

Le nouveau président devra, avant tout, faire de la promotion et de la protection des droits humains non pas un saupoudrage opportun, mais bien un ingrédient essentiel de la stratégie de prévention des conflits de l’UA.

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