Hommage à un grand homme

« Comment vas-tu, mon cher Philippe ? ». C’est par ces mots que Gaetan Mootoo commençait ces nombreuses conversations téléphoniques que nous avons eues tout au long de ces dizaines d’années où j’ai eu l’honneur de travailler avec lui, avant qu’il ne nous quitte brutalement dans cette nuit maudite de vendredi à samedi.

D’une classe irréprochable, presque dandy, même au coeur de la brousse, Gaetan était surtout quelqu’un pour qui l’Humain signifiait quelque chose. Il était sans cesse à l’écoute, prêt à entendre le plus pauvre individu.

À travers toute l’Afrique de l’Ouest, il a été un cauchemar pour les dirigeants de ces pays-là, car il représentait la vérité et leur renvoyait dans la face la souffrance qu’il avait su entendre sur le terrain

À travers toute l’Afrique de l’Ouest, il a été un cauchemar pour les dirigeants de ces pays-là, car il représentait la vérité et leur renvoyait dans la face la souffrance qu’il avait su entendre sur le terrain et lors de ces innombrables rencontres sur le terrain ou à Paris. Même si ces dirigeants avaient parfois pu survivre grâce à lui lorsqu’ils étaient eux-mêmes des opposants malmenés. L’un d’entre eux l’appela d’ailleurs un jour à la maison, en lui disant : « Mais enfin, Gaëtan, c’est quoi ce rapport ? On se connaît quand même depuis longtemps ! — Justement, lui répondit-il. Tu devrais savoir que ce serait ton tour, si tu te permets de telles choses ».

Il exigeait des comptes, mais il en rendait aussi. Ainsi, j’ai eu l’occasion avec Alex Neve de le voir rendre visite à des victimes en Côte d’Ivoire, pour leur montrer le rapport qu’il avait écrit sur base de leur témoignage. Il prenait le temps de feuilleter avec elles le rapport, soulignant du doigt les passages les concernant, le lisant pour celles qui ne savaient pas lire. Pas besoin de grandes théories sur l’implication des victimes dans les processus de changement... Il les mettait en oeuvre depuis longtemps déjà...

Gaëtan n’était pas un narcissique ; il a toujours préféré travailler dans l’ombre ; mais ne nous y perdons pas : ce fut sans doute l’un des plus grands influenceurs que cette région d’Afrique ait connue. Il a obtenu maints changements et améliorations qui auraient du lui valoir de nombreux prix et médailles. Mais il n’en avait rien à cirer. Ce sont les droits humains — à travers une fidélité sans épreuve à Amnesty— qui le guidaient, pas la notoriété.

« Gaëtan Mootoo a accompagné des générations entières de défenseurs des droits humains. »

Gaëtan était aussi quelqu’un qui vous donnait l’impression d’être la seule personne qui compte au monde. Patient, il prenait le temps de vous apprendre avec délicatesse et finesse les bases du métier. Et surtout, surtout, il a accompagné des générations entières de défenseurs des droits humains.

Encore tout récemment, j’ai eu l’occasion de parler avec un couple de défenseurs de la région qu’il m’avait présenté. Ces derniers m’ont expliqué en long et en large comment il les aidait pour préparer le travail de plaidoyer à l’occasion d’un sommet régional de chefs d’état...
On ne pourra que regretter qu’on ne lui ai pas collé de force la fonction de formateur. Il aurait pu la mener sur le terrain.

Gaëtan n’avait pas d’horaires non plus. Il travaillait de façon inimaginable, se dépensant sans compter. On avait envie de lui dire régulièrement : « mais arrête-toi un petit peu... ». Mais le monde n’attendait pas.

Et le monde l’a rattrapé peut-être. Sa mort violente a fait un trou dans mon coeur comme à des milliers de personnes un peu partout dans le monde.
Mais la vigueur de ton engagement doit nous pousser à continuer le combat. Ca va être triste et difficile. Mais il le faut. Merci pour tout.

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