Lettre ouverte au Collège des commissaires concernant la situation en Pologne

Collège des Commissaires
Commission européenne

Monsieur le Commissaire,

Étant donné que la Commission européenne doit bientôt examiner la réponse de la Pologne à sa recommandation du 21 décembre 2016 [1], complémentaire à la recommandation (UE) 2016/1374 [2]de la Commission relative à l’état de droit dans cet État membre, nous appuyons l’avis de la Commission selon lequel on constate une détérioration constante de l’état de droit en Pologne. Nous estimons que cette évaluation, combinée à des préoccupations concernant l’existence d’un "risque évident de rupture sérieuse" [3] par le gouvernement polonais des valeurs visées à l’article 2 TUE, dont la moindre n’est pas le respect des droits de l’homme, doit vous amener à recourir à la procédure prévue à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE).

Il y a un an, nous nous félicitons de la décision de la Commission d’engager, pour la première fois depuis sa création, le Cadre de l’UE pour renforcer l’État de Droit [4] (le Cadre de l’État de Droit) contre la Pologne et engager un dialogue avec cet État membre sur la question des réformes impactant le Tribunal constitutionnel. En activant le Cadre de l’État de Droit jusqu’à la troisième et dernière étape de la procédure, la Commission a démontré son engagement continu à faire en sorte que le gouvernement polonais rende compte de ses attaques contre l’État de droit.

Nous partageons l’opinion de la Commission au sujet de ces modifications législatives. Les réformes ont nui au fonctionnement du Tribunal, affaibli sa légitimité et réduit sérieusement sa capacité à s’acquitter efficacement de son mandat et à jouer le rôle de garantie fondamentale de l’État de droit dans le pays. Ils ont également enfreint l’indépendance du Tribunal et porté atteinte à la sécurité juridique.

Malheureusement, jusqu’à présent, la Pologne n’a pas réussi à apporter une réponse satisfaisante à ces préoccupations. Au lieu de cela, le gouvernement polonais a continué à promulguer des lois sans tenir compte des recommandations de la Commission, et d’une manière qui renforce davantage les problèmes identifiés.

Nous tenons également à souligner que les changements affectant le Tribunal constitutionnel s’inscrivent dans une série plus large de réformes qui sapent les freins et contrepoids et restreignent les droits humains en Pologne. Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel en octobre 2015, des réformes ont été adoptées qui ont considérablement élargi les pouvoirs de l’exécutif aux dépens du pouvoir judiciaire, minant ainsi la séparation des pouvoirs, composante essentielle de l’État de droit. Les tentatives de restreindre les droits humains, y compris la liberté d’expression et la liberté des médias, la liberté de réunion, le droit à la vie privée et les droits sexuels et reproductifs des femmes, en particulier le droit à l’avortement, se sont également multipliés. Bien que les réformes aient rencontré une forte réaction de la société civile, la réaction du gouvernement aux protestations confirme encore sa volonté de faire taire les voix critiques et de maîtriser les contre-pouvoirs démocratiques.

Dans ce contexte, nous soutenons la conclusion de la Commission selon laquelle les attaques contre le Tribunal constitutionnel constituent une menace systémique pour l’état de droit en Pologne, que le gouvernement polonais a refusé de traiter de manière satisfaisante. Nous observons également une attaque plus large contre les valeurs inscrites à l’article 2 du TUE, qui dépasse les limites de l’évaluation de la Commission européenne dans le cadre de l’état de droit.

Comme le dialogue avec le gouvernement polonais dans le cadre de l’état de droit n’a pas été concluant, malgré un avertissement supplémentaire en décembre et n’a pas empêché la Pologne de miner davantage l’état de droit, nous croyons qu’une recommandation de la Commission visant à activer l’article 7 TUE est à ce stade la seule façon de continuer à tenir la Pologne pour compte du non-respect des obligations qui lui incombent en vertu des traités.

Il est nécessaire que la Commission empêche la situation de se détériorer encore davantage. Les expériences passées avec d’autres États membres qui ont fait face à des menaces similaires ont montré que le temps ne résout pas les problèmes mais plutôt risque de les ancrer. Un report supplémentaire du recours à l’article 7 du TUE risque de compromettre sa crédibilité. Il indiquerait aux autres États membres qu’ils peuvent compromettre les valeurs fondatrices qu’ils se sont engagé à respecter et qu’ils ne doivent toujours pas s’attendre à une réponse énergique de l’UE.

D’autre part, recommander le recours à la procédure prévue à l’article 7 du TUE enverrait un signal fort à la Pologne et d’autres États membres, ainsi qu’au public, que la Commission s’engage à assurer le respect des valeurs fondatrices de l’UE et qu’elle est prête à faire ce qui est nécessaire pour les préserver des attaques. Il ouvrirait une nouvelle phase dans laquelle le gouvernement polonais et toutes les institutions de l’UE devront assumer leurs propres responsabilités pour défendre ces valeurs. Enfin, elle enverrait un signal fort à la société civile polonaise selon laquelle la Commission se tient à ses côtés dans sa lutte pour une société dans laquelle la démocratie, l’État de droit, les droits humains et les autres valeurs protégées au titre de l’article 2 TUE sont maintenus. Les tendances alarmantes qui menacent les principes fondateurs des sociétés ouvertes ont émergé dans l’UE et au-delà, ces dernières années ; il est important d’être vigilant et de contrer toute menace avant qu’il ne soit trop tard. L’évolution récente aux États-Unis nous rappelle que la préservation d’un système fondé sur des contrôles efficaces est essentielle pour assurer le respect continu des valeurs qui sous-tendent les démocraties et les droits humains à l’échelle mondiale. Nous vous exhortons donc à stopper le recul de la Pologne par rapport aux valeurs fondatrices de l’UE et à passer aux prochaines étapes décrites à l’article 7 du TUE. Nous attendons votre réponse et nous sommes prêts à fournir toute autre information dont vous pourriez avoir besoin.
Cordialement,

Amnesty International

FIDH (International Federation for Human Rights) Human Rights Watch
Open Society European Policy Institute Reporters without Borders

This letter remains open for endorsement by other organisations. It is supported by the following organisations at the time of publication :

ANTERIS Foundation (ANTERIS Fundacja Pomocy Prawnej)

Association for Development of Civil Society (Pro Humanum - Stowarzyszenie na Rzecz Rozwoju Społeczeństwa Obywatelskiego)

Association for Legal Intervention (Stowarzyszenie Interwencji Prawnej) Autonomy Foundation (Fundacja Autonomia)
Association pro memoriam prof. Zbigniew Holda (Stowarzyszenie im. Profesora Zbigniewa Hołdy) Campaign Against Homophobia (Kampania Przeciw Homofobii)
Citizens Network Watchdog Poland (Sieć Obywatelska Watchdog Polska)
Diversity Workshop Association (Stowarzyszenie Pracownia Różnorodności) Foundation of Local Activity (Fundacja Aktywności Lokalnej)
Helsinki Foundation for Human Rights (Helsińska Fundacja Praw Człowieka)

Institute for Law and Society (Instytut Prawa i Społeczeństwa)

Izabela Jaruga-Nowacka Foundation (Fundacja im. Izabeli Jarugi-Nowackiej) Panoptykon Foundation (Fundacja Panoptykon)
Polish Society of Antidiscrimination Law (Polskie Towarzystwo Prawa Antydyskryminacyjnego) Projekt : Polska association (Stowarzyszenie Projekt : Polska)
Queer May Association (Stowarzyszenie Queerowy Maj)

STER Foundation for Equality and Emancipation (Fundacja na rzecz Równości i Emancypacji STER)

The Association against Anti-Semitism and Xenophobia Open Republic (Stowarzyszenie przeciw Antysemityzmowi i Ksenofobii Otwarta Rzeczpospolita)

The Diversity Foundation Polistrefa (Fundacja na Rzecz Różnorodności Polistrefa) Trans-Fuzja Foundation Poland (Fundacja Trans-Fuzja)
Volunteers of Equality Foundation (Fundacja Wolontariat Równości)

Notes

[1Commission européenne, recommandation de la Commission du 21.12.2016 relative à l’état de droit en Pologne complétant la recommandation (UE) 2016/1374 de la Commission, C (2016) 8950 final.

[2Commission européenne, recommandation de la Commission du 27.7.2016 relative à l’état de droit en Pologne, C (2016) 5703 final.

[3L’article 2 du traité sur l’Union européenne dispose : « L’Union se fonde sur les valeurs du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de l’homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société où prévalent le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ».

[4Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit, COM (2014) 158 / final 2

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