Dans ce pays, beaucoup de filles ne pourront jamais décider qui sera leur époux : elles sont forcées de se marier avec un homme qu’elles ne connaissent souvent même pas, mais que leur père ou leur famille a choisi pour elles. Mariées selon la coutume parfois avant l’âge de 12 ans, elles pourront être unies légalement à cet homme dès qu’elles auront atteint les 14 ans. Si elles se révèlent non fertiles, dans un laps de temps parfois très court, le « mari » peut les ramener chez leurs parents, et se remarier avec une autre femme. Elles seront alors totalement rejetées. Et parfois, un « sort » leur est jeté, qui les rendra définitivement infréquentables. C’est ainsi, comme nous le racontait Soeur Evelyne, responsable d’un centre en province d’aide aux jeunes filles (et aux « vieilles » sorcières), qu’il lui est arrivé de récupérer une jeune fille qui vivait dans un arbre la nuit pour se protéger...
Le besoin d’une approche globale
La loi nationale, en contradiction avec le droit international, autorise encore aujourd’hui le mariage précoce (17 ans pour la femme, 20 pour l’homme). Et même si les lois du pays semblent sur le point de changer, les coutumes ne sont cependant pas près de s’effacer si des mesures suffisantes ne sont pas prises.
Ce n’est pas un rêve : le responsable d’une association basée au Sahel rappelait, lors d’une réunion organisée par nos amis de la section burkinabé, qu’il était parfois possible d’obtenir la collaboration des imams, afin de reculer l’âge du mariage religieux. Mais le chemin est encore long, comme la distance qui sépare parfois ces villages lointains des centres d’aide et de soutien aux femmes. De la même manière, l’impunité dont bénéficient ceux qui pratiquent le mariage forcé (alors qu’il est interdit légalement) ne peut que rendre plus difficile le travail des organisations de terrain. Il est extrêmement rare que des personnes qui n’ont pas respecté la loi soient poursuivies.
Il en va de même avec la contraception, et plus globalement des droits sexuels et reproductifs des femmes ; 17 % seulement d’entre elles y ont recours et la moitié sont mariées à l’âge de 19 ans. Les femmes et les filles ne décident pas quand il s’agit de ces droits. L’accès à la contraception est pourtant crucial pour éviter les grossesses non désirées, réduire le nombre d’avortements et permettre aux femmes de choisir quand elles souhaitent avoir un enfant. Mais elles se voient refuser l’accès à la contraception en raison d’un manque d’argent ou d’information et à cause des distances à parcourir. Sans parler bien entendu du comportement de certains hommes et garçons.
De l’avis de toutes les personnes qui essayent de résoudre ces problèmes, il faut une approche globale afin d’y arriver : poursuite des auteurs, prévention via l’éducation et le travail avec les femmes sur le terrain, éducation des hommes et des responsables religieux… autant de chantiers auxquels se sont attaqués avec vaillance les associations de femmes et la section d’Amnesty International (très présente partout dans le pays). Mais si leur travail est reconnu comme indispensable par les autorités (la police et l’aide sociale viennent d’ailleurs régulièrement conduire des jeunes filles auprès de ces organisations), très peu de moyens leurs sont accordés afin de remplir leurs objectifs.
Alors, heureuses ?
Il est temps que les autorités, avec l’aide de la coopération internationale, s’attaquent réellement à ces questions. C’est la raison pour laquelle Amnesty International vient de lancer une grande campagne en direction des futures autorités (le pays est dans une phase un peu mouvementée de transition). Une pétition internationale va être lancée, et nous avons rencontré des candidats aux prochaines élections afin de leur remettre un manifeste à propos des droits des femmes, ainsi que les ambassades des principaux pays donateurs.
A l’aide de bouts de ficelle, et grâce à la solidarité, les associations de terrain se battent au jour le jour pour donner un meilleur visage au Burkina Faso. « Pour qu’il ne soit pas seulement le « Pays des hommes intègres », mais aussi la patrie des femmes heureuses », comme le disait Alioune Tine, responsable du bureau Afrique de l’Ouest et Centrale d’Amnesty. Et c’est vrai, il y a encore beaucoup de travail…
Philippe Hensmans