Timbuktu. La vie dans les dunes.

Je ne suis jamais allé au Mali. Ce n’est pas l’envie qui a manqué ou qui manquerait, mais voilà… l’occasion ne s’est pas présentée. On en parle souvent à Amnesty, ces dernières années. Parce que la situation est loin d’être brillante et que des combattants venus du Moyen-Âge en pick-ups et bardés d’armes achetées au grand bazar libyen ont décidé de venir en occuper des zones entières.

On pense, mais on est loin, à ces populations qui doivent se soumettre à ces nouveaux maîtres qui leur imposent une charia new style, tellement pointilleuse qu’on se demande quand ses gardiens ont le temps d’encore se battre. Je pense de mon côté aussi à mon camarade Saloum Traoré, directeur de la section malienne, dont la fausse bonhomie et le sens de l’humour expliquent sans doute pourquoi il est encore en vie.

Et je me suis retrouvé au Mali la semaine passée. Assis dans un fauteuil à Bruxelles, j’ai été transporté en deux temps trois mouvements au milieu des dunes. Dans ces paysages fabuleux, ces villes en terre qui semblent simplement émergées du sol.

Mais Timbuktu, car c’est du film qu’il s’agit, c’est évidemment bien plus. C’est … de la poésie garcia-marquezienne africaine lorsque toute une équipe de foot joue sans ballon dans le sable parce que c’est interdit. Ce ballet est une claque délicate aux occupants qui ne savent qu’en faire.

Attention : si Timbuktu est une dentelle cinématographique, c’est aussi parce qu’elle ne veut pas nous imposer une vision manichéenne de l’occupation. Certaines images nous rappellent combien ignoble une idéologie religieuse peut devenir (les images de la lapidation sont terribles, sans être irregardables). Le film nous rappelle cependant que les hommes et les femmes continuent malgré tout à résister (ces femmes qui vendent du poisson sans gants) et surtout à vivre leur vie comme ils et elles le peuvent, avec leurs histoires d’amour et de vaches tuées.

Abderrahmane Sissako nous montre avec tact et délicatesse des destins d’êtres humains, comme cette femme un peu folle qui nous rappelle combien les fous sont nécessaires, notamment en temps de guerre. Ou cette petite fille qui monte sur une dune pour accrocher le réseau GSM : et oui, il y a du réseau GSM au milieu du désert. Ou cette femme qui choisit d’unir son destin à celui de son homme jusqu’au bout. Ou encore comme ce juge islamique qui nous semble suffisamment réfléchi pour peut-être, du moins on l’espère un peu, changer son point de vue.

C’est pour cela que Timbuktu n’est ni un documentaire ni un film de propagande. C’est beaucoup mieux. C’est la vie. Et je le dit clairement à mes amis (et aux autres aussi) : si vous n’allez pas le voir — et vite, je ne vous parle plus.

de Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmed aka Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri, Fatoumata Diawara, Hichem Yacoubi

Sélection Officielle (Compétition), Festival de Cannes 2014

Bayard d’Or du Meilleur Film, Festival International du Film Francophone (FIFF), Namur
Bayard d’Or du Meilleur Scénario, Festival International du Film Francophone (FIFF), Namur
Prix du Jury Junior, Festival International du Film Francophone (FIFF), Namur

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