Les réfugiés bloqués dans un flou juridique Par Guylaine Germain, journaliste

Il y a quelques jours, le 20 juin marquait la Journée mondiale des réfugié·e·s. L’occasion pour Le Fil d’Amnesty de faire le point sur la situation de ces personnes, en particulier celle des Afghan·e·s, qui constituent la nationalité la plus représentée en ce qui concerne les demandes de protection internationale en Belgique. La situation de « non-accueil » par les autorités belges – épinglée par les instances internationales – demeure lourde de conséquences.

Avec 2,7 millions de personnes (selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés), les Afghan·e·s constituent l’une des plus importantes populations réfugiées au mondeet la nationalité la plus représentée en ce qui concerne les demandes de protection internationale en Belgique. Mais une fois passées les frontières, le parcours du combattant est loin d’être terminé. Premier problème à l’arrivée : un défaut d’accueil, qui a déjà valu des milliers de condamnations à la Belgique. Puis, une fois leur dossier pris en charge, nombre de ressortissant·e·s afghan∙e∙s se retrouvent dans un flou juridique. Les conséquences sur leur santé, tant physique que mentale, sont considérables.

DEMANDER L’ASILE

Lorsqu’une personne demande asile à un pays de l’Union européenne, plusieurs options s’ouvrent aux autorités. Ces dernières peuvent lui reconnaître le statut de réfugié·e, parce que cet individu serait victime de persécutions individuelles, ou bien lui octroyer une protection subsidiaire, car son pays d’origine serait, par exemple, en situation de guerre. Les autorités peuvent aussi décider de débouter la personne demandant asile ; un ordre de quitter le territoire est alors délivré, impliquant un retour vers le pays d’origine. Cela étant, ce retour n’est pas sans conditions. En effet, une coopération avec le pays d’origine devra être mise en place. Par ailleurs, l’interdiction de l’expulsion en cas de risque de traitement inhumain et dégradant, ainsi que le droit au respect de la vie privée et familiale doivent être garantis, comme le prévoit la Convention européenne des droits de l’homme.

DÉBOUTÉS, MAIS « INEXPULSABLES »

Dans le cas afghan, les ressortissant∙e∙s se trouvent sans issue : d’une part, la protection subsidiaire ne leur est plus accordée ; d’autre part, ils et elles sont considéré·e·s comme inéloignables. En effet, depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, le régime en place en Afghanistan n’est plus contesté d’une façon qui ferait que le pays pourrait être considéré en état de guerre. Le nombre de reconnaissances de protections subsidiaires par la Belgique aux Afghan·e·s a donc drastiquement diminué. Parallèlement, la Belgique ne reconnaissant pas le régime des talibans, aucun accord de réadmission entre les deux États ne peut être mis en place. Ainsi, les ressortissant·e·s afghan·e·s qui n’obtiennent pas le statut de réfugié·e·s en Belgique ne peuvent être renvoyé·e·s en Afghanistan. Des milliers de personnes se retrouvent alors à la rue et sans-papiers sur le territoire belge, dans un flou juridique et dans des situations précaires.

Pour l’avocat Pierre Robert, spécialisé en droit des étrangers, la Belgique est particulièrement sévère sur la question de l’Afghanistan. « Les Afghans·e·s sont “inexpulsables” et, malgré cela, l’Office des étrangers ne cherche pas de solution sur mesure. » L’avocat évoque à titre d’exemple la protection temporaire octroyée aux Ukrainien∙ne∙s par le Conseil européen, après l’invasion russe. Une solution similaire aurait pu être étudiée par les autorités belges. Selon lui, il s’agirait d’une façon de dissuader les gens de venir en Belgique. De son côté, Amnesty International dénonce « une absurdité qui revient à fabriquer des situations de séjours irrégulier et donc de personnes sans papiers. »

L’ÉTAT DE DROIT PIÉTINÉ

Du fait de ces décisions, des milliers de demandeur·euse·s d’asile sont obligé·e·s de dormir dehors, alors que le régime d’asile européen commun engage tous les États membres de l’UE (dont la Belgique) à subvenir aux besoins de base de ces personnes. « Il reste 2000 à 2500 personnes à l’extérieur et pour lesquelles l’État de droit ne fait pas son travail, évalue Michel Genet, directeur de Médecins du Monde. On constate aussi que rien ne bouge au niveau politique. » Selon lui, l’enjeu se trouve au niveau des entrées à Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeur·euse·s d’asile : « Fedasil veut ouvrir plus de places, mais ça doit s’accompagner de main-d’œuvre. Il y a des conflits et des tensions à gérer dans les centres notamment ; il faut recruter pour cela aussi. Les bâtiments sont aussi difficiles à trouver, il n’y a pas toujours un grand accueil des bourgmestres locaux. Il faudrait enclencher des plans d’urgence, mais les politiques s’y refusent. » Le directeur observe aussi une solidarité de la part de la société civile, avec l’ouverture de plusieurs squats, mais ce n’est une solution ni durable ni souhaitable. « De notre côté, il y a une vraie fatigue psychologique de ne trouver aucune solution de la part de l’État et que personne ne nous entende », conclut Michel Genet.

DE LOURDES CONSÉQUENCES SUR LA SANTÉ

Des examens médicaux sont assurés par Fedasil pour les personnes qui entrent dans le système, mais pas pour les personnes qui stagnent hors du système. Ces dernières n’ont pas accès aux soins préventifs. Pour leur venir en aide, le Hub humanitaire – un consortium d’organisations non gouvernementales piloté par Médecins du Monde, Médecins sans Frontières, la Croix-Rouge de Belgique, la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés et AMO SOS Jeunes – s’est ouvert à quelques minutes du Parc Maximilien à Bruxelles. Le Hub propose des consultations médicales avec des infirmier·ère·s, des médecins ou des sages-femmes ; la possibilité d’obtenir des vêtements et produits d’hygiène ; de l’aide pour retrouver quelqu’un de sa famille ou prendre contact avec sa famille ; des conseils sociojuridiques. « Du point de vue médical, on a vu l’impact de la crise de l’accueil au niveau des cas de gale, explique Jean-Paul Mangion, coordinateur médical à Médecins sans Frontières (MSF).
Cette maladie a principalement touché des demandeur·euse·s d’asile afghan·e·s, car le taux de vaccination des enfants dans les années 2000 était seulement d’environ 30 % en Afghanistan. Ces enfants sont devenu·e·s les adultes qui migrent aujourd’hui. » Le Hub propose aussi des consultations avec des psychologues. Car, à côté des cas de gale, de diphtérie et de rougeole, les demandeur·euse·s d’asile souffrent également de problèmes de santé mentale.

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Au Hub humanitaire, on constate que, en raison de la crise de l’accueil qui perdure, l’état psychique des demandeur·euse·s d’asile contraint·e·s de vivre dans la rue se dégrade.

UN ÉTAT PSYCHIQUE DÉGRADÉ

Jean-Paul Mangion constate que, à cause de la crise de l’accueil, au Hub humanitaire, l’état psychique des personnes en rue se dégrade. « Ça se voit clairement dans nos chiffres : auparavant, moins de 10% des patient·e·s du Hub avec des problèmes de santé mentale étaient demandeur·euse·s d’asile ; aujourd’hui, ce sont 85%. » Il explique que ces personnes ont parfois vécu des traumatismes dans leur pays d’origine et/ou sur le chemin migratoire, dont résultent notamment des syndromes post-traumatiques et des dépressions. Les diverses agressions – physiques, morales et sexuelles –, ainsi que le sentiment d’insécurité, qui peuvent survenir lorsque ces personnes dorment dans la rue, ne sont pas négligeables non plus.

Le coordinateur MSF insiste sur l’importance de prendre en considération la santé mentale de ces personnes. « On arrive encore à soigner les infections comme la gale, mais au niveau de la santé mentale, ce sont des problèmes de plus long terme, avec des répercussions sur le futur. Ces personnes restent en Belgique ; c’est inquiétant de voir qu’on ne donne pas toutes les chances à ces personnes de s’intégrer dans la vie. »

UN CADRE JURIDIQUE INCONTESTABLE...

Pour rappel, selon la Directive de 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, toute personne étrangère arrivant en Belgique peut y demander l’asile et solliciter la protection internationale des autorités belges. La Belgique est ainsi tenue à une obligation de résultat : elle doit protéger les personnes réfugiées se trouvant sur son territoire et leur garantir l’accueil tout au long de l’examen de leur demande par l’Office des étrangers. L’État doit s’assurer qu’elles soient logées, nourries et soignées si besoin. En 2014, l’arrêt Saciri de la Cour de justice de l’Union européenne confirme que les États membres de l’UE ne peuvent pas s’exonérer de cette obligation. Mais, pour plusieurs milliers d’individus, l’État belge n’assure plus cette mission. Selon Fedasil, la Belgique comptait près de 100 centres fédéraux d’accueil, soit 33750 places d’accueil, au 1er mai 2023. En réalité, ce n’est pas suffisant et la Belgique ne parvient pas à fournir des places d’accueil à toutes celles et ceux qui le demandent. Mr Pierre Robert indique : « le cadre juridique est clair, incontestable. C’est pour cela que les condamnations contre la Belgique s’enchaînent. »

...POURTANT NON APPLIQUÉ

« La Belgique fait l’État voyou », assène l’avocat spécialiste de la migration. À ce jour, la Belgique a été condamnée plus de 7000 fois pour défaut d’accueil et a été contrainte à des astreintes, non payées pour la plupart.

« L’État belge est un justiciable comme les autres ; or, il n’exécute que certaines condamnations, à son rythme. Il met de côté les décisions de justice qui ne lui conviennent pas. »

Des recours ont alors été introduits devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour obliger la Belgique à fournir l’accueil ou pour la condamner pour mauvais traitements. Les mesures provisoires de la CEDH n’étant pas non plus respectées, la Belgique a aussi été condamnée pour violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose de l’obligation d’exécuter une décision de justice. Une nouvelle fois, Mr Pierre Robert évoque l’obligation de résultat, et non de moyens, de la Belgique :

« l’État ne peut pas dire qu’il est pris au dépourvu face aux demandes qui augmentent, qu’il ne peut pas accueillir davantage. Ces explications ne sont pas valables juridiquement. Et l’État ne peut pas se défausser sur des organisations non gouvernementales ni sur la société civile », précise-t-il.

UNE « CRISE DE L’ACCUEIL » ?

Amnesty International dénonce une politique irresponsable : en période de crise, comme lors de la guerre en Syrie en 2015, des capacités d’accueil sont créées. Une fois cette crise passée, centres et places d’accueil sont refermés, sans anticiper de futurs flux migratoires. Les nouvelles recherches de places et moyens humains, dans l’urgence, donnent alors l’impression d’être constamment au cœur d’une crise, alors que les demandes d’asile aujourd’hui ne sont pas nécessairement plus hautes qu’en 2015. En réalité, une « crise de gestion de l’accueil » serait une expression plus adéquate qu’une « crise de l’accueil ». Selon Jean-Paul Mangion, coordinateur MSF, les demandeur·euse·s d’asile parvenant jusqu’en Belgique sont doublement victimes : dans un premier temps, d’une crise qui touche leur pays et les affecte physiquement et mentalement ; dans un deuxième temps, d’un système défaillant qui n’arrive pas à les accueillir ni à respecter leur dignité. « À la fin de leur course, elles ont l’espoir que tout va s’arranger. Mais l’espoir devient vite du désespoir.

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