Le 18 mai dernier, les rues de Bruxelles vibraient au rythme des slogans de la Pride. Le temps d’une journée, chacun·e scandait sa liberté d’être et d’aimer qui il·elle souhaitait, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son identité de genre. Ces moments de joie communautaire permettent de célébrer la pluralité des identités. Amnesty International défend ardemment cette liberté, qu’elle considère comme une composante indissociable des droits humains.
Ce jour-là aussi, les drapeaux flottaient en nombre. L’un d’eux, encore méconnu du grand public, ondoyait dans les cortèges. Jaune vif avec un cercle violet en son centre, ce drapeau contraste avec les couleurs bleu et rose traditionnellement associées au « masculin » et au « féminin », marquant ainsi une rupture nette avec ces normes binaires de genre. C’est le drapeau des personnes intersexes, intégré au drapeau Progress Pride en 2021 grâce à Valentino Vecchietti d’Intersex Equality Rights UK.
1,7 % DE LA POPULATION MONDIALE
Dans une société structurée par des constructions binaires, où les enfants doivent naître fille ou garçon, l’intersexuation reste largement ignorée. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) : « les personnes intersexes naissent avec des caractéristiques sexuelles (tels que l’anatomie sexuelle, les organes reproducteurs, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique) qui ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité ou de la féminité. Les experts estiment que jusqu’à 1,7 % de la population naît avec des caractéristiques intersexuelles. »
Ainsi, le terme intersexe s’emploie pour décrire une large gamme de variations corporelles. Celles-ci peuvent être apparentes à la naissance ou ne survenir que plus tard, à la puberté, mais pas seulement. Certaines variations peuvent aussi ne présenter aucun signe extérieurement visible, c’est la raison pour laquelle ces chiffres ne sont que partiels, mais aussi parce qu’ils dépendent en grande partie des diagnostics médicaux.
Par ailleurs, Amnesty International rappelle que l’intersexuation concerne les caractéristiques biologiques et pas l’identité de genre en tant que telle. Il ne s’agit pas non plus de l’orientation sexuelle : les personnes intersexes ont des orientations sexuelles variées.
DES DROITS BAFOUÉS
Dans le monde, les violations des droits des personnes intersexes peuvent aller de la discrimination dans l’éducation, le sport, l’emploi ou d’autres services au manque d’accès à la justice et de reconnaissance juridique. Cela peut aussi conduire dans les situations les plus extrêmes à des infanticides. Les mineur·e·s intersexes subissent aussi régulièrement des interventions médicales forcées d’assignation sexuelle, sans nécessité médicale et effectuées sans un consentement libre et éclairé de la personne mineure ni d’informations adaptées données aux parents qui souvent décident pour leur enfant. Des milliers de mineur·e·s voient alors leur corps et leur vie profondément affectés par ces actes médicaux invasifs et irréversibles, qui bafouent leurs droits à l’intégrité physique, à l’identité et à la vie privée. Ces interventions peuvent avoir des conséquences durables sur le droit à la santé et les droits sexuels et reproductifs, notamment parce qu’elles peuvent gravement compromettre la fertilité.
LA BELGIQUE ÉPINGLÉE PAR LES NATIONS UNIES
En Europe, l’île de Malte et le Portugal sont les pays avec des législations les plus avancées concernant la protection des mineur·e·s intersexes. Malte fait figure de pionnier puisque c’est le seul pays en Europe qui a légiféré que « toute intervention médicale décidée sur la base de facteurs sociaux, sans le consentement du mineur, est illégale. »
La Belgique arbore une position préoccupante sur le plan des droits humains concernant son approche de l’intersexuation. C’est notamment le cas concernant les pratiques médicales qui consistent à assigner un genre aux nouveau-nés et plus largement aux personnes mineures. Dans un rapport publié en 2019, les Nations Unies rappellent à l’ordre le pays et dressent le constat suivant concernant les pratiques médicales en Belgique : « le Comité note avec inquiétude que les enfants nés avec des caractéristiques intersexes sont parfois soumis à des procédures médicales invasives et irréversibles visant à leur assigner un sexe, que ces actions sont souvent basées sur une vision stéréotypée des rôles de genre et qu’elles sont réalisées avant que les personnes en question soient en âge de donner leur consentement libre et éclairé. L’État parti devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à la réalisation d’actes médicaux irréversibles, en particulier des opérations chirurgicales, sur les enfants intersexes qui ne sont pas encore capables de donner leur consentement libre et éclairé, sauf dans les cas où ces interventions sont absolument nécessaires pour des raisons médicales. »
L’Hôpital Universitaire des Enfants Reine Fabiola (HUDERF) a d’ailleurs été condamné en février 2023 pour des traitements « normalisateurs » sur une personne mineure intersexe. Les faits reprochés sont le manque d’information délivrée à la patiente. En effet, à aucun moment, cette dernière n’a eu d’informations sur l’intersexuation ni sur les possibilités d’une opération qui aurait pu avoir lieu plus tardivement dans sa vie d’adulte.
LES MINEURS INTERSEXES SANS PROTECTION
En Belgique, à ce jour, il n’y a aucune réglementation qui permettrait de protéger les mineur·e·s intersexes, ce sont les parents qui jouissent de tous les droits concernant leurs enfants. C’est la raison pour laquelle Amnesty International plaide pour que les interventions médicales forcées ou contraintes chez les mineur·e·s intersexes, telles que les interventions médicales effectuées sans un consentement complet, libre et éclairé, en vertu des recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, soient interdites.
De plus, l’accès aux soins de santé doit être largement amélioré afin de faciliter administrativement le remboursement de ceux-ci pour les personnes intersexes, mais aussi de pouvoir garantir une prise en charge psychologique comme demandé par de nombreuses associations. En 2020, une proposition de résolution déposée par Ecolo-Groen demandait la création d’un cadre juridique pour garantir la protection des droits fondamentaux des personnes intersexes, adaptant ainsi la législation belge à ses obligations internationales. Alors que s’ouvre une nouvelle législature, il est crucial que soient enfin prises en compte les diverses recommandations faites à la Belgique et que des progrès décisifs soient réalisés sur cette question.
Par Lisa Guillaume, journaliste et Julie Capoulade