« Dans les années 70, quand l’arrêt Roe v. Wade est passé, l’avortement ne divisait pas les populations. Les Républicain·e·s l’acceptaient, par exemple. Mais il semblait déjà clair à l’époque que ce sujet allait devenir un problème politique majeur au cours des 40-50 années suivantes. Et ça l’est devenu », explique Tarah Demant.
Aujourd’hui, une minorité conservatrice, catholique, fortement subventionnée et de plus en plus violente a réussi à faire annuler cet arrêt, avec des conséquences directes pour toutes les personnes susceptibles de tomber enceintes.
« L’effet immédiat, c’est que les personnes qui avaient déjà pris rendez-vous ne pourront pas avoir l’attention médicale dont elles ont besoin, poursuit Tarah Demant. Dans certains États, comme en Louisiane, les activistes sont parvenu·e·s à obtenir que les cliniques restent ouvertes ; dans d’autres, comme au Texas, on a vu des cliniques d’avortement déménager au Nouveau-Mexique. »
Mais dans des États gigantesques comme le Texas, se déplacer au-delà des frontières pour avorter n’est pas à la portée de tou·te·s. D’autant plus que certains de ces États, comme le Missouri, commencent à interdire les voyages interÉtats pour avorter et poussent pour faire appliquer la loi au niveau fédéral. D’autres tentent même de criminaliser l’assistance à une personne voulant interrompre sa grossesse.
« Si je veux avorter et que mon compagnon me conduit en dehors des frontières de mon État, il risquerait des poursuites pénales », ajoute Tarah Demant.
Des millions de personnes en grand danger
Forcément, les femmes, les filles et tout individu souhaitant avorter seront en première ligne face aux risques liés à cette décision. Toutes ces personnes seront forcées d’aller au bout de leur grossesse, non sans conséquences graves dans l’un des pays présentant les pires statistiques en matière de mortalité maternelle à la naissance. « Cette situation va toucher de manière disproportionnée les personnes noires ou autochtones, qui subissent déjà les impacts négatifs du système de santé américain, dont on connaît les horribles faiblesses. Et amplifiera les cycles de pauvreté dans la population », déplore Tarah Demant. Mais ce n’est pas tout : de nombreuses personnes essaieront d’avoir recours à des méthodes alternatives dangereuses pour avorter, alors même que s’il est réalisé légalement, l’avortement est une pratique sans risque. « Il est plus sûr d’avorter que d’aller chez le dentiste aux États-Unis », ironise-t-elle.
Sur le plan international, l’annulation de Roe v. Wade est également très problématique. Les États-Unis, en tant que pays très infl uent sur la scène internationale, rendent légitimes leurs actions dans le monde entier. De quoi servir d’excuse pour tout autre pays voulant les imiter. Mais les autorités américaines sont aussi sensibles à la façon dont on parle du pays à l’extérieur de leurs frontières, notamment en Europe : « les petites piques envoyées par des représentant·e·s ou parlementaires belges fonctionnent ; elles embarrassent les autorités américaines. »
Malgré tout, de l’espoir demeure. « Ça a pris 40 ans pour obtenir l’arrêt Roe v. Wade, ça a pris 40 ans pour l’annuler et ça prendra peut-être 40 ans pour le récupérer. Ce sera une longue bataille, ça sera compliqué, mais il faut que nous demeurions mobilisé·e·s. »