Qatar : coup de sifflet final pour l’exploitation des migrants ?

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Dans moins de trois mois, débutera au Qatar l’un des plus grands événements du sport mondial : la Coupe du monde de football. Pour son organisation, des milliers de travailleur·euse·s migrant·e·s ont vu leurs droits bafoués, ce qui a été dénoncé à plusieurs reprises, notamment par Amnesty International. Il est maintenant grand temps que les autorités qatariennes et la FIFA prennent leurs responsabilités. Analyse et interview de Peter Bossaert CEO de l’Union belge de football.

Si l’organisation de la Coupe du monde devait à l’origine contribuer au prestige international du Qatar (pays trois fois plus petit que la Belgique, qui bénéfi cie des revenus et de l’infl uence que lui apportent des gisements de gaz colossaux), l’entreprise de « sportswashing » lancée par les autorités de ce pays a connu de sérieuses contrariétés. En accueillant l’un des événements les plus médiatisés au monde, le Qatar s’est lui-même placé sous le feu des projecteurs, qui ont en particulier révélé au monde que les travailleur·euse·s migrant·e·s originaires d’Asie et d’Afrique, qui composent plus de 90 % de la force de travail du pays, y subissent une exploitation à grande échelle.

La FIFA et les autorités qatariennes critiquées

Face aux nombreuses critiques, les autorités qatariennes ont annoncé des réformes du droit du travail, entre autres pour limiter la forte dépendance existant entre les employé·e·s et leurs employeur·euse·s et instaurer un salaire minimum. Mais la mise en oeuvre des réformes sur le terrain reste incomplète et beaucoup s’interrogent sur la volonté des autorités de poursuivre dans cette direction une fois que les projecteurs de la Coupe du monde auront été éteints.

La Fédération internationale de football (FIFA) est l’autre acteur au centre des critiques. Lorsque l’organisation de la Coupe du monde a été attribuée au Qatar, la FIFA devait avoir connaissance des graves abus auxquels sont soumises ces personnes. En effet, la triste réalité de l’exploitation de la main-d’oeuvre étrangère avait déjà été mise en lumière par des ONG, mais aussi par l’Organisation internationale du travail, le département d’État américain, les médias et même le Comité national des droits humains du Qatar. Il était donc évident, en l’absence de réformes sérieuses du droit du travail, qu’un grand nombre de personnes allaient subir des abus pour que la Coupe du monde puisse avoir lieu.

Réparer et préparer l’avenir

Le Qatar et la FIFA doivent assumer leurs responsabilités et fournir les réparations fi nancières qui s’imposent aux victimes et à leurs familles. Le montant à payer doit être fi xé via un processus participatif et faire l’objet d’une évaluation indépendante. Mais Amnesty propose que la FIFA réserve un montant d’au moins 420 millions d’euros, qui correspond aux primes offertes aux équipes participant à la Coupe du monde, pour l’investir dans des fonds destinés aux réparations.

Cette somme ne représente qu’un faible pourcentage des 5,7 milliards d’euros de recettes que la FIFA prévoit d’engranger grâce à la Coupe du monde. Quant au Qatar, il dispose d’un fonds souverain de plus de 430 milliards d’euros et doit lui aussi fi nancer les programmes allouant des réparations aux travailleur·euse·s.

La Coupe du monde 2022 sera loin d’être exemplaire en matière de prévention, mais si toutes les personnes ayant subi des abus perçoivent une réparation adéquate, elle peut représenter un tournant dans l’engagement de la FIFA pour les droits humains. En outre, si elle renforce et applique strictement ses critères relatifs aux droits humains, la FIFA peut faire en sorte que les préjudices subis en amont de la Coupe du monde au Qatar ne se reproduisent pas ailleurs.

Interview de Peter Bossaert « Nous soutenons la demande de réparations »

En tant que CEO de l’Union belge de football, Peter Bossaert est le patron du football noir-jaune-rouge. Sa fonction l’amène à prendre une part active dans des discussions à différents niveaux concernant la prochaine Coupe du monde de football. C’est donc un acteur clé que nous avons pu interroger pour Le Fil d’Amnesty.

Le FIL : Quelle est la position de l’Union belge de football sur la question des droits humains au Qatar ?

P.B : Quand on se penche sur le passé, on constate que la procédure d’attribution de la Coupe du monde n’a pas été menée de manière correcte et transparente. L’empreinte écologique du tournoi sera importante, les compétitions de clubs devront être interrompues à la mi-saison et, surtout, les droits des travailleur·euse·s migrant·e·s ne sont pas respectés au Qatar. Il y avait donc suffi samment de raisons pour s’opposer à l’organisation de la Coupe du monde dans ce pays.

D’un autre côté, force est de constater qu’aujourd’hui la Coupe du monde joue un rôle de levier et a permis d’amener de réels changements au Qatar. Il reste du travail sur le terrain, mais nous pensons qu’il faut soutenir les changements en cours au Qatar.

Le FIL : Quelle est la position des autres fédérations nationales de football ?

P.B : Certaines fédérations sont sensibles aux enjeux de droits humains et veulent utiliser le football comme levier de changement. Nous faisons partie d’un groupe de travail au sein de l’Union européenne de football (UEFA) créé par plusieurs fédérations européennes, notamment pour soutenir les changements en cours, mais aussi pour voir si les changements opérés au Qatar se maintiendront dans le temps.

Ce groupe porte également un projet d’héritage de la Coupe du monde, qui prendrait la forme d’un centre d’aide aux travailleur·euse·s migrant·e·s et qui pourrait les soutenir dans des domaines comme le logement ou des problèmes juridiques avec leurs employeurs.

Le Fil : Que pensez-vous de la demande de réparations adressée à la FIFA par Amnesty et d’autres organisations pour les violations des droits des travailleur·euse·s migrant·e·s ?

P.B : La demande de réparations est légitime et nous la soutenons. Je ne peux par contre pas exprimer d’avis concernant le montant qui devrait être concrètement versé aux victimes d’abus.

Peut-on faire confiance à la FIFA quand elle prend des engagements pour le respect des droits humains, alors qu’elle s’est longtemps désintéressée du sujet ?

Beaucoup d’événements sportifs ont eu lieu au Qatar ces dernières années, mais il a fallu l’organisation de la Coupe du monde de football pour que des changements aient lieu. Le football peut donc jouer un rôle de levier. Il a fallu du temps à la FIFA pour agir, mais à d’autres aussi.

Le Fil : Attendez-vous des évolutions au Qatar d’ici le début de la Coupe du monde ?

P.B : J’attends une position claire concernant la communauté LGBTQI+. La FIFA et les autorités qatariennes doivent garantir qu’elles accueilleront à bras ouverts les personnes LGBTQI+ au Qatar.

Par ailleurs, alors que l’attention s’est jusqu’ici concentrée sur la situation des travailleur·euse·s migrant·e·s dans le secteur de la construction, il est important de s’assurer que les travailleur·euse·s d’autres secteurs, comme dans les services (hôtellerie, transport, etc.), bénéfi cient aussi des changements.

Le Fil : Les Diables rouges sont-ils prêts à s’exprimer sur la question des droits humains au Qatar ?

P.B : Le rôle de l’Union belge est d’informer au mieux tout le monde sur la situation au Qatar, afi n de permettre à chacun·e de prendre position. C’est dans cet esprit que nous avons récemment organisé une session d’information à destination des Diables rouges avec Amnesty. Les joueurs sont souvent sollicités pour s’exprimer sur des sujets divers et il ne faut pas oublier qu’il s’agit avant tout d’une équipe de football. Mais les Diables sont bien préparés et ils ont conscience de la situation au Qatar. Je pense qu’ils s’exprimeront.

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