C’est en protestant, dans la rue ou en ligne, que la plupart de nos droits fondamentaux ont été obtenus – ou n’ont pas disparu. C’est en protestant que l’on peut dénoncer les inégalités croissantes, la corruption, l’impunité ou les dégradations de l’environnement. C’est en protestant que l’on peut revendiquer le droit d’avorter, son appartenance à une communauté ou son soutien aux personnes minorisées. Mais, ces dernières années, protester est de plus en plus perçu comme une menace par un nombre croissant d’États. Les gouvernements, les groupes armés, les entreprises et autres puissants qui considèrent leurs intérêts menacés développent diverses tactiques et outils pour réduire au silence et réprimer les contestataires et les militant·e·s.
Pourquoi est-ce primordial de défendre notre droit de protester ?
Le droit de protester est une valeur fondamentale, qui permet de protéger la démocratie, la tolérance, l’inclusion et la participation de toutes et tous dans la société. Il y a une quantité de pays où ce droit est cadenassé. Ça donne des régimes autoritaires où les manifestant·e·s sont torturé·e·s, mis·e·s en prison, parfois sans procès.
« En Belgique, le droit de protester est en train d’être détricoté »
Comment le droit de protester est-il réprimé ?
Des atteintes sont portées à l’encontre de ce droit de protester au nom du respect de l’ordre public, de la sécurité nationale ou parfois de la lutte contre le terrorisme. Ces atteintes prennent alors différentes dimensions, qui peuvent être hybrides et s’entremêler.
La première dimension que peut prendre l’atteinte au droit de protester se trouve dans les médias et les discours politiques. Les gouvernants adoptent un discours dénigrant, voire diffamatoire, qui contribue à stigmatiser les manifestant·e·s. De façon informelle, cela peut encourager les actes violents à leur égard. En Allemagne, des militant·e·s pour le climat avaient bloqué une autoroute et des automobilistes immobilisé·e·s les ont traîné·e·s par les cheveux et roué·e·s de coups.
On voit aussi des atteintes dans certaines législations et politiques publiques. En Belgique, le droit de protester est en train d’être détricoté par les pouvoirs législatif et exécutif. La réforme du Code pénal a adopté l’infraction d’atteinte méchante à l’autorité de l’État, qui pourrait conduire à criminaliser certaines formes de protestation et des appels à la désobéissance civile ; ou encore, une circulaire ministérielle de 2022 concernant l’interdiction individuelle et préventive de manifestation. On peut aussi pointer du doigt l’érosion de la gestion négociée de l’espace public, qui laisse place à une répression accrue de la part des autorités.
La troisième atteinte réside dans le traitement réservé par les forces de l’ordre envers les manifestant·e·s et les poursuites pénales, avec des chefs d’accusation toujours plus graves. Cela peut aller de pratiques harcelantes de la part des forces de l’ordre (surveillance, contrôles d’identité abusifs), jusqu’à des maltraitances dans les commissariats.
Enfin, la quatrième dimension se situe dans les décisions des cours et tribunaux. Pendant les détentions préventives de militant·e·s climatiques par exemple, des conditions particulièrement sévères sontexigées pour une remise en liberté. On en arrive à considérer les organismes environnementaux comme des organisations criminelles. Mises bout à bout, toutes ces dimensions découragent les citoyen·ne·s d’exercer leur droit fondamental.
L’utilisation de la reconnaissance faciale est-elle à craindre chez nous ?
L’Europe s’est saisie à travers un règlement de toutes les questions liées aux systèmes d’identification biométrique. Beaucoup de dérives porteraient atteinte aux droits des citoyen·ne·s, tant le droit à la vie privée que celui de pouvoir se rassembler, ou de pouvoir exprimer ses opinions librement. Il y a aussi un effet dissuasif sur les jeunes, les familles, les femmes, les personnes LGBTQIA+, les personnes sans-papier ou migrantes, etc.
Est-ce que ce sont des changements que l’on peut redouter au cœur de l’Union européenne ?
Dans les pays frontaliers à la Belgique notamment, on remarque une très forte tendance à la répression et la criminalisation des manifestant·e·s pour le climat. Les dérives sont déjà là et le climat post-élections n’aide pas. On risque de s’en prendre de manière encore plus décomplexée aux personnes dans l’espace public et restreindre leurs droits. Cela va approfondir un ressentiment, une perte de confiance dans les institutions démocratiques.
Propos recueillis par Guylaine Germain, journaliste.