Au coeur de la menace

En Turquie et en Hongrie, les droits humains et ceux qui les défendent sont soumis à une pression intolérable.

De passage à Bruxelles, Idil Eser et Júlia Iván, respectivement directrices des sections turque et hongroise d’Amnesty International, nous ont fait part de leur témoignage.

AI : Dans quelle mesure le travail des défenseurs des droits humains est menacé dans vos pays ?

JI : La menace principale est la loi « Stop Soros », qui va limiter notre travail et celui des ONG dont le travail porte sur les réfugiés. Nous devrons obtenir une autorisation du ministère de l’Intérieur pour travailler ; c’est du jamais vu ! Si nous l’obtenons, nous devrons reverser 25 % des fonds nous venant de l’étranger ; comme une taxe que les donateurs d’Amnesty paieront à Monsieur Orbán, en somme ! Par ailleurs, les ONG devront subir un audit des services secrets, ce qui n’est jamais arrivé, même à l’époque communiste. Cela menace sérieusement notre survie. Le gouvernement veut nous museler parce que nous sommes les derniers qui donnons de la voix contre ce que nous considérons comme inacceptable. Cela va très loin, je suis personnellement sur une liste d’« ennemis d’état », tout comme mes collègues, le Conseil d’administration d’Amnesty et beaucoup d’amis. Nous recevons des menaces tous les jours. C’est très fatigant et cela nous empêche de faire notre travail comme nous le voudrions. Le contexte est très négatif.

IE : En Turquie, les droits humains font face à un problème d’une ampleur inédite. La vague répressive qui a suivi la tentative de coup d’État a causé le licenciement d’un grand nombre de personnes. Beaucoup d’autres se retrouvent en prison ou font l’objet de poursuites judiciaires. Quant aux défenseurs des droits humains, ils sont intimidés, persécutés. Notre position n’est pas très confortable, c’est clair, mais après un certain temps on s’habitue. Quand on croit à ce qu’on fait, passionnément, on trouve des façons de faire son travail et je ne crois pas à l’abandon. Je préfère allumer une bougie plutôt que de maudire l’obscurité. Si la situation est très alarmante en Turquie, je pense que le problème est plus global, qu’il y a une érosion des droits humains partout dans le monde.

AI : Que pouvons-nous faire selon vous ?

IE : Il faut faire preuve de la solidarité internationale, montrer qu’il n’est pas acceptable qu’un pays réduise de cette façon l’espace civique. Nous devons tous être des ambassadeurs des droits humains, résistants et déterminés.

JI : L’éducation est également très importante. Les jeunes que nous rencontrons dans les écoles sont tellement plus intelligents et ouverts que leurs parents ! Ne sous-estimons pas la jeunesse et son énergie fraîche et nouvelle. En ce qui concerne les membres et sympathisants d’Amnesty, je leur demande de nous aider dans notre lutte en partageant des messages de solidarité. Nous pourrons les remettre aux parlementaires hongrois, pour qu’ils n’adoptent pas la loi « Soros », qui, comme je le disais, pourrait signifier la fermeture de notre section ou le renvoi de plusieurs de nos collègues.

AI : Idil, vous avez été arrêtée en juillet dernier et avez passé quatre mois en prison avant d’être libérée. Que voudriez-vous dire à toutes les personnes qui se sont mobilisées pour vous ?

IE : Merci beaucoup [en français, NDLR] ! On ne connaît la valeur de la liberté que quand on l’a complètement perdue, croyez-moi. J’apprécie maintenant le fait de regarder le ciel sans filets qui me barrent la vue ou de pouvoir aller aux toilettes sans demander la permission. Je veux remercier chacun d’entre eux, de ma part et de celle des autres « 10 d’Istanbul » [9 autres défenseurs des droits humain ont été arrêtés en même temps qu’Idil et emprisonnés, NDLR]. Continuez de vous impliquer, cela fait la différence, même si cela prend parfois du temps.

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit