Mardi 10 avril, 17 h. L’effervescence règne dans la salle « Peter Benenson » du 169, chaussée de Wavre, où se trouvent les bureaux d’Amnesty. Nous attendons avec une excitation difficilement répressible l’arrivée imminente de celle que nous appelons par son prénom, Teodora.
Il faut dire que son cas a mobilisé beaucoup de nos forces, surtout celles des groupes locaux, dont des dizaines de représentants sont présents ce soir-là. Teodora, c’est cette jeune femme qui a été condamnée à 30 ans d’emprisonnement au Salvador pour « homicide avec circonstances aggravantes ». Son crime ? Avoir accouché d’un enfant mort-né en 2007. Pour cela, elle a passé 10 années de sa vie derrière les barreaux, loin de ses proches et de son fils qu’elle aime tant.
17 h 15 : celle dont la présence se fait tant désirer franchit le pas de la porte. Son large sourire illumine les lieux et les visages. Quelle émotion de la voir libre et parmi nous ! La rencontre peut enfin commencer…
AI : Comment as-tu accueilli la nouvelle de ta libération ?
Quand j’ai eu en mains le document mentionnant ma réduction de peine, je l’ai relu 500 fois. J’ai même oublié de manger ! Je l’ai lu et relu jusqu’à ce que je puisse y croire. Ensuite, quand j’ai finalement été libérée et que j’ai pu prendre mon fils dans mes bras, il m’a dit : « c’est ce que j’ai attendu depuis toutes ces années, maman ». C’était un moment tellement beau, mais, en même temps, j’étais tellement triste.
AI : Comment as-tu vécu ces dix années de prison ?
Ce n’est pas simple de vivre en prison. Nous y sommes battues et discriminées. J’ai été reconnue coupable d’avortement, et l’avortement est tabou. Pour cette raison, le directeur de la prison a voulu m’enlever le droit de participer aux activités parce qu’il considérait je devais purger une peine plus sévère. Mais j’ai tellement insisté qu’à la fin, j’ai été autorisée à participer à certaines activités. Oui, ces dix années ont été difficiles, mais si moi je suis entrée en prison, la prison n’est jamais entrée en moi. Heureusement, ma famille ne m’a jamais jamais laissée tomber. L’achat d’un billet de bus était pour eux une grosse dépense, mais ils continuaient à venir me rendre visite. Cependant, je n’ai pu voir mon fils — qui avait trois ans au moment de ma condamnation — qu’une ou deux fois par an, et je ne l’ai plus du tout vu ces quatre dernières années. Il avait besoin d’une procuration et cela coûtait trop cher.
AI : À quel point toute cette mobilisation en ta faveur t’a aidée ?
Le soutien international est la chose la plus précieuse que moi et d’autres femmes pouvons obtenir dans cette situation. Chaque signe du monde extérieur nous fortifie d’espoir. Toutes ces signatures de pétitions visant à me faire libérer ont fait la différence. Aujourd’hui, je suis l’image de ce à quoi peuvent mener tous vos efforts et je suis un miroir pour toutes les autres femmes prises au piège de cette injustice. Je ne suis pas un conte de fées, je suis une histoire vraie. Tout ce soutien que j’ai reçu de tous ces gens partout dans le monde a planté une graine d’espoir dans mon cœur, et cela a donné naissance à une petite lumière, qui continue de brûler.
AI : Comment vois-tu ton futur maintenant que tu es libre ?
J’aimerais maintenant recevoir une bourse pour pouvoir étudier le droit, pour agir contre l’injustice qui prévaut au Salvador Maria Teresa [1] , moi-même et les autres femmes qui ont été libérées, nous allons nous battre ensemble pour la libération d’autres femmes innocentes qui sont en prison. Parce que perdre un enfant n’est pas un crime. Cela peut arriver à n’importe quelle femme. Et pourtant, nous sommes traitées comme des criminelles par le gouvernement salvadorien.