Le 5 mai dernier, la Belgique a présenté pour la troisième fois de son histoire son Examen périodique universel (EPU). Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce mécanisme ?
Lors de son EPU, chaque État membre des Nations Unies (ONU) est évalué sur ses politiques en matière de droits humains par ses pairs, lesquels font ensuite des recommandations pour améliorer la situation. [1] L’EPU est un moment fort et qui a un certain poids sur la réputation des pays, surtout pour ceux qui, comme la Belgique, considèrent que les droits humains font partie de leur ADN. C’est ainsi une opportunité pour notre pays de se pencher sur la manière dont il respecte les droits humains. La Belgique a maintenant jusqu’au mois de septembre pour réagir aux recommandations qui lui ont été faites.
Quel est l’apport d’Amnesty International dans le cadre de l’EPU ?
La société civile, notamment Amnesty International, prend part à ce processus, en faisant des recommandations au même titre que certaines instances des Nations unies. Amnesty a remis un rapport qui fait le bilan de la situation et a aussi formulé une série de recommandations pour améliorer le respect des droits humains en Belgique.
Quelles doivent être les priorités pour la Belgique ?
De nombreux progrès restent à réaliser, notamment en ce qui concerne la lutte contre le racisme, la ratification du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture ou les conditions de détention scandaleuses dans certaines prisons. Nous pouvons cependant noter des améliorations, comme la mise en place de centres d’aide pour les victimes de violences sexuelles ou de bonnes avancées concernant les droits des personnes LGBTI. Nous saluons aussi la création de l’Institut fédéral des droits humains (IFDH).
Vous évoquez l’IFDH et votre satisfaction de l’avoir vu se mettre en place. Pourtant Amnesty International nourrit quelques réserves concernant cet institut…
En effet, le domaine d’activité de l’IFDH est très limité. [2] Pour fonctionner, il doit collaborer avec d’autres institutions comme Unia, Myria ou encore l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. La lasagne institutionnelle belge, combinée à la segmentation des matières, rend les choses extrêmement compliquées. Nous ne sommes donc pas en présence d’une institution qui recouvre l’ensemble, mais qui doit le coordonner. Il manque également un mécanisme de plainte accessible aux personnes victimes de violations des droits humains.
Venons-en maintenant au commerce des armes belges, wallonnes plus précisément. De nombreux recours ont été introduits par plusieurs organisations — soutenues par la section belge francophone d’Amnesty International — contre des licences d’exportation d’armes octroyées par la Région wallonne à destination de l’Arabie saoudite. Quelles sont les dynamiques à l’œuvre ?
Nos autorités inversent la logique du principe de précaution, qui consisterait à refuser une vente s’il existe des doutes sur le fait que ces armes puissent servir à commettre des violations des droits humains. Nous demandons le respect de la loi qui interdit de vendre des armes dans ces conditions et soutenons donc les multiples recours en justice de la Ligue des droits humains, de la Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie (CNAPD) et de Vredesactie contre les licences d’exportation d’armes à destination de l’Arabie saoudite délivrées par le Ministre-Président wallon. À chaque fois, nous avons gagné. [3]
Quelle serait la/les solution(s) pour que la Région wallonne cesse enfin ce commerce mortifère ?
Il faudrait que la justice prenne la décision d’interdire totalement la livraison d’armes à l’Arabie saoudite tant que la situation n’a pas changé. Cela mettrait un terme au jeu de ping-pong entre nos organisations et la Région wallonne sur le terrain judiciaire.
La crise sanitaire relative à la pandémie de COVID-19 a fortement marqué la Belgique, en ce compris dans le domaine des droits humains. Quels sont les problèmes identifiés par Amnesty International ?
Il y en a plusieurs. La pandémie a révélé beaucoup de problèmes préexistants. Pour prendre l’exemple des maisons de repos et des maisons de repos et de soins, il est évident que les conditions préexistantes à la pandémie étaient déjà porteuses de violations des droits humains. De même, les décisions qui ont été prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie ont eu un impact plus important sur les populations déjà vulnérables.
Au moment où nous réalisons cette interview, le projet de « loi pandémie » n’a toujours pas été adopté par le Parlement. Quel est le point de vue d’Amnesty sur ce projet ?
Le projet ne prend pas en compte l’impact des décisions prises par le gouvernement dans le cadre d’une pandémie. [4] Nous recommandons que les organismes compétents comme l’IFDH, Unia, Myria ou l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes puissent être consultés au moment de la prise des décisions. Le projet de loi ne pense pas non plus la conciliation du droit à la vie et à la santé et d’autres droits fondamentaux dans un contexte pandémique. Par exemple, plutôt qu’interdire purement et simplement les manifestations, il faut réfléchir à un moyen de les rendre possibles en respectant les gestes barrières et la distanciation physique.