Nicaragua — Des jeunes filles dénoncent les violences sexuelles

Au Nicaragua, des jeunes filles qui ont subi un viol ou d’autres atteintes sexuelles s’expriment et agissent pour que leurs droits soient respectés. Il faut les entendre et se mobiliser en leur faveur. Comme le dit Estefany, violée par son oncle et enceinte à l’âge de17 ans : « Je ne veux pas être prise en pitié, ce que je veux, c’est votre solidarité. »

Au Nicaragua, le viol et les violences sexuelles sont monnaie courante. Les victimes sont majoritairement des jeunes filles et des fillettes. Plus des deux tiers de tous les viols signalés entre 1998 et 2008 concernaient des filles de moins de 17 ans. Près de la moitié ont été commis contre des fillettes de 14 ans ou moins.
Malgré les preuves accablantes de l’ampleur et de la gravité du problème, le gouvernement nicaraguayen ne traite toujours pas avec la diligence qu’elle mérite cette situation critique, mais passée sous silence, en matière de droits humains. Aucun plan gouvernemental à l’échelle nationale ne permet de prévenir la violence sexuelle contre les filles, de protéger les jeunes victimes et de leur accorder justice et réparation. Bien au contraire, des espaces où les défenseurs des droits fondamentaux des femmes et des enfants pouvaient dialoguer avec les pouvoirs publics ont été fermés par l’actuel gouvernement.
L’information est difficile d’accès pour les personnes qui ont subi des violences sexuelles ou risquent d’en subir. De nombreuses jeunes filles sont enfermées dans des situations destructrices dont elles ne savent pas comment sortir. En raison de la stigmatisation associée aux crimes sexuels, c’est souvent la victime (et non l’auteur des faits) qui est rendue responsable. Le gouvernement n’a pas mis en place à l’échelle nationale de campagne de sensibilisation visant à modifier les comportements, et de nombreuses jeunes filles qui ont subi un viol ou d’autres atteintes sexuelles sont rejetées par leur famille ou leur entourage lorsqu’elles en parlent. D’autres, bien plus nombreuses encore, ne prennent pas le risque d’ouvrir la bouche.
Linda avait 10 ans lorsqu’un prêtre évangélique s’est livré sur elle à des atteintes sexuelles. Quand elle a trouvé le courage nécessaire pour parler de ce qu’elle avait subi, elle s’est heurtée à l’incrédulité : « Les gens m’ont dit des choses, et comme [l’agresseur] était un prêtre évangélique, personne ne me croyait. Au contraire, ils me demandaient : “Pourquoi racontes-tu des choses pareilles ?” Aujourd’hui encore, cette réaction me fait souffrir. »

Abandonnées par la justice

Pour celles qui arrivent à parler, la lutte à mener pour obtenir justice peut être traumatisante. À cause des défaillances et du manque de ressources du système judiciaire, il est fréquent que les poursuites échouent et que les agresseurs restent en liberté.
La mise en place de commissariats spécialisés pour les femmes et les enfants est certes un point positif. Mais leur nombre est insuffisant à l’échelle du pays. Beaucoup ne disposent pas des moyens nécessaires – les agents n’ont même pas de quoi faire le plein d’essence pour aller enquêter sur les cas présumés de violences sexuelles. Dans certains cas, les fonctionnaires font tout leur possible pour travailler correctement malgré le manque de moyens. Mais des victimes et des personnes qui s’en occupent ont également signalé des comportements indélicats chez certains policiers peu formés.
Alejandra a 12 ans. Lorsqu’elle s’est adressée à la police après avoir été violée, elle s’est heurtée à l’incrédulité des fonctionnaires : « Ils m’ont dit d’arrêter de pleurer, que je n’avais aucune raison de pleurer, que tout cela n’était pas vrai. J’ai été très choquée que les policiers disent que je mentais. Je ne pourrais jamais mentir à propos de ces choses-là. »
Les victimes de viol ou d’atteintes sexuelles dont le cas donne lieu à des poursuites abandonnent souvent celles-ci parce que la procédure judiciaire est soit trop coûteuse soit trop traumatisante. Il arrive que des audiences soient annulées à plusieurs reprises, ce qui multiplie pour les victimes les moments pénibles pendant lesquels elles se préparent à comparaître devant le tribunal. Il arrive que les auteurs présumés des violences sexuelles soient libérés sous caution sans que la surveillance et les contrôles appropriés aient été mis en place, ce qui expose les jeunes filles au risque de représailles.
Les jeunes victimes de viol ou d’atteintes sexuelles ne sont guère aidées par les autorités pour reconstruire leur vie. Dans le meilleur des cas, certaines obtiennent une aide psychologique et juridique dispensée par des centres ou refuges indépendants pour femmes et jeunes filles, mais il arrive trop souvent qu’aucune assistance ne soit accordée à celles qui en ont besoin. Au Nicaragua, les foyers d’accueil pour les victimes d’abus commis dans la famille et de viol ne sont pas assez nombreux. On manque surtout de lieux spécifiquement destinés aux enfants. Il existe 10 foyers gérés par des ONG, qui ne reçoivent aucun soutien – financier ou autre – des pouvoirs publics. Les autorités ne financent pas davantage les centres sans hébergement, qui s’efforcent de combler les lacunes gouvernementales. Depuis l’âge de neuf ans jusqu’à ce qu’elle ait 14 ans, Connie a été violée par son père. Elle dit l’importance de l’aide reçue dans un centre d’accueil : « J’ai trouvé la paix ici, j’ai trouvé des amies, de vraies amies, et je suis parvenue à sortir un peu du trou noir dans lequel je me trouvais. »

Privées d’aide, privées de choix

Outre les séquelles psychologiques, certaines victimes connaissent un traumatisme supplémentaire quand elles découvrent qu’elles sont enceintes de leur agresseur. Les jeunes filles qui, après avoir été violées, choisissent de mener leur grossesse à terme ne reçoivent que peu ou pas d’aide de la part de l’État, ni pour les soins à donner à l’enfant, ni pour elles-mêmes et la suite de leur études, la reprise de leur travail ou l’accomplissement de leurs projets d’avenir. Pour d’autres, l’idée de donner naissance à un enfant issu d’un viol est insupportable. Dans certains cas, par ailleurs, la grossesse met en danger la vie ou la santé de la jeune victime de viol. Mais ces jeunes filles n’ont pas le choix : une loi de 2008 fait de toutes les formes d’avortement une infraction pénale, y compris lorsque la grossesse est le résultat d’un viol. Pour une femme que son agresseur a déjà privée de la possibilité de disposer de son propre corps, la législation actuelle est cruelle et inhumaine.
Le gouvernement a l’obligation de prévenir la violence sexuelle contre les filles au Nicaragua. Les jeunes victimes de viol et d’atteintes sexuelles ont droit à la protection, à la justice et à la réparation. Le gouvernement doit prendre sans attendre des mesures pour que le viol ne devienne pas l’événement qui va déterminer toute la vie ultérieure de la jeune femme qui le subit. Les autorités doivent, par-dessus tout, écouter les jeunes femmes qui ont été violées. « Leurs mots ont du pouvoir ! déclare la directrice d’un centre qui travaille auprès de femmes et de jeunes filles victimes de violences à Managua. C’est le message qu’il faut faire passer aux filles ; elles doivent sentir, elles doivent savoir que leurs mots ont du pouvoir. »

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