En 2009, la journaliste soudanaise Lubna Hussein a été arrêtée dans un restaurant de Khartoum. D’autres femmes ont été appréhendées en même temps. Elles ont toutes été accusées de « port de vêtements indécents ou contraires à la morale » – en d’autres termes, elles portaient un pantalon. La plupart des femmes arrêtées ce jour-là, comme beaucoup de celles qui sont appréhendées chaque jour à Khartoum pour des motifs similaires, ont plaidé coupable devant un tribunal spécial et ont été condamnées, puis flagellées, en l’espace de quelques heures. .
Lubna, elle, a tenu à comparaître devant une juridiction ordinaire. En septembre 2009, le tribunal lui a donné le choix entre une peine d’un mois de prison et une amende de 500 livres soudanaises (150 euros environ). Refusant de payer, elle a été incarcérée. L’amende a ensuite été réglée par l’Union des journalistes. Lubna a fait appel de sa condamnation mais, plus d’un an après, la Cour constitutionnelle ne s’est pas encore prononcée. .
« La loi est discriminatoire parce qu’elle restreint la liberté de choix individuelle, a déclaré Lubna à Amnesty International. [Pour moi], le sentiment d’humiliation et d’atteinte à ma dignité a été plus intense que la peur [du châtiment]. Cela m’a donné le courage nécessaire. J’ai été la première à dire d’une voix forte qu’il fallait que cela cesse. Des Soudanaises m’ont soutenue car c’était pour elles l’occasion de rompre le silence et de dissiper les peurs que suscitent ces lois. Auparavant, les policiers fouettaient les femmes tout de suite après le jugement, et ces femmes étaient rejetées par la société et par leurs proches. Aujourd’hui, les familles voient les femmes comme des victimes du système. ».
Liberté de porter les vêtements que nous voulons, liberté de ne pas porter ceux qui ne nous conviennent pas : ces libertés sont importantes parce qu’elles font partie de notre droit de nous exprimer, d’exprimer nos convictions, notre identité culturelle et notre personnalité – sans discrimination, contrainte ni violence. Notre liberté de choisir notre tenue vestimentaire est affaire de droits humains. Dans de nombreuses régions du monde, il arrive que les lois obligent les gens à s’habiller d’une certaine façon ; cette obligation peut aussi provenir de normes sociales imposées de manière contraignante ou violente par ceux qui détiennent le pouvoir (et en abusent). Ceux qui, comme Lubna Hussein, osent braver ces interdits le paient très cher. Ils subissent l’exclusion et la discrimination, sont harcelés, emprisonnés ou fouettés.
Les femmes sont particulièrement touchées par ces restrictions vestimentaires. Bien souvent, les États, ou ceux qui détiennent l’autorité dans la famille ou le milieu social, exigent qu’elles s’habillent et se comportent conformément aux normes et valeurs sociales dominantes. Les femmes ne sont pas perçues comme des personnes à part entière, mais comme l’incarnation de ces valeurs. Dans pareil contexte, ceux qui détiennent le pouvoir déterminent et contrôlent ce que les femmes peuvent porter ou non, ce qu’elles peuvent faire ou non. Ils bafouent ainsi leurs droits fondamentaux, notamment le droit de contester les interprétations dominantes de la culture, de la tradition ou de la religion ou les comportements qui constituent des discriminations à l’égard des femmes. .
Des femmes sont touchées partout dans le monde
En novembre 2007, le président tchétchène Ramzan Kadyrov a demandé aux femmes de s’habiller décemment, dans le respect de la tradition, et de couvrir leur tête d’un foulard. À tous les niveaux du système éducatif, y compris à l’université, les filles et les femmes s’exposent à un renvoi si elles ne suivent pas ces consignes. À Grozny, les femmes ne peuvent entrer dans les bâtiments officiels que si elles portent un foulard. En septembre 2010, des défenseurs des droits humains ont vu des hommes en uniforme arrêter des femmes dans la rue. Celles dont la tenue était jugée indécente ont dû écouter un discours prônant les valeurs traditionnelles tchétchènes. Certaines ont été brutalisées. Le parquet tchétchène enquête actuellement sur ces agressions. .
En Arabie saoudite, les femmes sont censées cacher l’intégralité de leur corps. Elles ne peuvent porter aucun vêtement jugé transparent ou moulant. La police religieuse (le Comité pour la propagation de la vertu et la prévention du vice) tance les femmes ou leurs tuteurs lorsqu’elles ne couvrent pas leur visage ou laissent apparaître leurs jambes, leurs bras, leurs chevilles ou leurs cheveux. Parfois, ces policiers fouettent des femmes dans la rue ou les appréhendent. Quand une femme est arrêtée, son tuteur (mahram) est lui aussi interpellé et reçoit la consigne de veiller à ce qu’elle observe ce code vestimentaire non écrit. La police religieuse sermonne aussi les jeunes hommes à la chevelure jugée trop longue et pratique parfois sur place une coupe de cheveux. .
Depuis juillet 1982, lorsqu’ils se trouvent dans l’espace public, les Iraniennes et les Iraniens doivent respecter un code vestimentaire obligatoire, qui est inscrit dans la législation. Les femmes doivent porter des vêtements amples qui couvrent la tête, le cou, les bras et les jambes. De nombreuses femmes portent toujours le tchador traditionnel (une pièce de tissu noir, tenue sous le menton, drapée autour de la tête et du corps). D’autres portent un manteau ample à manches longues (roupouch), accompagné soit d’un foulard (roussari) noué sous le menton et cachant les cheveux, les oreilles et le cou, soit d’un capuchon serré qui descend jusqu’à la poitrine, le maghnaeh. Les femmes qui, pendant les mois d’été notamment, ne respectent pas strictement ces règles risquent d’être harcelées par la police, les bassidjis (miliciens volontaires) et d’autres forces de sécurité. Les mesures de répression se sont multipliées depuis l’arrivée au pouvoir du président Mahmoud Ahmadinejad, en 2005. .
Les femmes qui enfreignent le code vestimentaire s’exposent à des avertissements, des amendes ou des peines allant de 10 jours à deux mois de prison. Les gérants de boutiques de vêtements doivent habiller leurs mannequins de façon à ne pas « porter atteinte à la morale publique ». Les contrevenants peuvent recevoir des instructions écrites, des avertissements, des menaces et risquent même des amendes, des peines de flagellation et le retrait de leur patente. .
Nasrin Sotoudeh, éminente avocate iranienne spécialisée dans les droits humains, doit être jugée le 16 février 2011 pour non-respect du code vestimentaire. On la voit en effet sans foulard dans une vidéo qu’elle a tournée afin d’accepter un prix décerné en Italie en 2008 pour ses activités en faveur des droits fondamentaux. Les autorités iraniennes lui avaient interdit de faire le voyage pour recevoir cette récompense en personne. La vidéo a été réalisée en privé et Nasrin ne l’a pas diffusée en Iran. Détenue depuis septembre 2010, Nasrin a été condamnée à 11 ans de prison en janvier 2011 pour son action pourtant pacifique de défense juridique des personnes. .
Certains pays européens ont également adopté des lois qui limitent ce que les femmes peuvent porter en public. L’année dernière, la Belgique, la France et plusieurs municipalités espagnoles ont décidé de prohiber le port du voile intégral dans les lieux publics. Certains partisans de l’interdiction estiment qu’elle aidera les femmes à résister aux pressions exercées par leur famille ou leur milieu social pour les obliger à porter le voile intégral. D’autres y sont favorables pour des raisons de sécurité publique. Amnesty International estime que l’interdiction totale du voile intégral dans ces pays est contraire aux obligations des États en matière de droits humains, et que d’autres mesures devraient être adoptées pour garantir les droits fondamentaux des femmes
Prises au piège des conflits de pouvoir
Lors des conflits armés, les femmes sont souvent traitées comme de simples instruments par ceux qui se battent pour obtenir le pouvoir politique ou conquérir des territoires. Des groupes armés assoient leur domination sur des populations en obligeant les femmes à se vêtir et à se comporter « de façon convenable », souvent sous le couvert de valeurs culturelles ou de convictions religieuses..
En Somalie, pays déchiré par la guerre, des groupes islamistes armés comme Al Shabab recourent à la cruauté et à la violence pour répandre la peur au sein de la population civile. Ils punissent des personnes qu’ils accusent de se livrer à l’espionnage ou de ne pas respecter leur interprétation du droit musulman. Leurs victimes sont flagellées, amputées, tuées par balle ou par lapidation. « Des membres d’Al Shabab m’ont frappée à cause de ma façon de m’habiller, a raconté une adolescente de 14 ans après avoir fui la ville de Baidoa en mars 2010. Ils trouvaient que mes habits étaient trop légers, alors ils m’ont donné des coups de baguette. Deux hommes m’ont battue alors que je revenais du marché. Ils m’ont frappée quatre fois, puis j’ai pu m’enfuir. Nous avons dû partir à cause de tous ces problèmes et des difficultés liées à la guerre en Somalie. ».
À Mogadiscio, les 13 et 14 octobre 2009, Al Shabab a flagellé plus de 200 femmes après les avoir arrêtées dans les quartiers de Suqa Holaha et Daynile ainsi que sur le marché de Bakara, au motif qu’elles n’étaient pas voilées. Le 16 octobre 2009, dans le nord de Mogadiscio, des membres de ce groupe armé ont fouetté des femmes parce qu’elles portaient un soutien-gorge, affirmant que ce sous-vêtement était interdit par le droit musulman. Par ailleurs, des groupes armés ont contraint les hommes à porter des pantalons s’arrêtant au-dessus de la cheville, jugeant cette tenue plus conforme à l’islam..
Lubna Hussein et Nasrin Sotoudeh ne sont pas les seules à se rebeller courageusement. Partout dans le monde, des hommes et des femmes luttent pour leur droit de s’exprimer en toute liberté, de contester les stéréotypes liés au genre et les interprétations dominantes de la culture ou de la religion, de porter une tenue en accord avec leurs propres convictions culturelles et religieuses, de disposer de leur corps et d’assumer librement leur propre identité.
La Journée internationale de la femme a lieu le 8 mars.