De l’eau en quantité, mais pas pour les roms

« Nous devons utiliser l’eau de la rivière, qui est très sale. Les enfants vomissent et ils ont souvent la diarrhée. On ne nous laisse pas prendre de l’eau au tuyau qui est dans le cimetière, et à la station d’essence on nous dit “Vous, les Tsiganes, allez-vous en”.
« Quand les hommes ne sont pas à la maison, nous, les femmes, nous nous lavons à la rivière. Nous ne pouvons pas nous montrer nues à nos enfants. Pour faire nos besoins, nous allons derrière la maison – nous nous éloignons, nous allons jusqu’au fossé. Les enfants restent plus près, surtout quand il fait noir, parce que j’aurais trop peur qu’ils tombent dans le fossé. Quand il y a eu des inondations, on ne pouvait plus aller nulle part. Il y avait de l’eau partout. Dans le noir, je prends la lampe torche pour aller faire mes besoins, et quand il fait jour il faut être très prudent.  » Silvana Hudorovac, habitante d’Onova, groupe d’habitations occupées par des Roms dans la commune de Grosuplje, en Slovénie

Marjan Hudorovi ? vit à Gori ?a vas, une agglomération rom proche de Ribnica, en Slovénie. Comme de très nombreux voisins, il n’a ni eau courante, ni électricité, ni toilettes. Les eaux usées ne sont ni évacuées ni assainies. .
« Tous les jours, nous devons aller chercher de l’eau à la station d’essence la plus proche, au cimetière ou à la source, à trois kilomètres et demi d’ici, raconte Marjan. Le temps que nous revenions, l’eau est si chaude qu’on ne peut pas la boire. En été, nous allons nous laver à la rivière, mais les policiers nous en empêchent. ».
À maintes reprises, les habitants de Gori ?a vas ont demandé aux autorités d’installer un raccordement au réseau d’eau près de leurs habitations. Ils ont organisé des manifestations et rencontré le maire de Ribnica. L’un d’eux, Danilo Hudorovi ?, a écrit aux ministres et au président lui-même. En 2008, le maire a promis qu’une adduction d’eau serait réalisée dans les deux mois, mais rien de tel ne s’est passé. .
« Nous ne leur demandons pas de faire arriver l’eau jusqu’à nos habitations, précise Marjan. Ils peuvent mettre la conduite à quelques mètres d’ici sur un terrain municipal si ce n’est pas possible ailleurs. Ce que nous demandons, c’est une conduite, rien de plus. Ici, dans les prés, je vois bien que le bétail a de l’eau. Et nous, qu’est-ce qu’on est ? Est-ce qu’on est pire que du bétail ? Toute ma vie, j’ai été forcé de voler de l’eau. Je voudrais bien pouvoir enfin la payer. ».
Soixante-dix personnes vivent à Gori ?a vas. Certaines familles y sont installées depuis une trentaine d’années. C’est une agglomération informelle : les maisons ont été construites sans permis sur des terres agricoles appartenant au ministère de la Défense et à des particuliers. En l’absence de permis de construire et de titre de propriété, les habitants de Gori ?a vas ne peuvent invoquer un droit légal à l’adduction d’eau. .
À quoi ressemble la vie quand on ne bénéficie pas d’un approvisionnement en eau ? Lili Grm, qui réside à Dobruška vas, un autre groupe d’habitations roms, sait parfaitement ce qu’il en est. Son occupation principale consiste à trouver de l’eau pour sa famille. « Pour moi, rien n’est plus important que l’eau. Je passe le plus clair de mon temps à aller chercher de l’eau, à nettoyer notre baraque, à laver les habits de mes enfants. Quand nous allons voir ma mère à Ko ?evje, je mets mes deux fils dans sa salle de bains et je n’arrive pas à les en sortir. Mon cœur se fend quand je vois ça. Nous avons la chance d’avoir une voiture que nous pouvons utiliser pour ramener de l’eau. Mais quand [mon mari] Milan a des accès de migraine, je dois faire plusieurs kilomètres à pied pour quelques litres d’eau. Ces jours-là, je ne cuisine pas, je ne lave pas le linge. Parfois, nous nous passons d’eau pendant toute une journée. » Lili n’a pas le permis de conduire. Lorsque Milan Novak, son mari, sera hospitalisé pour subir une opération, elle ira chercher de l’eau à pied tous les jours, ou bien elle devra s’en passer.
L’eau est si difficile à trouver que de nombreuses familles n’en ont pas assez pour boire, préparer les repas, faire le ménage et se laver. La famille de Lili, composée de quatre personnes, utilise en moyenne 20 litres d’eau par jour. La moyenne par personne et par jour en Slovénie est de 150 litres. Dans les villes, cette quantité passe à 300 litres. .
En hiver, la vie est encore plus dure ; se procurer de l’eau relève alors de la prouesse. « En hiver, nous ne nous lavons que le visage, raconte Marjan. La rivière est gelée ; quant à l’eau qui vient du cimetière ou de la source, on la garde pour boire et faire à manger. Vous croyez qu’ils sont heureux, nos enfants, quand on se moque d’eux à l’école parce qu’ils sentent mauvais ?  ».
Il est difficile de rester propre sans avoir l’eau courante chez soi. Les chercheurs d’Amnesty International ont rencontré des enfants roms que la honte empêche d’aller à l’école et des adultes qui ont beaucoup de mal à trouver du travail parce qu’ils n’arrivent pas toujours à se laver.
Sans accès à une eau courante pure, sans toilettes, sans douches, sans système d’évacuation des eaux usées, les enfants et les adultes tombent malades. Après s’être rendue en Slovénie en mai 2010, l’experte indépendante des Nations unies chargée d’examiner la question des obligations en rapport avec les droits de l’homme qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement s’est exprimée ainsi : « L’absence d’accès à l’eau et à l’assainissement a des conséquences désastreuses pour ces populations. Les personnes que j’ai rencontrées m’ont expliqué qu’elles souffraient fréquemment de diarrhée, entre autres troubles. Dans une localité dépourvue d’accès à l’eau, les gens puisent de quoi boire dans une rivière polluée ou font deux heures de marche pour aller chercher de l’eau salubre. N’ayant pas le choix, ils sont contraints de déféquer en plein air. [Cela] me rappelle des situations dont j’ai été témoin dans des pays bien plus pauvres et qu’il est surprenant d’observer dans un pays où beaucoup de progrès ont été réalisés pour la grande majorité de la population.  ».
La plupart des Roms, en Slovénie, vivent dans la pauvreté et subissent des préjugés, discriminations liées à l’appartenance ethnique et atteintes aux droits humains qui ont de graves conséquences sur l’ensemble de la population. Depuis des décennies, les enfants roms font face à l’exclusion et à la ségrégation dans le système scolaire. Lorsque des Roms veulent acheter ou louer un logement en dehors des groupes d’habitations roms, les propriétaires fonciers et immobiliers agissent à leur égard de manière discriminatoire. Lorsqu’ils déposent une demande de logement social, ils sont là encore exposés à la discrimination, exercée cette fois par les pouvoirs publics. Faute de mieux, de nombreux Roms se regroupent donc entre Roms dans des zones d’habitat précaire, où ils ne bénéficient d’aucune sécurité d’occupation et n’ont, dans certains cas, pas accès aux services essentiels. Pour bon nombre de Roms en Slovénie, la discrimination engendre la pauvreté et la pauvreté aggrave la discrimination. Il faut sortir de ce cercle vicieux.

Le temps des solutions

L’approvisionnement régulier et suffisant en eau salubre est un droit humain. Les États doivent à tout le moins fournir une quantité minimale d’eau pure, permettant aux gens de boire, de préparer à manger, de se laver. Les autorités slovènes ne peuvent pas s’abriter derrière des questions de permis de construire et de propriété foncière pour échapper à leur obligation de réaliser le droit à l’eau. .
En réalité, la plupart des municipalités font déjà bénéficier d’une adduction d’eau certaines zones informelles roms, même lorsque leurs habitants n’ont ni les permis ni les titres de propriété foncière nécessaires. Il est possible et nécessaire de trouver des solutions pour la totalité de ces zones d’habitation. «  La situation de la minorité rom en Slovénie est un problème difficile et complexe, et je constate avec plaisir que certaines municipalités ont trouvé des solutions viables, déclare l’experte indépendante des Nations unies chargée d’examiner la question des obligations en rapport avec les droits de l’homme qui concernent l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Je me suis rendue dans un quartier informel à Trebnje, où de gros efforts ont été réalisés pour que les habitants aient accès à l’eau et à l’assainissement. De plus, ces derniers coopèrent avec la municipalité pour légaliser leur occupation des terres et constructions où ils vivent, ce qui permettra une solution à plus long terme. Néanmoins, à moins de 30 minutes de là, d’autres municipalités n’ont pas réussi à trouver des solutions similaires. Je trouve ces différences inacceptables.  ».
La Slovénie doit veiller à ce que la population bénéficie sans discrimination du droit à l’eau et à l’assainissement ; elle possède l’expertise, l’expérience et les ressources nécessaires pour s’acquitter de cette obligation. Les autorités doivent agir dès maintenant et faire tout ce qu’elles peuvent pour fournir de l’eau à toutes les zones d’habitation roms.

Amnesty International publiera le 16 mars 2011 un rapport sur le droit au logement des Roms en Slovénie est disponible ici

Les obligations de la Slovénie

Conformément au droit international, la Slovénie, comme tous les pays, doit réaliser les droits à l’eau et à l’assainissement en veillant à ce que toute personne obtienne :.

  • De l’eau pure en quantité suffisante pour les usages personnels et domestiques, notamment le nettoyage et la cuisine.
  • Un équipement sanitaire hygiénique et sûr (toilettes et évacuation).
  • Un raccordement au réseau d’eau et d’assainissement à domicile ou à proximité du domicile (même s’il s’agit d’habitat précaire), l’utilisation de ce raccordement ne présentant aucun risque pour la sécurité.
  • Un accès à l’eau et à l’assainissement qui ne contraigne pas ses bénéficiaires à sacrifier d’autres droits (alimentation, éducation).
  • Un accès à l’eau et à l’assainissement sans discrimination. Les services d’eau et d’assainissement doivent répondre aux besoins des groupes défavorisés, y compris les personnes atteintes d’un handicap.
  • Le droit de participer aux prises de décision qui ont une répercussion sur leurs droits, avec un accès complet, en toute égalité, aux informations sur les questions d’eau et d’assainissement.
  • Le droit à un recours efficace en cas de violation de leurs droits à l’eau et à l’assainissement.
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