Le 8 septembre 2010 s’est ouvert un procès au Tribunal civil de Bruxelles à l’encontre de l’Etat belge et de trois militaires responsables de la MINUAR. Deux rescapées du génocide rwandais demandent à l’État belge une réparation, pour avoir abandonné des membres de leur famille à une mort certaine, suite à l’abandon par les militaires belges de l’ETO, une école technique officielle des Pères Salésiens de Don Bosco. La MINUAR, force de maintien de la paix des Nations Unies devait veiller à la mise en œuvre des accords de paix d’Arusha conclus entre Tutsis et Hutus sous l’égide de la communauté internationale et de la Belgique en particulier.
Le verdict prononcé par le Tribunal de première instance de Bruxelles le 8 décembre 2010 a reconnu que les trois officiers de l’armée belge, en obéissant à l’ordre de regroupement de la MINUAR, ont suivi les directives de la hiérarchie belge et non celles de l’ONU. De plus, le tribunal retient que le départ des soldats belges a un lien direct avec le massacre des réfugiés de l’ETO qui s’en est suivi. Une requête en appel a été déposée le 7 février 2011 par l’État belge et les trois officiers militaires belges. La procédure en appel commencera au printemps 2011.
Défaut de Juridiction
Le Tribunal de première instance de Bruxelles a reconnu que les officiers ont agi sous l’égide de la hiérarchie belge et que, chacun à son échelon est coupable d’avoir laissé commettre des crimes de guerre suite à l’évacuation de l’ETO. .
Les exposants (=État belge+les trois militaires) soutiennent en appel avoir agi au moment des faits, en qualité d’organe des Nations Unies, et en particulier de la MINUAR. Or les Tribunaux belges sont sans juridiction à l’égard de l’ONU et de ses États membres autres que la Belgique, en raison de leur immunité de juridiction. Toute faute qui serait par hypothèse déclarée établie dans le chef des exposants engagerait la responsabilité directe de l’ONU, alors que celle-ci bénéficie de l’immunité de juridiction. Les exposants vont jusqu’à soutenir que le fait de mettre en cause la hiérarchie belge implique directement la mise en cause de la MINUAR et donc de l’ONU et en conséquence la juridiction belge ne peut pas être compétente.
Prescription liée à la qualification des faits
Le Tribunal de première instance de Bruxelles a reconnu les trois officiers militaires belges coupables de crimes de guerre. Selon le Tribunal, les officiers belges tout comme la hiérarchie belge ne pouvaient pas ignorer les crimes commis à grande échelle qui étaient appelés à s’exercer sur les réfugiés de l’ETO dès l’évacuation du lieu par la MINUAR. .
La « qualité » des auteurs de ces crimes est mise en cause au regard de l’interprétation qu’ont les exposants du deuxième protocole additionnel à la Convention de Genève relatif à la protection des victimes dans les conflits armés. Ils estiment que les auteurs n’étaient pas des soldats dépendant des autorités militaires rwandaises, de fait, le protocole à la convention ne peut plus s’appliquer et ainsi, la prescription des faits doit être retenue.
L’omission d’agir
Le Tribunal de première instance a reconnu un grand principe du droit pénal international, « l’omission d’agir ». En effet, l’« omission d’agir » pour mettre fin à des violations graves du droit humanitaire est bel et bien réprimée par l’article 136 septies 5° du Code Pénal belge. Les avocats des victimes rwandaises ont plaidé le fait que les officiers belges ont obéi à des ordres qui étaient de nature à entraîner des crimes de guerre et qu’ils n’ont pas cherché de solutions alternatives pour protéger les réfugiés de l’ETO. .
En appel, est rappelé que « l’omission d’agir » dont il est question relève de la responsabilité de commandement. Elle vise donc l’omission dans le chef du supérieur hiérarchique ou militaire. Les exposants demandent en appel que l’incrimination de l’article 136 septies soit limitée aux comportements du supérieur hiérarchique de l’auteur des crimes. La connaissance de l’ordre donné en vue de commettre un crime de guerre est un élément constitutif de l’infraction visée à l’article 136 septies 5. Selon le commandant Lemaire, celui-ci affirme en appel ne pas avoir eu connaissance, ou les moyens de savoir qu’il se trouvait en présence de crimes de guerre généralisés découverts ensuite.
Quant au fond
On est consterné de constater aussi que la procédure en appel retient qu’il n’est pas établi in concreto que les exposants avaient ou devaient avoir connaissance d’ordres ou de faits commençant l’exécution des crimes de guerre. En effet, disent les exposants, les soldats belges avaient déjà connus en février des actes de violence puis un apaisement et la reprise du processus de paix, ceux-ci pensaient être en présence de la même situation en avril 1994. .
Le Tribunal de première instance avait accordé la demande des rescapés de projeter le film Shooting Dogs. Le film devait être projeté en audience publique, le 14 février dernier et les parties pouvaient s’exprimer suite à la projection. En appel, les exposants se sont opposés à cette projection considérant qu’un film qui dépeint de façon romancée des évènements tragiques ne peut pas servir d’élément de preuve dans une procédure judiciaire. .
Le Tribunal de première instance a reconnu le lien de causalité entre l’abandon des réfugiés par les soldats belges et le massacre qui s’en est suivi. En appel, les exposants refusent cette « causalité » en se référant au fait que la présence de casques bleus n’a pas empêchée la mort tragique de la Première ministre, Madame Agathe Uwilingiyimana.
En conclusion
Le procès en appel reprendra au printemps et nous le suivrons avec beaucoup d’intérêt.
L’omission d’agir, l’obéissance à un ordre illégal, l’interprétation du protocole II à la Convention de Genève et l’appréciation de l’imprescriptibilité sont au cœur des moyens juridiques pour lutter contre les crimes les plus graves. .
La procédure en appel si elle donne raison à la hiérarchie belge et aux trois militaires sera indiscutablement un mauvais signal pour les victimes de crimes de guerre.