Migrants — Il demande justice

Le combat d’un homme pour obtenir le droit d’asile en Europe a abouti à une décision historique de la Cour européenne des droits de l’homme.

Lorsque M.S.S. a été prévenu que les talibans en voulaient à sa vie, sa mère l’a supplié de quitter l’Afghanistan. « Nous ne voulons pas que tu soies le prochain », lui a-t-elle dit. Les talibans avaient déjà tué de nombreux membres de sa famille. « Mon père était ingénieur, explique M.S.S. Ces gens [les talibans] le croyaient communiste car il avait fait ses études en Union soviétique. À leurs yeux, ce n’était pas un vrai musulman. Il a donc été tué. Mon grand-père [a été tué] pour une autre raison, mon oncle pour encore autre chose, de même que mon [autre] oncle. Et là, c’était mon tour. »
M.S.S., qui avait collaboré avec les forces internationales à Kaboul, a fui le pays pour chercher asile en Europe. Il a atteint la Turquie, puis a traversé le fleuve Évros pour rejoindre la Grèce. Les autorités l’y ont immédiatement arrêté. Il a été libéré au bout de sept jours et deux possibilités lui ont été données : demander l’asile à la Grèce ou quitter le pays sous un mois. Un défenseur des droits humains a expliqué à M.S.S. qu’il avait très peu de chances de se voir accorder le statut de réfugié en Grèce, pour ne pas dire aucune. Selon les données officielles, le taux d’acceptation des demandes d’asile de la Grèce était de 0,04 % en 2009, soit quatre personnes sur dix mille.
M.S.S. a décidé de quitter le pays et de tenter sa chance ailleurs. Il a gagné la Belgique et y a demandé l’asile, mais les autorités belges n’ont pas traité sa demande et l’ont renvoyé en Grèce.
Les autorités belges appliquaient ainsi le Règlement Dublin II de l’Union européenne (UE), qui détermine à quel État membre il incombe d’examiner une demande d’asile formulée au sein de l’UE. En vertu du Règlement, les demandeurs d’asile sont généralement renvoyés vers le premier pays par lequel ils sont passés en arrivant sur le territoire de l’UE. Néanmoins, les États peuvent décider d’examiner une demande d’asile pour différentes raisons, notamment humanitaires, même si leur territoire ne constitue pas le premier point d’entrée du demandeur dans l’Union européenne.
Les autorités belges ont choisi de renvoyer M.S.S. vers la Grèce, alors que le système d’asile de ce pays ne fournit ni la protection ni le soutien auxquels les personnes ont droit en vertu du droit international.
La Grèce est le point d’entrée de milliers de demandeurs d’asile en provenance de pays tels que l’Afghanistan, l’Irak ou l’Iran. Une fois en Grèce, ils sont habituellement maintenus en détention dans des conditions déplorables, souvent pendant de longues périodes. Aux termes du droit international, les demandeurs d’asile et les migrants ne doivent être placés en détention qu’en dernier ressort, après qu’il a été prouvé dans chaque cas individuel que cette mesure est nécessaire et proportionnée.
En septembre 2010, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a indiqué que la situation en Grèce relevait d’une « crise humanitaire ». Les États membres de l’UE et les autres pays appliquant le Règlement Dublin II ont aggravé la situation en continuant à renvoyer des demandeurs d’asile vers la Grèce. Selon les autorités grecques, les personnes qui entrent ainsi sur leur territoire sont en trop grand nombre pour qu’elles puissent gérer cette situation, et elles ont demandé l’arrêt de ces transferts.

Amnesty International poursuit son action en faveur des droits humains des demandeurs d’asile en Grèce, mais aussi en Belgique et dans le reste du monde. Pour agir et en savoir plus, n’hésitez pas à vous abonner à notre newsletter « Réfugiés » (http://www.isavelives.be/fr/newsletter) ou à vous rendre sur le site de http://www.amnesty.be/refugies

Lorsque M.S.S a été renvoyé en Grèce en juin 2009, il a de nouveau été appréhendé. « Je suis arrivé à l’aéroport et deux policiers m’ont emmené dans un lieu qu’ils appellent centre de rétention, mais en fait c’était une prison. Quand j’ai découvert les conditions de détention, je n’en revenais pas. J’étais enfermé dans une petite pièce avec une vingtaine de personnes. Nous pouvions à peine bouger. La pièce était fermée à clé et nous devions frapper à la porte chaque fois que nous voulions utiliser les toilettes. »
M.S.S. a été maintenu en détention pendant sept jours. Lorsqu’il a été libéré, il n’avait pas d’argent et nulle part où aller. Comme beaucoup d’autres demandeurs d’asile en Grèce, y compris des femmes et des enfants, il a été livré à lui-même, sans ressources et sans personne à qui demander de l’aide. « [Lorsque j’ai été libéré], je n’avais pas d’argent. Ils [les autorités] disaient : “C’est votre problème, pas le nôtre. La gare routière est là, vous pouvez aller à Athènes.” Quand vous n’avez pas d’argent, vous vous installez dans un jardin public, ou là où vous trouvez un endroit pour dormir. Là-bas, il y avait beaucoup de familles afghanes qui s’étaient installées devant une église. »
M.S.S. est venu en Europe chercher une protection. Pourtant, il était toujours en danger. « Les conditions de vie n’étaient pas sûres, affirme-t-il. La nuit, la violence n’était pas rare. J’ai reçu des coups plusieurs fois, on a essayé de voler mes affaires. » Il vivait aussi dans la peur d’être reconnu par d’autres Afghans. « J’avais toujours peur des talibans, car on ne sait jamais qui est un taliban. Dans les rues, j’ai vu beaucoup de gens venus de toutes les régions d’Afghanistan. »
M.S.S. était également exposé à un autre danger, celui d’être expulsé de Grèce. Par le passé, des demandeurs d’asile ont été forcés de quitter la Grèce alors même que leur expulsion les exposait à un risque réel de subir des atteintes graves à leurs droits humains. Pendant tout ce temps, il n’a jamais été accordé d’entretien à M.S.S. pour qu’il expose les raisons de sa demande d’asile.
M.S.S. n’a pas baissé les bras. Il a demandé que ses droits soient reconnus. En juin 2009, il a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête (M.S.S. c. Belgique et Grèce). Conjointement avec une autre organisation non gouvernementale, le Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe, Amnesty International est intervenue auprès de la Cour européenne pour apporter son soutien dans cette affaire. En janvier 2011, la Cour a rendu en faveur de M.S.S. une décision historique qui contribuera également à la protection d’autres demandeurs d’asile en Europe.
Dans son arrêt relatif à la requête de M.S.S., la Cour a conclu que la Grèce et la Belgique avaient violé la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour a jugé qu’en maintenant M.S.S. en détention dans des conditions dégradantes puis en le laissant sans ressources, la Grèce avait violé l’article 3 de la Convention, qui interdit la torture et tout autre traitement inhumain ou dégradant. La Cour a conclu qu’il y avait également eu violation de cet article par la Belgique du fait que ce pays a renvoyé M.S.S. en Grèce, l’exposant ainsi à une expulsion éventuelle vers l’Afghanistan, où il courait le risque d’être torturé ou de subir d’autres mauvais traitements, voire d’être tué. « Les autorités belges savaient ou devaient savoir qu’il n’avait aucune garantie de voir sa demande d’asile examinée sérieusement [en Grèce] », a affirmé la Cour.
La décision de la Cour renforce la demande d’Amnesty International et d’autres organisations des droits humains de suspendre les renvois de demandeurs d’asile vers la Grèce jusqu’à ce que ce pays ait mis en place une procédure d’asile efficace qui respecte le droit international relatif aux droits humains. La Grèce a réformé récemment son système en la matière mais, outre les préoccupations existantes, il est trop tôt pour dire quand et comment ces réformes combleront les lacunes de la procédure d’asile grecque.
« La décision de la Cour ne vaut pas seulement pour moi, affirme M.S.S. [Un autre demandeur d’asile] vient de me dire : “Merci. Grâce à vous, nous sommes libérés de cette menace d’être renvoyés vers la Grèce. C’est une très bonne chose.” » M.S.S. souhaite maintenant prendre un nouveau départ dans la vie. « J’ai déjà trente ans et toute ma vie a tourné autour de ce problème, si bien que je n’ai jamais pu saisir ma chance », déclare-t-il. « Si on me donne la possibilité de rester, je travaillerai dur et je m’efforcerai de m’en sortir le mieux possible, après toute cette affaire. »

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