LA JUSTICE FISCALE, UN LEVIER POUR PLUS DE DROITS HUMAINS

Bien plus qu’une question technique, la fiscalité est devenue un enjeu central pour les droits humains et la justice sociale. Marta Schaaf, directrice de programme sur la justice climatique, économique, sociale et la responsabilité des entreprises chez Amnesty International, revient sur les raisons qui font de la justice fiscale une problématique indispensable pour répondre aux défis contemporains : réchauffement climatique, pandémies, insécurité alimentaire ou encore inégalités croissantes.

« Pour faire face au réchauffement climatique et aux catastrophes qu’il engendre, à l’insécurité alimentaire, aux pandémies, à l’accroissement des inégalités, les gouvernements ont désespérément besoin d’argent, mais où le trouver ? Alors que les États croulent sous les dettes, les multinationales n’ont jamais été aussi riches ». Ces mots, prononcés en guise d’introduction du documentaire Tax Wars de Hege Dehli et Xavier Harel disponible sur Arte, résument les défis souvent nébuleux derrière le terme justice fiscale. Cette dernière regroupe l’ensemble des politiques fiscales conçues pour diminuer les inégalités socio-économiques dans le but d’assurer une répartition des richesses plus équitable.

La fiscalité est l’une des principales sources de revenus des États, permettant de financer des services publics tels que la santé, l’éducation, la sécurité sociale et la justice. Sans ces ressources, les États ne peuvent garantir le respect et la protection des droits fondamentaux. Les revenus issus des impôts sont donc nécessaires pour assurer le plein exercice des droits humains dans tous les domaines, qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels, mais aussi civils et politiques.

La fraude fiscale et les inégalités fiscales représentent des obstacles majeurs au développement des services publics et à la réalisation des droits humains. Ainsi, la fraude fiscale et les inégalités qui concernent la fiscalité privent les États, particulièrement dans les pays à faibles revenus, des moyens nécessaires pour assurer ces services et donc pour remplir leurs obligations en matière de droits humains. La fraude fiscale est donc, à ce titre, dommageable pour l’ensemble de la collectivité. En Belgique, par exemple, comme le rapporte le média Alter Échos, le coût annuel de l’évasion fiscale est estimé entre 7 et 30 milliards d’euros. Cette imprécision dans les données chiffrées s’explique par le manque de transparence des multinationales qui profitent de règles fiscales obsolètes par rapport à notre système économique actuel.

Comme l’explique Marta Schaaf, directrice de programme sur la justice climatique, économique, sociale et la responsabilité des entreprises pour Amnesty, en analysant les défis fiscaux mondiaux : « Nous ne pouvons pas envisager les pays comme des entités indépendantes appliquant une politique fiscale qui, à elle seule, favoriserait ou compromettrait les droits humains.

LA JUSTICE FISCALE, UN OUTIL INDISPENSABLE DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

Assurer que les États respectent leurs obligations en matière de droits humains en relation avec la fiscalité est crucial, non seulement pour répondre à la crise climatique, mais également pour défendre les droits fondamentaux des personnes qui en souffrent. En effet, les droits humains et la justice fiscale sont intrinsèquement liés : une fiscalité équitable permet de garantir des ressources suffisantes pour financer des politiques publiques en faveur de l’environnement et de la société. Dans ce contexte, les pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques, qui émettent souvent le moins de gaz à effet de serre, se retrouvent en première ligne des impacts dévastateurs du dérèglement climatique, tels que les inondations, les sécheresses et les incendies de forêt. Pour Marta Schaaf : « Ce ne sont pas aux classes moyennes de payer la facture, mais plutôt à ceux qui ont bénéficié du système des énergies fossiles de contribuer davantage aux adaptations nécessaires. »`

Le contexte mondial joue un rôle tout aussi crucial : de nombreux pays participent à une “course vers le bas”, visant à attirer des entreprises et des multinationales qui s’installent dans des juridictions leur permettant de réduire leurs obligations fiscales. Ce phénomène prive notamment les pays à faible revenu de ressources essentielles pour garantir les droits humains. Dans ce contexte plus large, ces mêmes pays sont souvent confrontés à une dette croissante, et leurs créanciers les poussent à prendre des décisions particulièrement difficiles, souvent sous la forme de budgets d’austérité. »

De plus, les multinationales qui minimisent leur contribution dans les pays où elles opèrent grâce à des stratégies d’évasion fiscale aggravent la situation des pays à faibles et moyens revenus, déjà endettés, et les contraignent ainsi à mettre en place des politiques d’austérité, ce qui exacerbe les inégalités sociales et la précarité.

Ces pays souffrent également d’un manque criant de ressources financières, ce qui limite leur capacité à faire face à ces défis. C’est ici que la justice fiscale entre en jeu. En tant que concept visant à corriger les inégalités économiques et à assurer une répartition plus équitable des richesses, elle peut devenir un levier essentiel pour financer non seulement la transition énergétique, mais aussi l’adaptation aux changements climatiques. Tout cela devrait se faire dans une perspective de protection des droits des populations vulnérables, mais aussi en garantissant un avenir durable pour les générations futures.

JUSTICE FISCALE ET REDISTRIBUTION DES RICHESSES

Au-delà des enjeux climatiques, la fiscalité internationale perpétue des inégalités héritées de l’époque coloniale. Par exemple, des matières premières comme le cobalt et le cuivre sont extraites des pays du Sud, mais les bénéfices fiscaux sont principalement réalisés dans les pays du Nord, où se trouvent les entreprises qui contrôlent ces industries. Marta Schaaf souligne que : « Les pays les plus riches sont ceux qui sont historiquement responsables d’injustices telles que la colonisation et l’esclavage, ils doivent non seulement contribuer à réparer ces torts,

mais permettre une fiscalité plus juste qui redistribue équitablement les ressources. » Dans cette perspective, la mise en place d’une fiscalité qui reconnaît et corrige les injustices raciales en redistribuant les ressources auprès des personnes concernées contribue à réparer les inégalités passées et présentes.

Bien plus qu’une question de chiffres et de politiques économiques, la justice fiscale est intrinsèquement liée aux droits humains en affectant la capacité des États à fournir des services essentiels et à protéger leurs populations. La lutte pour la justice fiscale s’inscrit dans un combat plus large pour l’égalité, la dignité humaine et la justice sociale. Dans un contexte mondial marqué par des inégalités croissantes et des crises multiples – économiques, climatiques et sociales –, un système fiscal équitable qui permette de respecter les droits humains de tous·tes, en particulier des populations les plus vulnérables, est indispensable.

Par Lisa Guillaume, journaliste

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