Bien que très inquiétant, ce retrait n’est pas – de loin – le seul reproche que l’on peut faire à la Turquie en ce qui concerne le respect des droits humains. Pour faire le point sur la situation, nous avons posé quelques questions à Jenny Vanderlinden, coordinatrice Turquie pour la section belge francophone d’Amnesty International.
Quelles conséquences le retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul risque-t-il d’avoir sur la sécurité des femmes et des filles dans le pays ?
L’impact va être très important. La Turquie étant une société qui demeure très machiste, ce retrait pourrait favoriser encore plus l’impunité pour les personnes qui se rendent coupables de violences. Par ailleurs, la Convention d’Istanbul demande à chaque État signataire d’accueillir les femmes en détresse de la meilleure manière possible ; il est désormais à craindre que les autorités ne prennent plus de mesures appropriées pour répondre à cette exigence. Du reste, le moment est très mal choisi ; en raison des diverses mesures de confinement dues à la pandémie de COVID-19, la violence domestique a en effet augmenté.
Peut-on dire que ce retrait est le reflet d’une dégradation généralisée des droits humains dans le pays ? Comment se traduit-elle dans les faits ?
Après à la tentative de coup d’État de 2016, la Turquie s’est montrée très répressive à l’encontre des voix dissidentes, notamment envers des figures de l’opposition, des journalistes, des militant·e·s des droits humains et des acteur·rice·s de la société civile. La situation des droits humains s’est dégradée très rapidement, dans un contexte où le pouvoir exécutif exerce un contrôle très fort sur le pouvoir judiciaire. Il y a également des problèmes en ce qui concerne la liberté des associations et des cas de torture. Mais le problème majeur demeure les atteintes à la liberté d’expression.
Parmi les cibles des autorités, il y a notamment Taner Kılıç et Idil Eser, l’ancien président et l’ancienne directrice de la section turque d’Amnesty International. Quelle est leur situation aujourd’hui ?
Taner a été condamné à cinq années de prison pour « appartenance à une organisation terroriste ». Il est notamment suspecté d’avoir téléchargé ByLock sur son smartphone, une application de messagerie mobile cryptée. Quant à Idil, elle a été condamnée à deux années de prison pour « soutien à une organisation terroriste », pour la simple raison qu’elle connaît Taner. Amnesty continue de dénoncer cette mascarade de justice. La volonté des autorités turques est clairement de réduire au silence et de punir les défenseur·e·s des droits humains. Notre organisation suit également d’autres cas inquiétants, comme ceux d’Osman Kavala, des « mères du samedi », d’Eren Keskin, etc.
Dans ce contexte, comment Amnesty continue d’agir pour les droits humains en Turquie ?
La section turque travaille énormément sur les violations des droits humains commises dans d’autres pays que la Turquie. Leur éventail d’action étant tellement large, les autorités ont beaucoup de mal à les accuser de subjectivité ou de vouloir dénigrer la Turquie. Pour l’instant, la section turque travaille de manière totalement normale, mais avec prudence et continue de lutter contre les violations des droits des femmes, des personnes LGBTI, des défenseur·e·s des droits humains, etc.