« Battu à mort. Un jour, un jeune homme sort de chez lui et se fait arrêter par la police car il n’a pas sa carte d’identité sur lui. Il est ensuite battu à mort au centre de détention. »
Teng Biao, un avocat très connu en Chine, se souvient de cette affaire de mars 2003 qui l’a poussé à militer en faveur des droits humains.
Sun Zhigang, un styliste de 27 ans, était venu s’installer à Canton, dans le sud du pays, pour son travail. La police l’a arrêté et incarcéré en vertu du régime de détention et de rapatriement chinois, une forme de détention arbitraire qui a exposé des millions de travailleurs migrants à des violations.
Ces violences meurtrières sur un détenu ont indigné l’opinion.
« RISQUÉE ET DANGEREUSE »
À l’époque, Teng Biao venait d’achever son doctorat de droit et enseignait à l’Université de sciences politiques et de droit de Pékin.
Ses anciens camarades d’études et lui ont décidé d’écrire une lettre ouverte à l’Assemblée populaire nationale, le corps législatif chinois, appelant à l’abolition du régime de détention et de rapatriement.
Une telle mise en cause était, selon les termes de Teng Biao, « risquée et dangereuse ». Il ignorait ce qui lui arriverait ainsi qu’aux autres personnes impliquées.
La vague d’indignation a débouché sur l’abolition du système quelques mois plus tard. La réputation de Teng Biao a fait le tour de la Chine. Beaucoup de gens se sont mis à lui écrire pour lui demander de l’aide.
Avec ses amis avocats et professeurs d’université, il a alors monté un groupe – le Gongmeng, ou Open Constitution Initiative – afin de mener une action pour la liberté d’expression et la liberté de religion, et contre les avortements forcés.
UN LOURD PRIX À PAYER
Mais cette initiative lui a valu l’étiquette de fauteur de troubles et, 10 ans plus tard, le dévouement de Teng Biao en faveur des droits humains lui a coûté cher sur le plan personnel.
Aujourd’hui âgé de 39 ans, marié et père de deux jeunes enfants, il a été détenu et torturé, s’est vu retirer son autorisation d’exercer et interdire d’enseigner à plusieurs reprises. Pour autant, il demeure résolu à continuer.
« Je ne peux pas baisser les bras. J’ai une responsabilité. Ce que je fais est juste. Je peux contribuer à rendre la politique et la Chine meilleures. »
Actuellement professeur invité à l’université chinoise de Hong Kong, Teng Biao parle d’une voix douce, mais son discours est clair et déterminé.
« J’ai une responsabilité envers la société mais aussi envers ma famille, et il est très difficile d’équilibrer ces deux aspects. Je ne veux surtout pas faire souffrir ma famille. Je fais de mon mieux pour éviter que cela ne se produise. Je ne veux pas aller en prison, mais je n’en ai pas peur. »
Lorsque l’État chinois a lancé une campagne de répression contre les militants pendant la « révolution de jasmin » de 2011, Teng Biao a été enlevé par la police et détenu pendant 70 jours.
« On m’a obligé à monter dans une voiture près de chez moi. Ils se sont servis de mon écharpe pour me bander les yeux et de ma chemise pour me couvrir la tête. Le premier jour, trois policiers m’ont frappé. Pendant 20 jours, je suis resté attaché 24 heures sur 24 dans une chambre d’hôtel.
« J’étais surveillé à chaque instant par au moins deux policiers. Le rideau n’était jamais ouvert et les lumières restaient toujours allumées. Ils me forçaient à m’asseoir face au mur de l’aube jusqu’au soir.
« Ils ont imprimé tous mes articles et interviews et m’ont dit que je risquais d’être inculpé d’“incitation à la subversion de l’État”. Ils ne m’ont jamais remis de document fournissant les motifs de ma détention ni la date de ma libération. »
Teng Biao n’a eu aucun contact avec le monde extérieur entre le 19 février, jour de son enlèvement par la police, et l’avant-veille de sa libération, le 13 avril.
« Je ne pouvais faire parvenir aucune information à l’extérieur. J’avais peur. Je ne savais pas ce qui allait arriver. Dans le cadre d’une procédure ordinaire, j’ai la possibilité de rencontrer mon avocat et ma famille peut me rendre visite. La détention illégale vous prive de tout cela.
« L’avant-veille de ma libération, j’ai enfin été autorisé à passer un bref appel téléphonique à mon épouse. Même à ce moment-là, je ne savais pas combien de temps ils allaient me garder.
« Ils m’ont obligé à m’engager par écrit à ne raconter à personne ce qui s’était passé, à ne pas écrire d’articles sur des sujets névralgiques et à ne plus défendre d’affaires sensibles. »
DÉFENSEUR DE LIU XIAOBO
Teng Biao a participé à plusieurs grandes actions de défense des droits humains en Chine au cours des 10 dernières années. Il est l’un des fondateurs et signataires de la Charte 08, un manifeste publié en décembre 2008 appelant à la mise en oeuvre de réformes politiques et juridiques.
Le lauréat du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo purge actuellement une peine de 11 ans de prison pour avoir participé à la rédaction de cette charte.
« Liu Xiaobo a joué un rôle important dans la Charte 08. Un jour, il m’en a montré un brouillon et je lui ai dit que j’allais évidemment la signer.
« Il faut faire savoir aux dirigeants que la réforme est un idéal commun à l’ensemble du peuple chinois. Parmi les signataires de la Charte figuraient non seulement d’éminents universitaires, mais aussi des agriculteurs, des ouvriers et des militants issus de nombreux milieux. »
Au début de cette année, 450 000 personnes se sont jointes à Desmond Tutu et à d’autres lauréats du prix Nobel pour réclamer la libération de Liu Xiaobo. Teng Biao pense que cela finira par peser sur le cours des choses.
« Quand Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la paix, c’était un événement important pour la Chine, non seulement pour l’homme de la rue, mais aussi pour l’État.
« Le gouvernement central s’est probablement senti humilié. Comme ils en veulent énormément au comité du prix Nobel de la paix, ils ne sont sans doute pas près de libérer Liu Xiaobo. Mais si la pression internationale et nationale est suffisamment forte, l’État fera quelque chose. Il y a tellement de gens qui le soutiennent et qui sont inspirés par son action et par son énergie. »
LE COMBAT CONTRE LA PEINE DE MORT
Aujourd’hui, Teng Biao consacre une grande partie de son temps à militer pour l’abolition de la peine de mort. Un défi de taille dans un pays qui a exécuté plus de personnes en 2012 que tous les autres pays réunis.
Voilà quelques années, il a cofondé La Chine contre la peine de mort, un réseau d’avocats militant pour son abolition et prenant des affaires dont les accusés sont passibles de la peine de mort, en particulier celles dont les accusés ont été torturés, souffrent de maladies mentales ou ont été condamnés à tort.
« Le plus urgent est de faire baisser le nombre d’erreurs judiciaires. Notre justice n’est pas indépendante. Les juges sont sous l’influence, voire sous le contrôle, de la police locale ou du parti communiste. Les tribunaux se voient dicter leurs décisions dans les affaires importantes, notamment quand les accusés sont passibles de la peine capitale. »
Le réseau a exhorté récemment les autorités chinoises à ne pas exécuter Li Yan, condamnée à mort pour l’homicide de son époux en dépit d’éléments démontrant qu’elle était régulièrement victime de violences conjugales.
Des dizaines de milliers de personnes à travers le monde ont également demandé que Li Yan ne soit pas exécutée. Pour Teng Biao, il est évident que les personnes extérieures à la Chine peuvent contribuer à y faire progresser les droits humains.
LES HABITS NEUFS DE L’EMPEREUR
« Le regard de la communauté internationale joue un rôle important dans la transition politique en Chine. Sans la pression internationale, il sera plus risqué d’y militer en faveur des droits humains.
« Les personnes extérieures à la Chine qui veulent voir le pays progresser doivent absolument continuer à prier leur gouvernement de ne pas rester muet face aux violations perpétrées par l’État chinois. Parfois les droits humains sont comme les habits neufs de l’empereur : personne ne veut en parler. Les États ne devraient pas faire passer les affaires avant les droits humains. »
À l’heure où la Chine vient de changer de dirigeant – ce qui ne se produit qu’une fois par décennie – Teng Biao se veut optimiste pour la cause des droits humains dans les années à venir.
« Des progrès ont été accomplis ces 10 dernières années. L’État renâcle à l’idée d’évoluer, mais le militantisme gagne du terrain. Il nous faut bâtir un nouveau système fondé sur l’état de droit et la dignité humaine. De plus en plus de Chinois commencent à réclamer leurs droits et leur liberté. »
Lisez notre nouveau rapport sur la peine de mort dans le monde en cliquant ici |