Russie. Sens de l’humour obligatoire

« Seul l’art approuvé par les autorités sera toléré. »

Alexandre Donskoï, propriétaire du Musée du pouvoir, en Russie

Un policier confisque illégalement le tableau "Poutine et Obama", de Vera Donskaïa-Khilko, exposé au Musée d'art érotique de Saint-Pétersbourg Point-G (septembre 2013). L'oeuvre représente les deux dirigeants sous l'aspect de guerriers nus, entourés de symboles phalliques. © Kirill Shlapakov

Le Musée du pouvoir de Saint-Pétersbourg, en Russie, a eu la vie courte. Inauguré le 16 août 2013, il a ouvert ses portes sur l’exposition Leaders du peintre Konstantin Altounine avant de les refermer seulement dix jours plus tard. Des policiers et des agents en civil ont fait une descente dans le musée et y ont saisi quatre tableaux, dont un intitulé Travestis où l’on voit le président Vladimir Poutine coiffer le Premier ministre Dimitri Medvedev, tous deux habillés de sous-vêtements féminins.

La police a déclaré que l’exposition satirique avait violé certaines lois, sans préciser lesquelles. La directrice du musée, Tatiana Titova, a été interrogée et arrêtée à deux reprises avant que le musée ne rouvre le 5 septembre. Le lendemain, il était de nouveau fermé. Cette fois, le bailleur a résilié son contrat avec le musée, car les autorités auraient exercé des pressions sur lui.

« À cause des restrictions imposées à la liberté d’expression, nous ne pouvons pas exposer certaines oeuvres d’art que nous estimons devoir montrer au public », explique le propriétaire du musée, Alexandre Donskoï. Non loin de là, il possède également le Musée d’art érotique Point-G, qui a été fermé temporairement en septembre 2013.

« Les artistes sont contraints de fuir et de chercher asile à l’étranger. Je ne vois aucun avenir pour moi à cause de la pression que les autorités exercent sur nous, poursuit-il. Leurs actions démontrent clairement que seul l’art approuvé par les autorités sera toléré. »

Le peintre, Konstantin Altounine, a demandé asile à la France. « Autrefois, les rois avaient des bouffons qui avaient le droit de dire la vérité, souligne-t-il. Elle n’est pas toujours agréable à entendre, mais c’est nécessaire – car c’est la seule manière de garantir la liberté. »

Cet exemple est loin d’être unique dans la Russie d’aujourd’hui. Les autorités témoignent d’une absence flagrante de sens de l’humour en prenant des mesures draconiennes contre l’art et la musique qu’elles jugent critiques, d’autant plus à l’approche des Jeux olympiques d’hiver de 2014, qui auront lieu dans la ville côtière de Sotchi.

Environ 100.000 signatures seront prochainement remises au gouvernement russe demandant au président Poutine de cesser de s’en prendre à la liberté d’expression en Russie.


© Konstantin Altunin (photo : Kirill Shlapakov)
Milonov Arc-en-ciel, de Konstantin Altounine, qui décrit son oeuvre comme une réaction à la réglementation controversée de Saint-Pétersbourg contre la promotion « de la sodomie, du lesbianisme, de la bisexualité et du transgenrisme auprès des mineurs ».
Le principal artisan de cette réglementation, l’homme politique saint-pétersbourgeois Vitali Milonov, a visité le Musée du pouvoir quelques heures avant l’intervention de la police.

© Konstantin Altunin (photo : Kirill Shlapakov)
L’apparition de Vladimir Poutine au peuple, de Konstantin Altounine, qui a expliqué : « Ce tableau fait référence à L’Apparition du Christ au peuple, de l’artiste du 19e siècle Alexandre Ivanov.
Il représente, avec une certaine ironie, une personne empoisonnée par le pouvoir dont elle s’est emparée.
Toutes les opérations de relations publiques de Vladimir Poutine, comme celles où il se met en scène à cheval torse nu ou retour de la pêche avec un gros poisson, prouvent qu’il est dans cette situation. Personne ne doit devenir une icône de son vivant. »

© Kirill Shlapakov
Policiers et agents du Service fédéral de contre-espionnage attendent devant le Musée du pouvoir pendant qu’à l’intérieur, leurs collègues confisquent illégalement des tableaux du musée ainsi que sa caisse enregistreuse et apposent des scellés à son entrée.
L’intervention a eu lieu le premier jour du sommet du G20 en Russie, et tout de suite après la visite de l’homme politique pétersbourgeois Vitali Milonov.

© Kirill Shlapakov
Le groupe d’artistes Voïna (Guerre) manifeste son soutien au Musée du pouvoir en déroulant une toile de Konstantin Altounine, Poutine accueille ses hôtes du G20, dans le centre de Saint-Pétersbourg pendant le sommet du G20, en août 2013.
Les policiers n’ont pas tardé à confisquer l’oeuvre et à arrêter les participants.

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