Mortalité maternelle — Donner la vie sans être en péril

Lorsqu’une femme meurt de causes évitables pendant une grossesse ou en accouchant, l’État dont elle dépend viole son droit à la vie. Certaines femmes ne peuvent pas accéder à des soins de santé satisfaisants en raison de leur pauvreté ; d’autres font face à des obstacles liés à leur origine ethnique ou à leur nationalité. La discrimination nuit à la santé des femmes dans le monde entier. LE FIL examine la situation au Burkina Faso et aux États-Unis, deux pays que tout semble séparer, mais qui pratiquent l’un comme l’autre une négation mortelle des droits des femmes enceintes.
Une semaine après la naissance de ses jumeaux, Mariam, qui vit à Ouagadougou, au Burkina Faso, a commencé à souffrir de vertiges et de violents maux de tête. Ali, son mari, l’a ramenée à l’hôpital. « Mariam gémissait et tremblait énormément. Plusieurs soignants m’ont demandé de payer pour différents produits, je ne sais pas lesquels, explique-t-il. J’ai payé plusieurs fois ». Le lendemain, il a fallu conduire de nouveau Mariam au service des urgences. Son mari a reçu une autre ordonnance et a dû payer une boîte de gants chirurgicaux.

« Après deux heures d’attente, je suis allé demander pourquoi ma femme n’avait toujours reçu aucun traitement. On m’a répondu qu’il y avait des gens plus malades à soigner avant elle. J’ai continué à attendre, puis je leur ai demandé pourquoi ils ne s’occupaient toujours pas de ma femme. On m’a répondu : “C’est d’abord à vous de vous occuper de votre patiente.” J’ai alors compris que je devais payer pour qu’on s’occupe de ma femme. J’ai donné plus de 5 000 francs CFA (environ 7,50 euros) et on s’est enfin occupé de ma femme. » Ali a reçu une nouvelle ordonnance, mais sa femme est morte avant de pouvoir en bénéficier. « Ma sœur est morte faute de moyens et de soins suffisants, a souligné le frère aîné de Mariam. L’hôpital, c’est comme une chambre de commerce. Si vous êtes pauvre, on vous néglige ; si vous pouvez payer, on s’occupe de vous. »

Intégrer les femmes dans la recherche de solutions

Darleen San Jose-Estuart est gynécologue-obstétricienne à Davao, dans le sud des Philippines. Spécialisée dans les droits relatifs à la santé en matière de procréation, elle s’efforce de faire mieux connaître les droits dans le cadre du système de santé de son pays. Elle explique au FIL comment les praticiens peuvent aider les femmes à influer davantage sur les décisions qui concernent leur vie et leur santé.
« Dans le système de santé en vigueur aux Philippines, les établissements publics ne fournissent pas de services gratuits à la population, la plupart des gens n’ont pas d’assurance maladie et les soins médicaux privés sont coûteux. Dans ces conditions, les femmes vivant dans la pauvreté n’accèdent pas facilement aux services de santé. Pour accroître encore les difficultés dont elles souffrent, plus leur pauvreté est grande, plus leur santé est fragilisée par plusieurs facteurs : malnutrition, manque d’éducation, conditions de vie insalubres.
« En fournissant directement à certaines femmes un ensemble de services de santé reproductive, je renforce leur capacité d’agir et je défends leurs droits. Je fais attention à leurs problèmes, je leur pose des questions judicieuses. Je leur explique les choix qui s’offrent à elles, je les fais participer à la prise de décisions concernant leur santé et je respecte les décisions qu’elles prennent ensuite en connaissance de cause. Dans un contexte où la santé coûte cher, nous trouvons des moyens de répondre à leurs besoins. Je donne des informations et je les laisse poser des questions. Je tiens absolument à intégrer leur mari ou compagnon et les membres de leur famille aux entretiens, surtout lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec leurs décisions. Si une femme refuse un traitement, je respecte sa décision. »

Chaque année, au Burkina Faso, plus de 2 000 femmes succombent à des complications liées à la grossesse et à l’accouchement. La plupart de ces décès pourraient être évités. Certaines femmes n’ont pas pu rejoindre l’établissement où elles auraient pu recevoir des soins, ou y parviennent trop tard. De nombreuses femmes meurent parce que leur famille ne peut pas payer les frais exigés par le personnel médical. Pour d’autres, l’issue fatale est due à une pénurie de produits sanguins, de médicaments, d’équipement ou de personnel médical qualifié.

La santé maternelle est une question de droits humains. La mortalité maternelle évitable résulte de différentes violations des droits humains – citons le droit à la vie, le droit de ne pas subir de discrimination et le droit de jouir du meilleur état de santé susceptible d’être atteint. Lorsqu’une femme meurt pendant une grossesse ou un accouchement parce que son pays n’a rien fait pour éliminer les causes évitables de mortalité maternelle, c’est l’État qui viole son droit à la vie.

Les femmes n’ont pas leur mot à dire

Les femmes du Burkina Faso subissent des discriminations dans tous les aspects de leur vie, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, aux soins de santé et à l’emploi. Dans les zones rurales, en particulier, les femmes ne décident en général ni d’avoir des enfants, ni du moment où elles les auront, ni de leur nombre. Si elles n’ont pas d’enfants, elles subissent souvent abandon et rejet. Les décisions dans ce domaine leur échappent, mais elles les paient de leur vie. La discrimination va plus loin : ce sont les femmes les plus pauvres, les moins instruites et celles qui vivent dans des zones rurales (à savoir 80 % de la population) qui risquent le plus de mourir de complications liées à la grossesse et à l’accouchement.
Le gouvernement du Burkina Faso a adopté des mesures pour mettre fin à cette injustice. En février 2010, le président s’est engagé à lever tous les obstacles financiers aux soins obstétricaux d’urgence et à l’accès à la planification familiale, dans le cadre d’une stratégie de réduction de la mortalité maternelle dans le pays. Auparavant, le gouvernement subventionnait le coût de la santé maternelle à hauteur de 80 % et accordait la gratuité des soins aux femmes vivant dans une extrême pauvreté (femmes indigentes). Cependant, le coût des soins empêche encore des femmes de bénéficier de traitements qui les sauveraient, et les familles se voient presque toujours demander des sommes supérieures à la tarification officielle. Souvent, des professionnels de santé exigent des paiements informels en échange de soins, de fournitures ou de prestations de transport. Amnesty International estime que la gratuité des soins de santé maternelle permettrait à toutes les femmes enceintes – notamment les moins fortunées – d’en bénéficier.

Une crise sans frontières

Le Burkina Faso est un des pays les plus pauvres du monde. Mais, si le manque de ressources pose des problèmes, il arrive aussi qu’un État ne fasse pas de son mieux, avec des ressources bien réelles, pour permettre à toute la population de jouir du droit à la santé (y compris la santé sexuelle et reproductive). Aux États-Unis, par exemple, les dépenses de santé sont les plus fortes du monde, et la santé maternelle est l’objet de frais plus élevés que tout autre type de soin hospitalier. Pourtant, les femmes des États-Unis courent plus de risques de mourir de complications liées à la grossesse que dans 40 autres pays. Aux États-Unis, plus de deux femmes meurent chaque jour de complications liées à la grossesse et à l’accouchement. Environ la moitié de ces décès pourraient être évités si les soins de santé maternelle étaient disponibles, accessibles et de bonne qualité pour toutes les femmes du pays.

Pour de nombreuses femmes, notamment celles qui ont de faibles revenus et en particulier dans les zones rurales et les quartiers défavorisés, les soins de santé ne sont pas abordables.

Près de 13 millions de femmes en âge de procréer (15 à 44 ans) – soit une sur cinq – n’ont pas d’assurance maladie. Environ 42 % des accouchements sont couverts par Medicaid, un programme financé par les pouvoirs publics et destiné aux personnes à faible revenu. Cependant, en raison d’un parcours bureaucratique difficile à suivre, les femmes remplissant les conditions pour en bénéficier tardent souvent à recevoir des soins pendant la grossesse. Dans certains cas, parce que les frais sont élevés et les rémunérations minimes, ou parce que le système Medicaid est trop compliqué, les médecins ne veulent pas ou ne peuvent pas dispenser des soins de santé maternelle.

Malgré les sommes considérables investies dans la santé aux États-Unis, les pouvoirs publics continuent de ne pas faire le nécessaire pour celles qui ont besoin de soins de santé maternelle. Les professionnels de santé ne sont pas assez nombreux, il n’existe pas de protocoles normalisés sur le plan national pour traiter les causes principales de mort, et l’information sur les signes de complications et les risques d’interventions telles que les accouchements déclenchés et les césariennes est insuffisante. Enfin, il n’existe aucune obligation fédérale de signaler les décès liés à la maternité – 29 États, ainsi que le District de Columbia, ne recensent même pas les cas de mortalité maternelle.

Aux États-Unis, étant donné les carences du système de santé, la mauvaise santé est relativement fréquente chez les femmes vivant dans la pauvreté qui entament une grossesse et elles reçoivent souvent des soins prénatals tardifs ou peu appropriés. L’attention dont elles bénéficient pendant l’accouchement est insuffisante ou inadaptée et leur accès aux soins après la naissance est limité. Les conséquences peuvent être désastreuses. Les femmes qui ne bénéficient pas de soins prénatals courent trois à quatre fois plus de risques de mourir de complications liées à la grossesse que celles qui en reçoivent. La mortalité des femmes qui vivent une grossesse à risque est multipliée par 5,3 en l’absence de soins prénatals.

La discrimination est parfois meurtrière

Aux États-Unis, de nombreuses femmes subissent des discriminations en raison de la couleur de leur peau, de leur origine ethnique, de leur situation de migrantes, de leur appartenance à un peuple autochtone, de leurs faibles revenus ou parce qu’elles vivent dans une zone rurale. Dans tous les cas, ces discriminations diminuent leur chance d’accéder à des services de santé maternelle convenables. Le risque de mourir des suites de complications liées à la grossesse est presque quatre fois plus élevé pour les Afro-Américaines que pour les Blanches. Cette disparité est restée fixe depuis plus de 20 ans. En comparaison des Blanches, il est 3,6 fois plus fréquent que les Amérindiennes et les autochtones de l’Alaska reçoivent des soins prénatals tardifs, voire qu’elles n’en reçoivent pas du tout, tandis que cette situation se présente 2,5 fois plus souvent pour les Afro-Américaines et les Hispano-Américaines. Les femmes issues de ces minorités courent un risque plus élevé de recevoir des soins de qualité inférieure et de subir des comportements discriminatoires ou une prise en charge inadaptée à leur culture.

Inamarie Stith-Rouse, une Afro-Américaine de 33 ans, a subi en urgence une césarienne et donné naissance à une petite fille en bonne santé, Trinity, dans un hôpital de Boston (Massachusetts), en juin 2003. Selon son mari, Andre Rouse, après la naissance, elle éprouvait de l’angoisse et des difficultés respiratoires, mais le personnel n’a pas tenu compte de leurs appels à l’aide, affirmant que ce n’était « pas grave » et qu’ils étaient « trop impressionnables ». Andre Rouse s’est ouvert à Amnesty International de son sentiment : selon lui, des facteurs raciaux ont joué un rôle dans l’absence de réaction du personnel. Plusieurs heures ont passé avant que les examens nécessaires ne soient effectués, et il était alors déjà trop tard. Inamarie Stith-Rouse est tombée dans le coma ; elle est morte quatre jours après. Andre Rouse se rappelle : « Les dernières paroles qu’elle m’a adressées, c’était : “Andre, j’ai peur.” »

Depuis plus de 20 ans, les autorités américaines n’ont remédié ni aux disparités en matière de santé maternelle, ni à leurs conséquences. Il est essentiel que le débat sur le système de santé aux États-Unis ne se limite pas à la question de la couverture maladie et aborde la nécessité de l’accès à des soins de qualité pour tous, sur la base des principes d’égalité et de non-discrimination.

Agissez

À l’occasion de la Journée mondiale de la santé, le 7 avril, rendez-vous sur le site http://www.demandedignity.org, où vous trouverez plus d’informations sur cette question. Le rapport d’Amnesty International intitulé Donner la vie, risquer la mort. La mortalité maternelle au Burkina Faso peut être consulté en ligne à l’adresse suivante :http://www.amnesty.be/mortaliteburkina. Le document Deadly Delivery : The maternal health care crisis in the USA est disponible sur : http://snipr.com/v6bvg

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