Par Jenny Moerenhout du groupe 42 d’Amnesty International Belgique francophone

ZARGANAR NARRE

Comédien, humoriste, poète et réalisateur birman, Zarganar a été condamné à 35 ans d’emprisonnement pour être venu en aide aux victimes du cyclone Nargis et avoir critiqué la non-assistance de la junte birmane auprès de médias étrangers. Zarganar fût libéré



Zarganar fait le clown devant l’objectif du photographe Jorn van Eck © Amnesty International

Nous n’y croyions pas au sein du groupe 42. Voir "notre" Zarganar libéré était notre souhait le plus cher, mais la junte militaire birmane avait une telle réputation que c’était là un voeu pieux. Et puis le miracle s’est produit. Le 12 octobre 2011, jour de la réunion mensuelle de notre groupe, nous avons appris sa libération, que nous avons dignement fêtée !

Lorsque j’ai appris par une amie londonienne, proche des milieux birmans, qu’il venait à Londres au mois de juin, mon sang n’a fait qu’un tour ! Je ne voulais rater cela sous aucun prétexte. Et je ne fus pas déçue. Pierre (mon époux et membre du groupe) ne fut pas difficile à convaincre et nous partîmes pour Londres le 6 juin. Dès notre arrivée, nous avons pu assister à « un après-midi avec Zarganar », organisé par le groupe d’associations qui avait déjà mis sur pied la manifestation « Free Zarganar Campaign » en mai 2010 à Londres. Tout le monde était là, y compris Rex Bloomstein, le réalisateur du film This Prison where I live et Michael Mittermeier, le comédien et humoriste allemand qui a marché dans les pas de Zarganar – jusqu’à la prison de Myitkyina ! – dans le film. Quelle émotion ! Un grand moment quand Zarganar et Michael se sont retrouvés dans les bras l’un de l’autre. Mais très vite, l’humour a pris le pas sur l’émotion et les deux compères ont régalé la galerie de leurs bons mots. Zarganar a d’ailleurs suggéré à Rex Bloomstein de modifier la fin du film en « happy end ».

Le lendemain matin, cerise sur le gâteau, nous avons eu l’occasion de nous entretenir en tête à tête avec Zarganar, grâce à Htein Lin, artiste birman et ancien compagnon de captivité de Zarganar, qui le logeait et qui nous a gentiment reçu chez lui.

Durant une heure et demie d’entretien, Zarganar fut intarissable et répondit à toutes les questions que nous lui posions.

Le jour de sa libération, lui non plus n’y croyait pas ! Il fallut que plusieurs personnes lui disent de se préparer à rentrer chez lui. Il laissa l’essentiel de ses affaires personnelles, surtout les vêtements chauds, à ses compagnons d’infortune. Les seules choses qu’il a emportées furent les cadeaux et le courrier reçus des nombreuses personnes qui l’avaient soutenu durant sa captivité, entre autres des T-shirts Amnesty et même une bougie ! Parmi les souvenirs qu’il considère les plus touchants, il y a une carte d’un petit new-yorkais de 7 ans qui avait dessiné son portrait, celui d’un monsieur chauve avec une tête toute ronde et des lunettes. Lors de son séjour à New York, il essaya de retrouver ce petit garçon mais malheureusement sans succès. Il en a été très déçu. Un père et ses deux enfants lui envoyèrent des blagues qui l’inspirèrent ensuite pour en faire un poème. Il fut aussi étonné d’avoir reçu un énorme carton, plein de cartes de soutien, qui venait d’Amnesty Belgique francophone. Je lui ai donc expliqué notre campagne « Pas d’accord j’assume » dans les écoles et notre Campagne bougies, dont le thème était la liberté d’expression, thème pour lequel nous l’avions choisi car il en était la parfaite illustration.

De par sa notoriété de comédien apprécié par l’ensemble des Birmans, Zarganar a rassemblé ses anciens compagnons de détention, étudiants de la Génération 88 faisant partie de différentes ethnies, et les a encouragés à faire en sorte de résoudre pacifiquement les problèmes qui se posent toujours entre ethnies et/ou gouvernement. La plus grande crainte de Zarganar est que la poursuite de ces troubles mettent en péril la timide avancée vers la démocratie au Myanmar et donnent la part belle au gouvernement pour réprimer à nouveau sévèrement toute tentative d’autonomie et même simplement de liberté d’expression. Il compte donc beaucoup sur l’appui de ses anciens co-détenus.

Zarganar souhaite ardemment que son pays aille vers un meilleur futur, démocratique, avec moins de pauvreté, des jeunes mieux formés et une économie plus développée, moins contrôlée par le gouvernement et… par la Chine. Pour lui, l’avancée démocratique est encore timide mais il estime qu’il est du devoir de chacun dans son pays de faire des efforts pour aller de l’avant. Zarganar souligne l’importance de reconnaître les progrès réalisés par les autorités et de leur rappeler qu’il est nécessaire de progresser dans le bon sens, et cela, sans agressivité.

Sur le plan professionnel, avant sa dernière arrestation, il était interdit à Zarganar de publier ses oeuvres et de jouer, que ce soit au cinéma ou au théâtre. Après sa libération, il a négocié avec le gouvernement la mise sur pied d’une nouvelle version de « Motion picture organization », organe étatique gérant tout ce qui était artistique. C’est le président Htein Sein lui-même qui lui a proposé d’organiser des élections au sein du monde artistique pour renouveler l’équipe qui dirigeait cette organisation, ce qui a permis à Zarganar de battre le rappel de tous ses amis artistes qui ont évidemment été élus. A l’heure actuelle, il peut jouer, critiquer les membres du gouvernement – ou de l’opposition – sans pro- blème. En avril, période du nouvel an birman, une soirée a réuni 2000 personnes et a été retransmise à la télévision.

Sa devise est d’ailleurs de travailler en toute transparence et d’expliquer clairement ses intentions au ministre compétent lorsqu’il a un projet en vue. Ses bureaux sont également d’une transparence sans pareille, situés au rez-de-chaussée et tout vitrés. Rien à cacher ! Il semble que de cette manière tout se passe bien.

Zarganar n’a pas l’intention de s’installer aux Etats-Unis où vit sa famille actuellement. Après sa visite aux USA et à Londres, où il a été très actif dans la préparation de la visite de Aung San Suu Kyi, et à Paris, il va rentrer dans ce pays qu’il aime et pour lequel il veut travailler à un avenir meilleur.

Il a réussi à convaincre son fils, qui vient de terminer ses études universitaires, de rentrer au pays afin de le faire bénéficier de ses compétences, compétences dont le Myanmar a tant besoin.

Lorsque j’ai évoqué les prisonniers d’opinion encore emprisonnés, j’ai signalé l’action qui avait été envisagée au cours d’une des réunions rassemblant tous les groupes impliqués dans des dossiers Myanmar. Nous envisagions d’approcher nos édiles communaux respectifs pour leur demander d’écrire, en tant que politiciens, aux autorités birmanes, en leur demandant la libération de tous les prisonniers d’opinion et en les encourageant à continuer le processus démocratique. Zarganar a totalement approuvé cette action et a signalé qu’il comptait beaucoup sur des organisations comme Amnesty International et Human Rights Watch pour mettre la pression sur les autorités de son pays.

Il s’est également proposé pour faire passer du courrier et des cadeaux (T-shirts ou autres) aux deux prisonniers birmans pris en charge par nos groupes [1]. Cela fait tellement de bien à leur moral ! Il nous signale également que les conditions de détention se sont améliorées par rapport à ce qu’il a vécu lors de ses trois premières incarcérations. Depuis 2009, la torture n’y est plus systématique, les médicaments et nourritures apportés par les familles sont tolérés et, de plus, si le prisonnier a de l’argent, il peut charger les gardiens d’acheter livres, journaux, TV et même une radio bricolée par un électricien futé qui lui permet d’écouter la BBC !

Enfin, la principale raison pour laquelle Zarganar a accepté, entre autres, l’invitation d’Amnesty dans différents pays, était de pouvoir remercier tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui se sont mobilisés pour le soutenir durant sa captivité et obtenir sa libération. Au cours de ces voyages, un autre de ses objectifs était de prendre des contacts avec diverses universités, en particulier dans le domaine des sciences sociales, afin d’obtenir la possibilité pour les étudiants de la Génération 88 de poursuivre leurs études dans d’autres pays ou de faire venir des professeurs étrangers pour leur donner une formation accélérée.

Une visite à Bruxelles pour rencontrer le Parlement Européen est en préparation mais doit encore être confirmée.

Merci Zarganar pour cet entretien et chapeau ! Vous êtes un grand monsieur !

Notes

[1Ces deux prisonniers – Ko Aye Aung et Khun Kawrio – ont été libérés depuis.

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