Editorial : Tuer d’une main ce qu’on défend de l’autre ? Par Philippe Hensmans Directeur d’Amnesty International Belgique francophone

Nous avons de la chance. Nous vivons dans un pays qui a ratifié la plupart des traités internationaux relatifs aux droits humains [1] et qui, de façon régulière, soumet d’autres pays qui ne les respectent pas à la question, notamment au sein du Conseil des droits de l’homme.

C’est une attitude que nous attendons de la part de nos autorités. Une telle pression internationale peut avoir un impact réel sur certains pays. Aussi étrange que cela puisse paraître pour un novice, même des pays réputés pour leur attitude intolérable en matière de droits humains n’aiment pas se voir critiqués sur la place publique par d’autres états [2], et finissent par prendre des mesures dans le bon sens. L’abolition de la peine de mort a ainsi considérablement progressé.

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Mais les alliances stratégiques peuvent ralentir l’empressement de nos gouvernements à critiquer certains de leurs semblables. On l’a encore vu récemment avec la Turquie. Cette dernière ne respecte plus guère les règles de base de protection des droits humains. Le président et la directrice de la section turque d’Amnesty International en savent quelque chose, puisqu’ils ont été arrêtés récemment.

Des millions de réfugiés syriens sont aussi bien placés pour en connaître la réalité. Et c’est sans doute cela qui explique la tiédeur de réaction de beaucoup de dirigeants européens. Après tout, l’enfermement des réfugiés en Turquie mérite probablement à leur yeux de … détourner le regard sur ce qui se passe dans ce pays, même si des dizaines de milliers d’individus ont été arrêtés, que les défenseurs des droits humains sont poursuivis en permanence et que le métier de journaliste est aussi risqué, si pas plus, que du temps de la junte militaire.

En parlant de réfugiés, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts depuis le début de l’année en Méditerranée. Plutôt que de les sauver ou d’essayer de les sauver (ou même de laisser des ONG s’en occuper), nos gouvernements ont choisi de les renvoyer vers la torture, les mauvais traitements, les viols,… dans un pays en guerre, la Libye.. Tout cela « pour notre bien », à nous Européens, dont le seul mérite est d’être nés du bon côté de cette mer.

C’est aussi pour garantir quelques milliers d’emplois en Wallonie que nous avons fourni aux Libyens les armes qui servent aujourd’hui à commettre des violations terribles des droits humains dans toute la région. Il faut dire que pour nos dirigeants de l’époque, le despote libyen, M. Kadhafi, était devenu
« un démocrate » et qu’on pouvait donc lui vendre des armes fabriquées chez nous.

Aujourd’hui encore, des pays qui commettent des crimes de guerre atroces au Yemen (qui compte plus de 500 000 victimes du cholera), comme l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis sont parmi nos meilleurs clients et achètent pour des millions d’euros en armes bien de chez nous.

Si nous ne faisons rien, si nous ne rappelons pas à nos autorités qu’elles aident à des violations massives des droits humains par une telle politique, nous tuerons d’une main ces droits que nous essayons de défendre d’une autre. Nous avons —encore— le choix de réagir ou non. Ce n’est pas trop tard, mais il est temps.

Notes

[1Ceci dit, il reste encore quelques documents importants à ratifier, et donc à mettre en oeuvre, comme le protocole facultatif à la Convention contre la torture

[2On pense ici notamment à la procédure d’Examen périodique universel

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