« Ce sont vraiment des humains qui ont fait ça ? »

Plus de 600 000 civils vivant dans l’ouest de Mossoul, en Irak, ont été déplacés et des milliers d’autres ont été tués durant la bataille au cours de laquelle les forces irakiennes, soutenues par la coalition menée par les États-Unis, ont repris cette partie de la ville des mains du groupe armé se faisant appeler État islamique. Toutes les parties au conflit ont bafoué le droit international et les civils ont payé un très lourd tribut. Alia est mère et grand-mère. Elle fait partie des personnes ayant fui le conflit dans l’ouest de Mossoul et vit désormais dans un camp pour personnes déplacées, où Razaw Salihy, chargé de campagne pour l’Irak au sein d’Amnesty, l’a rencontrée.

Alia chasse une mouche et pose la main sur sa bonne jambe. De fines tiges de métal, reliées entre elles pour maintenir l’os en place, sortent de sa jambe gauche. On lui a retiré un gros morceau de shrapnel de la jambe gauche quelques jours à peine avant qu’elle quitte l’ouest de Mossoul avec ses trois filles et ses petits-enfants. Au moment de la fuite, elle portait encore les pansements de son opération.

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Des civils fuient Mossoul, Irak, mars 2017

Elle m’explique comment elle a été blessée. Un matin de la fin du mois de mars, Alia prenait le petit-déjeuner avec certains de ses petits enfants orphelins quand une frappe aérienne a commencé. « Tout s’est passé très vite. La porte d’entrée a été touchée. Puis il y a eu de la poussière. De la poussière partout. J’ai hurlé vers les enfants. Quand je me suis retournée pour me lever et les chercher, j’ai remarqué que ma jambe pendait. J’ai regardé vers le bas et je n’ai vu que du sang. »

Emmenée d’urgence à l’hôpital, Alia a été prise en charge par un secouriste. Mais des bombes ont frappé l’hôpital et elle s’est retrouvée coincée dans les couloirs pendant plus de cinq heures. Dès la fin du bombardement, on l’a renvoyée chez elle. « Il y avait des corps dans la cour de l’hôpital. Des combattants, des civils, de très jeunes hommes. Des corps, des corps et encore des corps, tout le long du chemin jusqu’à chez moi. »

De nombreuses choses ont changé pour Alia, qui a beaucoup perdu. Abandonnée par son mari, elle s’est battue pour veiller sur ses enfants et petits-enfants à Mossoul pendant plus de deux ans sous le joug du groupe armé se faisant appeler État islamique (EI).

Au poignet, elle porte en tatouage le nom d’un homme. « C’est le nom de mon mari. Je m’apprêtais à le faire enlever au laser mais, vous voyez... Ils [l’EI] sont arrivés et plus rien n’a été normal. » Elle sourit en prononçant ce mot. « Notre vie était normale, vous savez. C’était dur et nous n’avions pas grand-chose.
Mais nous étions loin de la tragédie que vous voyez aujourd’hui. »

Plus de 800 000 civils ont dû quitter Mossoul et ses environs.

Elle regarde à l’extérieur de la tente vers le camp tentaculaire. « Dieu sait ce que nous allons devenir maintenant. Qu’allons-nous retrouver en rentrant ? » La tente d’Alia se trouve dans la partie la plus récente du camp de Hamam al Alil. Situé à environ 22 km au sud de Mossoul, il s’étend à perte de vue. Il abrite désormais des dizaines de milliers de personnes déplacées. Plus de 800 000 civils ont dû quitter Mossoul et ses environs.

Alia fait partie des milliers de civils qui ont beaucoup, voire tout perdu au cours de l’opération militaire menée par les forces irakiennes, soutenues par la coalition dirigée par les États-Unis, pour reprendre l’ouest de Mossoul des mains de l’EI. L’équipe Irak d’Amnesty s’est rendue dans le nord du pays en mars et en mai et a rencontré 151 civils qui avaient fui l’ouest de Mossoul, ainsi que des médecins, d’autres professionnels de la santé et des employés d’organisations humanitaires nationales et internationales. Dans son rapport publié en juillet, intitulé At any cost : The civilian catastrophe in West Mosul, Amnesty révèle que toutes les parties à la bataille pour l’ouest de Mossoul ont commis de graves violations du droit international humanitaire, dont certaines constituent des crimes de guerre.

Ce sont les civils qui ont payé le plus lourd tribut lors de cette bataille. Leurs droits ont été exploités et bafoués de manières presque inédites dans l’histoire de la guerre moderne. Dès le mois d’octobre 2016, les combattants de l’EI ont systématiquement déplacé les civils vers les zones de combat de l’ouest de Mossoul, les forçant à les suivre lorsqu’ils battaient en retraite. De plus en plus de civils se sont ainsi retrouvés entassés dans les zones que l’EI contrôlait encore. L’organisation a alors utilisé ces civils comme boucliers humains. Elle les a empêchés de fuir vers des zones sécurisées en piégeant leurs maisons, en
condamnant les portes, où en les assassinant délibérément afin de faire des exemples pour ceux qui tenteraient de s’échapper.

Les forces irakiennes et de la coalition ne se sont pas correctement adaptées à cette situation horrible. Au contraire, elles ont mené une série d’attaques aveugles et disproportionnées qui ont fait des ravages parmi la population civile. De manière répétée, elles ont utilisé des armes explosives à large champ d’action, comme des roquettes improvisées (IRAM). Des armes totalement inadaptées à l’ouest de Mossoul, où se trouvaient d’innombrables civils.

En comparaison des milliers d’habitants tués à Mossoul et au nombre incalculable de personnes dont le corps gît encore sous les décombres, Alia et d’autres civils blessés ou ayant des éclats de shrapnel dans le corps s’estiment chanceux. Comme Alia, ces femmes, ces hommes et ces enfants, victimes
de l’utilisation d’armes explosives imprécises, ont peu d’espoir quant à l’avenir. De nombreux habitants de Mossoul sont arrivés dans des camps déjà surpeuplés, où les conditions de vie sont pénibles. Il est impératif que la communauté internationale, et en particulier les membres de la coalition dirigée par les États-Unis, augmente sans délai les fonds alloués à l’aide humanitaire destinée à ces civils.

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Un camp pour personnes déplacées dans la banlieue de Mossoul, Irak, mai 2017

Amnesty a demandé aux autorités irakiennes et aux membres de la coalition de reconnaître publiquement le nombre très élevé de civils tués au cours de la bataille pour l’ouest de Mossoul et de souligner la nécessité pour les victimes de violations d’obtenir réparation.

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