Jakub, 16 ans, vit à Plavecký Štvrtok, un village situé à 20 km au nord de la capitale de la Slovaquie, Bratislava. Il a fini le primaire dans une classe spéciale destinée aux enfants présentant des « handicaps mentaux légers », après avoir été contraint à quitter le système scolaire normal à la fin de sa quatrième année. Jusque-là, ses enseignants considéraient Jakub comme un excellent élève et il avait même obtenu une bourse grâce à ses bons résultats. Mais Jakub est un Rom, comme tous les enfants qui fréquentent la classe spéciale.
Jakub a été soumis à une évaluation à la suite d’un conflit avec un professeur. Ses parents n’ont pas été prévenus de cette décision ni de son transfert dans une classe spéciale. Le programme très allégé qu’il y a suivi avait au moins deux ans de retard par rapport à celui de son ancienne classe, ce qui a, de fait, limité l’éducation qu’il a reçue et ses perspectives d’avenir. Voici ce qu’il dit de son expérience à l’école : « Ce qu’ils m’ont fait est horrible… Ils ont fait de moi un idiot. Je faisais partie des meilleurs élèves de quatrième année. »
Le cas de Jakub n’a rien d’exceptionnel. Près de la moitié des élèves roms de l’école primaire de Plavecký Štvrtok sont scolarisés dans des classes spécialisées qui n’accueillent de fait que des Roms. Il en est de même pour des milliers d’enfants roms dans toute la Slovaquie. Dans plusieurs districts, ils fréquentent des établissements normaux où la ségrégation ethnique est de règle et sont placés dans des classes qui proposent un programme réduit. Dans les régions où il existe une forte population rom, sur quatre élèves des écoles spéciales, au moins trois sont des Roms. À l’échelle du pays, les Roms constituent 85 % des enfants qui suivent un enseignement dans une classe spécialisée. Pourtant, les Roms représentent moins de 10 % de l’ensemble de la population de la Slovaquie.
Le rejet des Roms qui imprègne depuis longtemps le système éducatif du pays a conduit à une situation dans laquelle des enfants roms, dès la maternelle, se trouvent parfois littéralement enfermés dans des bâtiments, des salles de classe et des couloirs séparés, même à l’heure du déjeuner, afin d’éviter qu’ils ne se mélangent avec les élèves non roms.
Ce traitement constitue non seulement un déni de leur droit à une éducation sans discrimination, mais aussi, à plus long terme, une privation d’un grand nombre d’autres droits fondamentaux, dont les droits au meilleur état de santé possible, au travail et à la liberté d’expression. Ils sont de fait exclus de l’accès à de nombreux services publics, et d’une pleine participation à la société slovaque.
Un système éducatif qui n’offre pas aux élèves ce qu’ils sont en droit d’attendre
En Slovaquie, les écoles primaires normales manquent de moyens pour aider comme il se doit les élèves issus d’un milieu social défavorisé ou dont l’origine ethnique est différente, et les enseignants ne sont pas toujours disposés à leur apporter cette assistance. De nombreux Roms n’ont pas le slovaque pour langue maternelle. En raison de leur appartenance culturelle et de la grande pauvreté dans laquelle ils vivent, les enfants roms ont souvent besoin de cours de langue supplémentaires, d’une préscolarisation ou d’un soutien en classe. Ces besoins n’étant généralement pas satisfaits par le système scolaire, nombre d’enfants roms en sont exclus pour cause de retard et sont envoyés dans des classes spéciales au sein d’établissements normaux ou dans des écoles spéciales.
Aux termes du droit slovaque, lorsqu’on répertorie les élèves ayant des besoins spéciaux, on met sur le même plan « handicapés mentaux » et « défavorisés ». Dans un contexte où les Roms sont régulièrement considérés comme issus de milieux défavorisés, le système, de fait, prédispose les enfants roms à être vus comme des élèves ayant des besoins spécifiques. Du même coup, la pauvreté étant assimilée à la déficience mentale, ce système pérennise leur situation défavorisée.
En Slovaquie, le diagnostic de besoins éducatifs spéciaux est posé à l’issue d’un processus d’évaluation complexe, dans le cadre d’un réseau de centres d’orientation scolaire. Les spécificités culturelles, linguistiques et socio-économiques des enfants roms ne sont quasiment pas prises en compte. Ainsi, les capacités de communication sont évaluées uniquement en slovaque.
De plus, les enfants sont souvent placés dans des écoles spéciales à l’âge à partir duquel l’éducation devient obligatoire, ce qui est prématuré, d’après certains pédopsychologues slovaques. Il n’est pas rare que la décision de faire sortir un enfant rom du système éducatif normal soit prise sur la seule foi d’un test d’intelligence de 90 minutes ou moins. Or, selon des spécialistes de la santé mentale et des psychopédagogues de Slovaquie et d’autres pays, de tels placements ne devraient pas être décidés sur la base d’une seule évaluation.
Les parents doivent donner leur assentiment à l’inscription de leur enfant dans une école ou une classe élémentaire spéciale, condition souvent présentée par les autorités comme une solide garantie contre les erreurs. Cependant, Amnesty International craint que les parents roms qui choisissent ou acceptent de placer leurs enfants dans des écoles ou des classes spéciales ne soient fréquemment mal informés.
Bien souvent, en effet, ils ne sont pas au courant des conséquences qu’aura leur décision sur les perspectives d’avenir de leurs enfants. Compte tenu des préjugés et du manque de soutien dont leurs enfants pâtissent dans les établissements normaux, ils pensent aussi parfois qu’il est préférable qu’ils soient scolarisés dans un environnement où ils se sentiront mieux acceptés, même si la qualité de l’enseignement est inférieure.
Une exclusion aux conséquences définitives
Dans la plupart des classes spéciales qu’Amnesty International a visitées en Slovaquie, les enfants roms n’étaient pas autorisés à emporter des livres à la maison. En effet, le personnel partait du principe que les ouvrages seraient abîmés ou ne seraient pas ramenés à l’école. De telles restrictions limitent de toute évidence les possibilités d’apprentissage et de progression des enfants roms. Écoutons Irena, qui habite le quartier rom de Krivany, un village de l’est de la Slovaquie :
« Je suis allée à l’école et j’ai demandé [aux enseignants] de me donner les devoirs à faire par écrit, car je voulais aider mes enfants à étudier… Mais [ils disent] qu’ils ne peuvent pas leur permettre d’emmener les livres à la maison… Comment peuvent-ils apprendre à lire, à écrire ou à calculer sans livres ? »
Une fois qu’ils ont rejoint des écoles ou des classes spéciales, les enfants roms n’ont guère de chances de réintégrer le système scolaire normal. La réévaluation des capacités des élèves n’est pas obligatoire et n’a généralement lieu qu’à la demande des parents. De plus, une fois sorti du système, l’enfant prend un tel retard qu’il est peu probable qu’il puisse le rattraper. Les élèves qui terminent leur cycle primaire en ayant suivi un programme spécial reçoivent un diplôme d’une valeur moindre, qui permet d’accéder uniquement à des établissements d’enseignement secondaire spéciaux. Ces établissements proposent des formations professionnelles de deux à trois années pour devenir par exemple boucher, maçon, cordonnier, employé de maison ou jardinier. Les enfants roms qui aspirent à devenir ingénieurs, médecins ou universitaires n’ont guère de chances de réaliser leur rêve.
Ce qu’il faut faire
La ségrégation des Roms dans les écoles slovaques résulte de la discrimination raciale présente au sein du système éducatif. Elle est le reflet de préjugés et d’une intolérance bien ancrés dans la société slovaque en général. La Loi sur les écoles adoptée en 2008 interdit toutes les formes de discrimination, en particulier la ségrégation. Toutefois, elle ne définit pas clairement ce qu’est la ségrégation, pas plus qu’elle ne propose de lignes directrices ni de mesures concrètes pour permettre au corps enseignant de l’identifier et de contrôler les pratiques au sein des écoles en vue de l’éradiquer. On attend encore les mesures effectives qui seules donneraient force de loi à cette interdiction. À l’heure actuelle, les organes chargés de surveiller l’application de la législation antidiscrimination et de la loi sur les écoles (le Centre national slovaque pour les droits humains et les services de l’inspection de l’éducation nationale, respectivement) ne disposent ni des ressources ni des outils nécessaires pour faire respecter l’interdiction de la ségrégation, et n’ont pas de mandat clair dans ce sens. Il est indispensable que ces moyens leur soient donnés.
Le nouveau gouvernement de coalition a récemment promis d’éliminer la ségrégation dont les Roms sont victimes au sein du système scolaire et a inclus cet engagement dans son programme, adopté en août 2010, ce qui constitue une évolution encourageante. Cependant, la ségrégation reste un obstacle majeur à la réalisation du droit des enfants roms à l’éducation et contribue au cercle vicieux de pauvreté, de discrimination et d’exclusion dans lequel la plupart des Roms se trouvent enfermés. La Slovaquie ne peut pas continuer à nier le droit des enfants roms à la dignité et à l’égalité de traitement. Par les choix qu’il va faire prochainement, le gouvernement slovaque peut enfermer les Roms dans la pauvreté et la marginalité pour plusieurs décennies. À l’inverse, il peut leur permettre de jouir de leur droit à une éducation non discriminatoire et de participer pleinement à la vie de la société slovaque et européenne.
Agissez
Demandez à la Première ministre slovaque de mettre fin à la ségrégation des enfants roms au sein des écoles slovaques, en signant et envoyant la carte postale encartée dans ce numéro. Pour en savoir plus : http://www.amnesty.org/fr/region/sl...