Reconnaissance faciale et droit de manifester
Concernant la reconnaissance faciale et le maintien de l’ordre, les nouvelles mesures détaillées dans l’accord de gouvernement soulèvent de « vives inquiétudes », selon Carine Thibaut. Tout d’abord, le gouvernement affirme que la reconnaissance faciale sera utilisée, mais uniquement pour les personnes suspectes et condamnées ; or, la mise en pratique de cette mesure paraît problématique, notamment en raison des difficultés à identifier de manière fiable ces individus dans des lieux publics comme les gares ou les stations de métro. « Plusieurs études ont démontré que cette technologie présentait des biais racistes, car l’intelligence artificielle, en se basant sur des données humaines, reproduit les discriminations existantes », détaille Carine Thibaut.
Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International et Tess Heirwegh, chargée de plaidoyer pour la section flamande de l’organisation, reviennent sur l’accord de coalition fédérale du nouveau gouvernement et pointent différentes mesures qui génèrent des inquiétudes concernant le respect des droits humains.
Amnesty International appelle à l’interdiction de la reconnaissance faciale à des fins d’identification dans l’espace public.
Début avril, Amnesty International a publié un rapport mettant en évidence les effets dévastateurs du refus persistant des autorités belges de s’acquitter de leurs responsabilités en matière de droit à l’accueil vis-à-vis des personnes en quête de protection internationale.
Un autre aspect qui soulève des interrogations est la possibilité d’une généralisation de l’utilisation de cette technologie, sans garantie de contrôle, dans des espaces publics. Notamment en ce qui concerne les manifestations et précisément sur l’interdiction de manifester. « Le gouvernement semble vouloir appliquer des pratiques de contrôle plus strictes sur les manifestations, y compris l’interdiction judiciaire de manifester, qui pourrait permettre à un·e juge d’interdire à des personnes de participer à des manifestations, éventuellement pour plusieurs années en cas de récidive. Outre les questions de proportionnalité qu’elle soulève, cette mesure pourrait mener à des violations des droits fondamentaux. Cela dénature la gestion négociée de l’espace public en Belgique qui a fait ses preuves pour garantir des manifestations pacifiques. Ce glissement vers une logique de contrôle renforcée est inquiétant et risque de réduire les libertés fondamentales, tout en exacerbant les tensions sociales. »
Une politique climatique qui manque d’ambition
Malgré quelques avancées, Carine Thibaut, directrice de la section belge francophone d’Amnesty International, décrit la politique climatique du nouveau gouvernement fédéral comme « peu ambitieuse. » Si le gouvernement a réaffirmé son engagement envers l’Accord de Paris et les objectifs européens en matière de climat, « ce qui représente un progrès notable, notamment pour un Premier ministre qui s’est auparavant toujours opposé à ces objectifs, les actions concrètes restent insuffisantes et floues. » C’est notamment le cas concernant le secteur de la mobilité, un des grands absents des mesures et « pourtant un des principaux émetteurs de gaz à effet de serre. »
La directrice regrette également le manque de clarté concernant les objectifs à moyen terme, notamment pour 2040 : « cela empêche de définir une trajectoire ambitieuse pour la transition écologique ». Le plan d’adaptation face aux dérèglements climatiques, particulièrement après les récentes inondations, « est presque inexistant, avec des propositions peu concrètes ».
Pour Carine Thibaut, « le gouvernement reconnaît les enjeux climatiques, mais ses mesures et ambitions restent largement insuffisantes » ; elle regrette une « opportunité manquée de s’emparer de la transition écologique, qui pourrait par exemple permettre la création potentielle de milliers d’emplois. »
Asile et migration
Anneleen Van Bossuyt, la nouvelle ministre de l’Asile et de la migration, a déclaré dans une interview donnée au journal Le Soir que la politique migratoire du gouvernement Arizona serait « la plus stricte jamais appliquée dans ce pays ». L’accord de coalition du nouveau gouvernement inscrit noir sur blanc la volonté de dissuader toute personne migrante qui souhaiterait s’établir en Belgique d’y rester. « C’est une régression majeure en ce qui concerne les droits des personnes migrantes et de celles qui demandent l’asile », résume Tess Heirwegh, chargée de plaidoyer pour la section flamande d’Amnesty International.
Dans une série de mesures annoncées à la presse le 18 mars dernier, Anneleen Van Bossuyt a réaffirmé sa détermination à réduire le nombre de places d’accueil, notamment en mettant fin aux fonds d’impulsions, lesquels permettaient d’octroyer des subsides aux communes qui ouvraient de nouvelles places en initiative locale d’accueil. Tess Heirwegh exprime son regret face à cette décision, soulignant que « la qualité de l’accueil dans ces structures gérées par les autorités locales est bien meilleure que celle offerte dans les centres collectifs, car elle est beaucoup plus personnalisée. Les personnes vivent déjà dans une commune où elles prévoient de construire leur vie en Belgique, donc il leur est plus facile d’accéder à l’emploi et ainsi de pouvoir s’intégrer durablement. »
Pour Carine Thibaut, l’une des mesures les plus problématiques est l’absence d’aide sociale pour les personnes réfugiées pendant leurs cinq premières années en Belgique. « C’est une approche punitive qui pourrait plonger de nombreuses personnes dans une précarité extrême, rendant leur intégration encore plus difficile. » Pour la directrice, cela soulève une question fondamentale : « comment intégrer des réfugié·e·s dans la société lorsque l’on ne leur offre pas les moyens de subsister et de s’intégrer dignement ? »
Une autre source de préoccupation est la volonté du gouvernement de recourir à des accords d’externalisation pour gérer les demandes d’asile, à l’instar de ce qui a été fait en Italie par la présidente du Conseil des ministres, Giorgia Meloni, avec l’Albanie. Le gouvernement semble vouloir appliquer des pratiques migratoires basées sur l’externalisation des flux vers des pays tiers dits « sûrs », risquant ainsi de saper le droit d’asile en Europe et de réduire considérablement les possibilités de contrôle démocratique sur ces processus. Ce choix de gestion sélective de l’asile et de recours à des doubles standards pose question. Comme le rappelle Tess Heirwegh, « des exemples de politiques migratoires réussies existent. Même si ça n’était pas parfait, l’accueil et l’intégration de 80000 Ukrainiens et Ukrainiennes, soutenus par un dispositif d’accompagnement solide, montrent que des politiques d’asile bien conçues peuvent permettre aux personnes réfugiées de participer activement à la société et à l’économie. »
La ministre a également annoncé qu’elle n’avait pas l’intention de garantir l’accueil aux hommes seuls, expliquant qu’il serait impossible de leur offrir un accueil sans en priver d’autres, notamment les familles avec enfants. Amnesty International considère cela comme « une discrimination fondée sur le genre, car les hommes sont considérés comme moins vulnérables par le gouvernement, simplement parce qu’ils sont des hommes. » Bien que le Conseil d’État ait jugé cette politique illégale qu’un tribunal l’ait qualifiée de discriminatoire, la ministre a assuré qu’elle poursuivrait dans ce sens.
Tess Heirwegh déplore qu’en « dépit des condamnations répétées, avec plus de 10000 décisions nationales et plus de 2000 par la Cour européenne des droits de l’homme ordonnant à la Belgique de fournir un accueil aux personnes migrantes, Anneleen Van Bossuyt a affirmé que la Belgique ne paierait pas les pénalités liées à ces manquements. »
Par Lisa Guillaume, journaliste